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Les Pacifiques Etats Confédérés de Phenixia
The Peaceful Confederate States of Phenixia
"Les Chroniques d'Allyanse : T1. L'Odyssée des Mémoires
Par Philippe Bondurand et Alden Reeves
Les Ombres du Wöll - première partie
La crise du Wöll (Juillet & Août 1024)
29 juillet 1024 - Les ombres
du Wöll (épisode 1)
Alors que le 7ème mois depuis l'Extension s'achève, la nouvelle frontière arrière-babord
de Phenixia est le théâtre depuis quelques jours d'une activité inhabituelle.
Le Ahosi Dada Kêfa Sagbadjou Glèlè du Wodenyigba (136) a fait appel à la Confédération
pour un soutien logistique alors qu'un flux de réfugiés menace de déborder les services sanitaires
du nouvel Etat.
Aux débats du Sénat, il est apparu que la situation commençait aussi à préoccuper
les autres Etats frontières, surtout le Yanasuyu (134) ou la situation est sur le point de devenir préoccupante,
mais aussi le Cinponslakalme (133), le Hollet (132) et même, dans une moindre mesure le Dât Vàng
(127).
On ignore pour le moment l'origine de ces mouvements de population.
Il a été décidé de demander au GHQ Sud XX (016b) une estimation urgente des besoins
ainsi qu'une analyse des causes afin de pouvoir mieux comprendre et prendre en compte les événements
en cours.
On attends la nom du chef de la mission dans les heures qui viennent. |
30 Juillet 1024 ;
8h - Les ombres du Wöll (épisode 2)
Journal intime de Xue Fang Yüan
Le téléphone sonne. C'est Alex. Il n'y a plus que lui et nos enfants qui m'appellent sur cette ligne
là. A cette heure, ils dorment.
Mais c'est une voix inconnue de jeune femme que j'entends en premier
- Colonel Médecin Xue Fang Yüan ? Sir Alexander Wei-Cheng Spencer souhaite vous parler.
- je suis à ses ordres
petit cliquetis puis, je l'entends se racler la gorge à sa manière caractéristique. 15 ans
de vie commune, 20 de séparation et puis voilà... il prend contact par sa secrétaire, je sens
la gêne dans sa voix. Il ne devrait pas. En tant que commandant en chef du GHQ Sud, il était il y
a quelques semaines encore mon supérieur hiérarchique.
-Pardonnez-moi de vous appeler si tôt, mais je savais que vous seriez réveillée.
- Ne vous excusez pas mon général, je suis à vos ordres.
ai-je jamais cesssé de l'être? Me dis-je in petto...
- Colonel Médecin Xue, j'ai une mission importante à vous confier
Là, je reste surprise, il avait fait une apparition toute protocolaire, mais finalement assez sympathique
à mon pot de départ.
- Mais enfin Alex, je suis passé au cadre de réserve !
- Eh bien considère-toi rappelée sous les drapeaux. Je ne veux que toi pour cette mission, toi seule
a les qualités nécessaires.
- C'est cette affaire du Wodenyigba ?
- Oui Fang Yüan, évidemment. J'ai besoin, d'un médecin, d'un militaire, d'un diplomate et d'une
personne ayant …. nos compétences communes. Il n'y a que toi en qui j'aie confiance qui cadre avec le profil.
Je ne peux pas tout te dire au téléphone. On se voit où ?
- Tu sais où j'habite ?
Il rit... ça me fait plaisir de le voir se décontracter.
- Oui Colonel, votre adresse est dans les bases de données du GHQ. Je suis là dans quelques minutes,
si tu veux, tu peux m'attendre au club-house de l'aérodrome. Je serais bref, et je ne veux pas entrer dans
votre intimité.
Il s'interrompt. Géné... un ange passe... il s'est rendu compte du double sens trop tard. Et ce mélange
de vouvoiement et de tutoiement , il ne sait pas sur quel pied danser...
Je brise la glace d'un grand éclat de rire à mon tour.
- Yes sir, au club-house ce sera parfait. |
30 Juillet 1024 ; 9h - Les
ombres du Wöll (épisode 3)
Notes de Sir Alexander Wei-Cheng Spencer, commandant en chef du GHQ Sud XX
Après 45 minutes de vol, j'arrive à Tobolsgrad. Yüan m'attend sur la piste. Nous marchons vers
le club house en échangeant des banalités.
L'ordonnance sert le thé et s'éclipse. Je hume la tasse. Un grand cru de Trysommie tribord. Je hausse
un sourcil approbateur.
- Tu aimes toujours le Panyong j'espère ?
- Toujours... merci Yüan.
- Bon, allez, déballe moi tout. Pourquoi me sors tu de ma retraite ? Que se passe-til à l'Arrière
babord ?
- C'est toi qui me le dira, et c'est pour cela que je t'envoie, toi et personne d'autre. Les nouveaux Etats de
l'extension n'ont pas l'habitude que la Confédération mette le nez dans leurs affaires, et en demandant
de l'aide, ils veulent juste des moyens, pas que nous mettions notre nez de trop près dans leurs affaires.
Et toi, tu sauras nous renseigner sans qu'ils ne te trouvent intrusive.
- Je ne suis pas la seule à savoir faire cela...
- Non... par contre, tu es la seule à qui je puisse dire clairement ce que "nous" (je tapote mon
insigne XX) attendons de cette mission.
- Nous ? insiste t-elle en reproduisant on geste.
- Oui. « Nous » avons entendu des rumeurs sur ce qui se passe à l'Arrière. Ce n'est pas
très clair mais il semblerait que derrière la « ceinture de l'extension, « nous »
pourrions avoir des amis. Des amis un peu trop prosélytes pour le moment, mais des amis quand même.
- Continue...
- D'abord ce qu'il y a de sûr. Des agents de l'agit-prop XX ont été envoyés depuis plusieurs
années dans cette direction. Dans plusieurs régions ils ont été mal reçus, mais
ils ont réussi à constituer une base solide dans une région qui s'appelle la Megathérie,
juste derrière le Cinponslakalm et le Hollet. Et cette région laisse passer des réfugiés,
mais aucun n'en est originaire. Nos contacts là bas laissent entendre que sur leur babord se trouve un peuple
bizarre et ..
- Bizarre ?
- C'est leur mot ! Et donc, que ce pourrait être le foyer des troubles. En comparant les divers rapports,
il me semble qu'ils ont employé « bizarre » pour décrire un régime politique inconnu,
ni doublixe ni libéral.
- Socdem ?
- Non ! Ce serait trop simple... ton boulot est de nous en dire plus sur cette idéologie. De comprendre
s'il y a un rapport avec les troubles qui déplacent ces réfugiés. Et de nous donner une longueur
d'avance pour voir si nous pouvons nous les allier.
- Pourquoi se les allier et ne pas essayer de les convertir au XX ?
- Ça on verra, après ! Mais pour le moment, l'Extension nous a affaibli. Tous les nouveaux états
sont confédéralistes, les uns libéraux, les autres socdem. Et tu sais comme moi que nous risquons
de nous trouver dans une impasse à long terme. Dans nos propres états nous perdons du terrain. Les
gens votent avec leurs pieds, et une partie des spécialistes que nous formons s'en va exercer ses talents
ailleurs. Il est important de rééquilibrer le processus et de faire entrer de nouveaux états,
plus proches de nos idées.
- Je vois...
elle prend une respiration, boit son thé à petites gorgées. J'en profite pour l'imiter. A
aucun moment nous ne sommes sortis du professionnel et je me sens soulagé.
- Et les réfugiés ?
- Pour cela tu sais faire. Nous devons faire de notre mieux pour leur montrer la compassion et l'efficacité
de Phenixia, bien sûr. Mais si au passage, ils peuvent comprendre que le système XX est plus protecteur
des faibles, qu'ils sont en ce moment, ce n'est pas trahir la Pacifique Confédération, non ?
Elle éclate de rire
- Non, bien sûr... mais il y a deux missions donc, l'une pour Phenixia et l'autre pour... « nous ».
Je suis très réticente à l'idée d'utiliser les moyens de la PCEP pour mener ma petite
enquête. Cela pourrait se retourner contre "nous" et aussi ternir ma jolie réputation...
Bon, là, je suis dos au mur, je dois abattre mon jeu. Je sors un DISK de ma poche.
- Tu n'auras pas à le faire. « Nous » avons une équipe sur place. Tout est là
dessus. Codé. La clef est le nom d'une certaine station de ski, tu devineras laquelle.
Elle sourit
- Oui, je vois...
Ensuite nous entrons dans les détails techniques de sa mission humanitaire (voir mon rapport officiel) |
1er Août 1024 ; 9h - Les
ombres du Wöll (épisode 4)
Procès Verbal d'interrogatoire du régugié N° 24/08/01/147
Est comparu devant nous un individu d'un mètre 84, mince, semblant avoir la cinquantaine, à la
peau brun foncé, aux yeux noisettes, aux cheveux noirs et crépus blanchissant sur les tempes.
Il s'exprime en Argot avec un léger accent Polycien, en utilisant des expressions soignées et semble
avoir une bonne éducation et un niveau d'instruction supérieur. Dépourvu du moindre papier,
il porte un pantalon de toile de bonne facture, mais usé, ainsi qu'une chemise blanche fine tachée
et déchirée.
Sur nos requêtes, il nous a fait les déclarations suivantes :
« je m'appelle N'Kosi M'Baku, je suis ingénieur agronome et maire du village de Hlovabe au LeKanda.
Les personnes qui m'accompagnent son ma femme, Ayo, et nos enfants. Le garçon a 16 ans et s'appelle T'Chaka.
La fille a 14 ans et s'appelle Shuri.
J'ai fui mon village suite aux menaces de mort sur leurs personnes et au meurtre de mon frère Zuri qui était
aussi le garde champêtre du village et tentait de s'interposer au devant des envahisseurs.
Ces derniers sont des bandits et des hors la loi amaKanda venus d'une autre région encadrés par des
hommes blancs en uniformes noirs portant un brassard rouge et banc orné de deux marteaux de charpentier
croisés.
Les hommes blancs parlent kiKanda avec un fort accent et semblent donner les ordres généraux et tentent
mollement de réfréner les instincts pillards des bandits. La plupart du temps ils laissent faire
les vols et les tabassages, ne mettent fin à ces derniers que quand la victime est inerte. On les a vus
cependant interdire sévèrement le viol et limiter les meurtres gratuits. Ils sont par contre sans
pitié en cas de résistance.
Nous les appelons les charpentiers du Woëll, mais plus souvent les ombres du Woël car ils semblent
venir de cette région et sont vêtus de noir.
Le Woëll ? Il est situé à Tribord du LeKanda.
Pourquoi nous attaquent ils ? Je n'en ai pas la moindre idée. Il y a longtemps j'ai entendu dire que
"les charpentiers" avaient pris le pouvoir au Woëll après l'épidémie,
mais je ne savais pas de quoi il s'agissait jusqu'à ce que je voie ces brassards. J'ignore si c'est une
secte, ou un parti politique. J'ignore ce qui les motive. Nous sommes un petit village agricole. Il y a longtemps
j'étais allé faire des études d'agronomie à la préfecture Vingt-Trois, à
l'époque où nous faisions partie de la Polyce. Quand je suis revenu au village, l'épidémie
éclatait et mon père, l'ancien maire a perdu la tête. Depuis, je ne me suis occupé que
de maintenir les cultures pour que le village mange à sa faim et nous avons trouvé un moyen de le
faire malgré l'épidémie, en donnant à chacun un petit manuel rappelant tous les gestes
un peu complexes, car les plus simples n'étaient pas oubliés, même par les malades qui ne connaissaient
plus leur nom.
Je remercie les autorités du Wodenyigba. Les Yigba sont nos frères et leur accueil est généreux.
Je ne veux pas être une charge pour mes hôtes et offre mes bras et mes talents pour les aider dans
leurs tâches agricoles en attendant que la situation nous permette de rentrer chez nous. » |
- Les ombres du Wöll (épisode
5)
Rapport du Commandant Igor Volkov, Poste d'Observation Avant-Tribord
À l'État-Major de Taïgaria,
Objet : Engagement avec forces ennemies de la Mégathérie et du Woëll
Date : 2 Aoüt 1004
Rapport n° : 04-08-04/001
1. Situation initiale : Le poste d'observation Avant-Tribord sous mon commandement a détecté une
attaque imminente de la Mégathérie, identifiée par leurs uniformes distinctifs bleu foncé
et or. Nos sentinelles ont confirmé la présence de troupes ennemies à l'horizon à 05h00.
Conformément aux instructions, nous avons pris des positions défensives.
2. Engagement avec la Mégathérie : À 06h15, les troupes de la Mégathérie ont
lancé une offensive. Nos unités ont ouvert le feu en riposte. Le combat s'est intensifié et
nous avons infligé des pertes significatives à l'ennemi. Nos fourrures grises dans le paysage hivernal
ont fourni un avantage initial, réduisant notre visibilité pour l'ennemi.
3. Attaque surprise du Woëll : À 07h30, des troupes supplémentaires ont été signalées
sur notre flanc droit, identifiées rapidement par leurs uniformes noirs distinctifs. Il est apparu clairement
que le Woëll avait lancé une attaque coordonnée sans déclaration préalable de
guerre. Cette manœuvre non seulement violait les conventions militaires, mais nous plaçait également
sous des feux croisés.
4. Manœuvre défensive : Devant cette menace, j'ai ordonné une retraite stratégique vers l'Avant-Babord.
Nos unités ont maintenu un feu de couverture tout en se repliant, infligeant des pertes aux deux ennemis.
Grâce à la discipline et au courage de nos troupes, nous avons réussi à éviter
l'encerclement complet, bien que nous ayons subi des pertes conséquentes.
5. Évaluation de la situation : Les forces du Woëll, reconnaissables à leurs uniformes noirs,
ont délibérément profité de notre engagement avec la Mégathérie. Leur
attaque non déclarée démontre une intention agressive et un mépris total des règles
de guerre.
6. Requêtes et recommandations :
Renforts immédiats nécessaires pour stabiliser le front Avant-Tribord et sécuriser notre position.
Requête de nouveaux ordres face à la nouvelle situation stratégique.
Transmission urgente de cette information à l'État-Major pour évaluer une réponse appropriée
à l'agression du Woëll.
En conclusion, malgré l'attaque surprise et la trahison du Woëll, mes hommes ont démontré
un courage exceptionnel et une compétence remarquable. Nous avons pu éviter le pire et continuerons
à défendre notre territoire avec honneur. |
Episode 6
3 Aout 1024
Philip Nigel Blake
Je croyais bien que c'était la fin pour moi, là sur le front de la Somme. Un obus a explosé
juste devant notre tranchée, et tout est devenu noir. Je me suis dit que j'étais mort, mais non.
Quand j'ai ouvert les yeux, je me suis retrouvé allongé sur l'herbe douce, tout nu et sans une égratignure.
C'était étrange, comme si j'avais dormi des heures, peut-être même des jours. Je n'avais
jamais vu un paysage pareil, ça ressemblait à la campagne anglaise, mais quelque chose clochait.
Le soleil restait pile au zénith, sans jamais bouger, et il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid. J'ai
commencé à marcher, en cherchant des signes de vie, des réponses à ce mystère.
Après deux jours de marche, je me suis habitué à cet horizon étrange qui semblait s'incurver
à l'infini. C'était comme si je marchais sur un anneau géant autour d'un petit soleil.Les
nuits venaient en quelques minutes seulement, comme si on tirait un rideau devant le soleil. Au loin, alors, de
larges damiers de lumière scintillaient sur l'Anneau, leur lumière était telle qu'on voyait
peu d'étoiles. Mais on y voyait mieux que les nuits de pleine lune quand le ciel est clair.
Finalement, j'ai repéré un panache de fumée au loin, signe d'un village. En m'approchant,
j'ai vu des cavaliers en uniformes bleus et or qui débarquaient dans le village. Sous la menace de leurs
lances et de leurs épées, ils raflaient de la nourriture et tout ce qu'ils pouvaient emporter. Des
paysans ont tenté de s'y opposer, armés de simples fourches et de bâtons, mais les cavaliers
les ont tués sans pitié.
Je me suis caché derrière un buisson, le cœur battant. J'ai toujours pensé que la guerre était
terrible, mais voir ces gens se faire tuer de si près, c'était insupportable. Je voulais leur venir
en aide, mais j'étais sans armes, sans vêtements, et je ne savais même pas où j'étais.
Tout ce que je pouvais faire, c'était regarder, impuissant.
Après le raid, j'ai attendu que les cavaliers s'éloignent avant de m'approcher du village. Les survivants
étaient en état de choc, pleurant leurs morts et ramassant ce qui restait de leurs biens. J'ai aidé
comme je pouvais, utilisant mes mains pour creuser des tombes et partager leur peine. Ils parlaient une langue
que je ne comprenais pas, mais la douleur et la peur sont universelles.
Je me suis demandé pourquoi j'avais été épargné, pourquoi j'avais été
transporté ici. Quel que soit ce monde, il était aussi cruel que le nôtre, peut-être
même plus. Mais je n'avais pas le choix. Il fallait que je survive, que je trouve un moyen de comprendre
où j'étais et pourquoi. |
Journal intime de Xue Fang Yüan
4/8/1024 16h - Les ombres du Wöll (épisode 7)
Il y a 3 jours que je suis arrivée. Quand j'y repense, ils m'ont semblé durer 3 mois. Je n'ai
dormi que 4 heures par jour, deux la nuit, deux après le déjeuner qui se prend ici à 14h.
J'ai écouté les rapport des autorités du Wodenyigba. J'ai écouté ce qu'avaient
à me dire les diplomates et officiers de renseignements confédéraux. J'ai pu aussi prendre
contact avec « nos » propres espions sur place.
J'ai invité une famille de réfugiés à ma table ce midi. N'Kosi M'Baku, ingénieur
agronome et maire de sa petite communauté m'a fait une forte impression. Grand et digne, il s'exprime avec
un mélange d'humilité bonhomme et de fière confiance. Les deux à la fois. C'est très
rare.
Sa femme, Ayo, est encore plus impressionnante. Avant tout c 'est une guérisseuse. Mes adjoints m'ont
dit qu'elle avait immédiatement pris sur elle d'apporter ses talents pour soigner les bobos du corps, et
surtout de l'âme de toutes ces pauvres existences balayées par le vent mauvais de la guerre.
Je lui demande de me faire un état sommaire des besoins, pour corroborer ce que les équipes médicales
sur place m'ont dit. Évidemment, ces imbéciles ne m'ont parlé que vaccins, pilules et pansements.Ayo
m'a parlé des plantes qui manquaient pour ses remèdes traditionnels, auxquels ses concitoyens sont
habitués, mais aussi de tout ce dont ils avaient besoin sur un plan plus moral. Elle est la mieux placée
pour les aider. Je lui alloue des locaux, un petit budget pour embaucher une demi douzaine d'aides parmi les réfugiés.
J'ai compris quand elle m'a expliqué qu'ils avaient un besoin essentiel d'être traité avec
dignité et humanité. Les faire participer et organiser leur entraide permettra à la fois d'améliorer
leur moral et de concentrer mes ressources sur les urgences vitales.
En ce qui concerne la part plus discrète de ma mission, elle se confond pour le moment avec ma mission officielle.
J'ai réussi à obtenir une carte de la région d'où proviennent les réfugiés.
(voir ci-joint)
Le Lekanda est directement voisin du Wodenyigba et constitue en quelques sorte son prolongement vers l'arrrière,
le long de la côte et sur une distance de plusieurs dizaines de kilomètres à l'intérieur
jusqu'au Wöll. Sur la carte j'ai noté avec un petit carré vert les états d'où
viennent les réfugiés, et d'un rouge ceux qui semblent être les agresseurs. Je reste cependant
prudente, d'autant que ces « agresseurs » qui forment une sorte de bloc central sont le Wöll,
sur lequel je dois enquêter pour mieux comprendre l'idéologie des « charpentiers »,
le Samadalah qui semble prôner un système égalitaire très compatible avec les idées
doublixes, et surtout la Mégathérie, ouvertement doublixe qui va jusqu'à orner son drapeau
et ses uniformes de notre insigne. Mon informateur m'assure que ses contacts sont très intéressés
par une entrée de la Mégathérie au sein de la Confédération, mais que leur voisin
immédiat le Välglinge y est très réticent.Je vais envoyer la carte telle quelle à
la Confédération, et assortie de mes premiers sentiments à Alex... Bien sûr l'accueil
des réfugiés et la paix sont mes missions principales. Mais cela ne sera durable que si tout le monde
y trouve son compte. Et j'attends d'en savoir plus avant de prendre pour argent comptant l'histoire que la presse
colporte avec des « gentils amaKanda » et des « méchants Etats centraux » |
4/8/1024 2 heures avant la nuit - Les
ombres du Wöll (épisode 8)
Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia.
Torg-père-mien arriva au village avec son groupe de chasseurs. Eyla-mère-mienne le vit et courut
vers lui, le sourire aux lèvres.
Je me souviens de ce jour comme si c'était hier, un moment gravé dans ma mémoire d'enfant,
alors âgé de douze ans, qui allait transformer notre destinée. En ce temps-là, j'étais
encore un simple garçon, mais les événements de cette journée allaient semer les graines
du shaman et du savant que je devins.
Mon père, l'illustre chasseur Torg, était parti avec son groupe dès l'aube. La chasse était
notre mode de vie, mais ce jour-là, il revint plus tôt que d'habitude, le visage grave, marqué
par une inquiétude que je n'avais jamais vue chez lui. Ma mère, Eyla, l'accueillit avec la chaleur
habituelle, ignorant encore ce qu'il allait nous révéler.
« Torg-homme-mien, tu es rentré plus tôt. La chasse a-t-elle été bonne ? »
demanda-t-elle avec un sourire.
Je regardais mon père, sentant que quelque chose de différent se tramait. Il déposa doucement
son équipement, évitant nos regards pendant un instant, puis il se tourna vers elle, son expression
solennelle.
« Eyla, nous avons vu quelque chose d’étrange. Une colonne de guerriers, ils semblaient marcher en
dansant, en tout cas leurs pieds bougeaient en même temps, ils étaient aussi vêtus de manteaux
identiques, tous du bleu du début de la nuit. Leurs visages aussi se ressemblaient beaucoup, avec de petits
nez et des yeux restant plissés comme quand nous regardons une forte lumière. Ils étaient
nombreux et armés de bâtons de feu. Tout le contraire de chasseurs, ils ne songeaient ni à
marcher sans bruit, ni à se différencier des uns des autres. Je n'avais jamais vu cela, et je t'avoue
que cela m'inquiète. »
Ma mère, inquiète, posa une main sur son bras. « Que veux-tu dire ? Ont-ils l’intention de
nous attaquer ? »
Torg-père-mien soupira, cherchant les mots justes pour nous rassurer sans nous mentir. « Comment le
saurai-je ? mais j'ai un mauvais pressentiment. Des incidents ont eu lieu les jours précédents,
nous l'avons appris par les messages-tambours et ces hommes qui s'habillent tous pareils, marchent tous en même
temps.... » Son regard devint flou, comme perdu dans ses pensées. « Nous ne pouvons
pas prendre de risque.. Nous devons être prêts. »
Je sentais la tension monter en moi, l'angoisse d'un enfant face à l'inconnu. Ma mère, malgré
son inquiétude, tenta de rester forte. « Qu'allons-nous faire ? »
« J’ai ordonné à notre groupe de rester furtif et de rentrer se préparer. Nous devons
protéger notre village. »Les paroles de mon père résonnaient en moi, et même si
je ne comprenais pas tout à l'époque, je sentais le poids de ses responsabilités. Ma mère,
malgré sa peur, trouva le courage de sourire. « Nous serons prêts, Torg. Nous avons survécu
à bien des dangers, et nous survivrons à celui-ci. »
Torg-père-mien hocha la tête, reconnaissant pour son soutien. « Oui, nous nous en sortirons.
Tant que nous restons unis, nous sommes forts. »
Ce jour-là, je compris la véritable nature de la force et du courage. Ce ne sont pas les muscles
ni les armes qui nous définissent, mais notre capacité à faire face à l’inconnu avec
détermination et espoir. Les Samadalans, car j'appris plus tard le nom qu'ils se donnaient, avec leurs uniformes
et leurs armes, représentaient une menace à nos yeux, mais ils nous ont aussi poussés à
révéler notre résilience et notre ingéniosité. Et nous savons maintenant que
de quelques douloureux qu'aient pu être ces moments, de belles choses en sont sorties aussi.
En tant que shaman de notre tribu, et plus tard quand j'ai créé l'Université d'Atavisia, je
me suis souvent souvenu de ce jour. Il m'a appris que la véritable sagesse réside dans la compréhension
et l'acceptation de la peur, et que notre véritable pouvoir vient de notre capacité à rester
unis face à l'adversité. Les Atavisians ont toujours su s'adapter et survivre, et ce souvenir, bien
que douloureux, et les jours de combats qui ont suivi sont un témoignage de notre esprit indomptable, de
notre instinct pour distinguer nos amis de nos ennemis, et aussi de notre capacité à rester nous-même
et à imposer nos conditions aux uns comme aux autres pour vivre en harmonie avec nos voisins, tout différents
soient ils par l'aspect et les coutumes. |
6/8/1024 - Les ombres du Wöll (épisode 9)
Discours de Takeshi Amir, Gaimu Sangi (conseiller aux relations internationales) du Samadalah devant le Dajokan
(Grand Conseil d'Etat de l'Empereur)
Mesdames et Messieurs,
Aujourd'hui, nous nous trouvons à un carrefour historique, un moment où la Justice et la Vérité
doivent prévaloir pour le bien de tous. Nos frères et sœurs du Wöll et de la Megathérie
se sont portés au secours des populations du LeKanda, de Taïgaria et d'Atavisia soulevées contre
des régimes tyranniques, injustes, inégalitaires et impies qui depuis trop longtemps ont opprimé
leur propre peuple.
Sous la guidance éclairée de notre Empereur, Messager d'Allah sur la Terre, nous, au Samadalah, avons
toujours cru en l'égalité et la justice pour tous. Notre devise "Tous égaux devant la
Justice de l'Empereur, Messager d'Allah sur le Monde" résonne aujourd'hui plus fort que jamais. C'est
dans cet esprit de justice que nous avons décidé de soutenir nos voisins du Wöll et de la Megathérie
dans leur quête pour libérer leurs voisins de l'oppression.
Nous ne pouvons rester indifférents face à la souffrance de nos frères et sœurs. Leur lutte
est noble et légitime, et il est de notre devoir sacré de les soutenir. Nous sommes résolus
à offrir notre aide militaire pour restaurer la paix et la justice dans leurs terres. Nos forces interviendront
aux côtés de ceux qui se battent pour la liberté, pour mettre fin aux régimes despotiques
qui ne respectent pas les droits fondamentaux de leur peuple.
Cependant, je lance un avertissement solennel à tous les dirigeants voisins et à ceux qui envisageraient
d'intervenir. Toute tentative d'entraver notre mission de justice sera perçue comme une menace directe non
seulement contre les peuples opprimés, mais aussi contre les principes sacrés du Samadalah. Nous
ne tolérerons aucune ingérence extérieure qui viserait à maintenir ces régimes
tyranniques en place.
Que cela soit clair : notre intervention vise à instaurer la paix et la justice. Toute action contraire
sera considérée comme une hostilité envers le Samadalah et ses alliés, et nous répondrons
avec toute la fermeté nécessaire. La voie de la justice est celle que nous avons choisie, et nous
y resterons fidèles, sous la guidance divine de notre Empereur.
Que la paix et la justice prévalent. Qu'Allah nous guide et nous protège dans cette mission sacrée.
Le Samadalah, sous la sage gouvernance de l'Empereur, Messager d'Allah sur la Terre, ne permettra pas que ses voisins
souffrent sous le joug de tyrans oppressifs. Que cette intervention soit un signal clair à tous : la justice
divine prévaudra, et ceux qui s'opposent à la volonté de l'Empereur et d'Allah seront confrontés
à des conséquences sévères. Nous agissons pour la paix et l'égalité,
mais nous ne tolérerons aucune ingérence extérieure dans ce processus de libération.
Vive le Samadalah, vive l'Empereur, Allahu Akbar. Banzai ! » |
7/8/1024 11h - Les ombres du Wöll (épisode 10)
Audiodescription de l'entrevue entre Boutros el Khoury, conseiller militaire de Philippe Bondurand, Humble Porte-Parole
de la Confédération, et Sir Alexander Wei-Cheng Spencer, commandant en chef du GHQ Sud XX.
((Bruit de meubles sur le parquet, puis de pas)
BK - Merci d'être venu me voir, Général. Je viens de relire votre rapport. Si ça ne
vous dérange pas, nous allons rester debout devant cette carte, je suis peu familier de ces régions
de l'Arrière ce sera plus simple de les visualiser.
AS - Monsieur le Maréchal, nous ferons comme vous le souhaitez, mais nous nous connaissons depuis longtemps,
je sais très bien que vous avez étudié les choses à fond.
BK (rit) - Ah oui... 23 ans bientôt, La bataille du Vrai Nid de Faucons contre les Borgues... vous étiez
aux commandes de l'artillerie de la 1ère DI...
AS - Et vous chef de Corps d'Armée et auteur d'un plan qu'on enseigne encore à l'Ecole Militaire.
BK - Inutile de me flatter, Général, je suis un vieux crouton bien éloigné du terrain
maintenant. On passe aux choses sérieuses, maintenant que vous avez atteint votre but de me mettre de bonne
humeur?
AS - A vos ordres, monsieur le Maréchal.
BK - Que veut le doublixe dans cette affaire?
(silence, raclement de gorge)
BK - Allons Alex, vous m'avez demandé d'être sérieux, alors soyez-le aussi. Je ne suis plus
un perdreau de l'année. Je sais que "vous" êtes derrière ça.
AS - "Nous" aimerions bien, mais c'est plus compliqué que ça.
BK - Vous m'intéressez, continuez. Mais cette fois dites moi tout.
AS - Votre intuition n'est pas totalement fausse. Nous avons essayé un truc, mais ça a foiré.
(un silence) Bon, voilà, je sens que vous en savez plus que vous ne le dites, vous m'avez eu, je vais tout
reprendre. "Nous" avons depuis 20 ans essayé de nous développer à l'Arrière.
Nous pensions avoir à contrer l'influence des fédéralistes, et nous nous sommes concentrés
sur le travail de l'opinion locale contre "l'hégemonie Francio-Bundesreichienne" et ses agents.
Nous n'avons pas repéré que les Confédéralistes avaient, eux aussi envoyé leurs
agents. (rire) Ne riez pas, je sais que vous n'étiez pas au courant non plus. Le fait que la totalité
du 1er élargissement ait fait entrer une fournée d'états Confédéraliste a été
un choc. Mais pas seulement pour nous. Nos cellules en ex-Polyce aussi. Juste après l'élargissement,
ils ont pris le pouvoir en Megathérie. Et nous avons des agents au Wöll et au Samadalah dont les régimes
ne sont pas doublixes mais nous paraissaient assez proches.
BK -Et?
AS - Et nous nous sommes mépris. Le Wöll et ses anarchistes est en fait beaucoup plus proches des fédéralistes
que de nous. Leur nationalisme, leur confiance inébranlable dans leurs propres institutions les rend insolubles
dans ... ehmm... ce que "nous" représentons. Or, ce sont eux les plus actifs régionalement.
Ils ont réussi à créer une vraie petite insurrection contre le roi du leKanda qui leur sert
de prétexte à intervenir. Ils ont réussi, j'ignore comment, à entrainer le Samadalah
et la Megathérie dans leur politique d'agression, et nous nous trouvons depuis une semaine face à
un conflit généralisé, dont les "charpentiers" du Wöll sont le pivot.
BK - Ils doivent bien se douter que nous ne pouvons exposer nos nouveaux Etats à un tel danger?
AS - Ils ne souhaitent que négocier leur ralliement à Phenixia dans des conditions optimales et nous
mettre devant le fait accompli.
BK - Je vois. Que préconisez vous?
AS - Ils roulent leurs épaules, les nôtres sont plus larges. Montrons-les en espérant ne pas
avoir à s'en servir. Je pense à une grosse opération humanitaire dans les territoires attaqués
pour fixer les réfugiés à l'intérieur de leurs frontières. Cela soulagera les
Etats de l'Extension qui ont du mal à faire face seuls au flux. Et ces zones de sureté serviront
de base de repli aux gouvernements des Etats attaqués, voire d'enclume, si cela venait à dégénérer.
Et préparons un "marteau". Une force d'intervention rapide prête à venir frapper
tout adversaire qui s'en prendrait à ces zones. Ostensiblement, pour dissuader. En même temps proposons
un plan de paix basé sur la reconnaissance des 6 Etats et de leurs frontières et gouvernements actuels.
BK - Vous voulez que je fasse avaler à la Francie que de nouveaux Etats doublixes vont se retrouver à
portée de dirigeables sur leur Arrière ?
AS - Ils y sont déjà. Je crois qu'il est dans l'intérêt de tous de les inclure dans
notre système de compromis, si bancal et rempli d'arrières pensées qu'il soit et de préparer
un deuxième élargissement sur des basses plus pluralistes que le premier. Mais "nous" ne
vous forçons pas la main, vous savez que ma loyauté à la Confédération restera
sans faille. Au delà de ma personne, personne de sérieux "chez nous" ne souhaite une deuxième
guerre civile 100 ans après.
BK - Merci de votre franchise. J'en parle à l'HPP et je vous tiens au courant de sa décision. |
Carnet de N'Kosi M'Baku
8/8/1024 Les Ombres du Wöll (épisode 11)
Les ombres du Wöll ont pris ce que j'avais de plus cher : mon frère, mon sang, mon reflet. Il repose
maintenant parmi les ancêtres, sous le grand baobab des âmes. Son esprit veille sur nous, et je ressens
sa présence dans chaque souffle du vent, dans chaque étoile qui scintille.
Wodenyigba, terre d'asile, toi qui accueilles les enfants du LeKanda avec compassion, je te salue. Ici, dans ce
camp de réfugiés, je vois la lumière de l'espoir briller dans les yeux de mes enfants. Ils
sont bien nourris, protégés, même si l'inconfort de notre exil pèse lourd sur nos cœurs.
Chaque rire, chaque jeu sous le soleil timide est une promesse d'un futur où le ciel sera sans nuages.
Ô Ayo ! Ma femme, ma lumière, la guérisseuse, est une étoile dans cette nuit sombre.
Elle travaille sans relâche avec les humanitaires, unissant ses mains sages et bienveillantes aux leurs pour
soulager les souffrances de nos frères et sœurs. Son courage et sa dévotion me remplissent de fierté.
Elle est le cœur battant de notre famille, le pilier de notre résistance.
Phenixia, le grand protecteur, se lève comme un lion au secours de notre Roi et de notre terre. Les tambours
de la guerre résonnent, mais aussi ceux de l'espoir. Je rêve du jour où nous pourrons rentrer
chez nous, marcher à nouveau sur la terre sacrée du LeKanda, reconstruire ce que les ombres ont détruit.
Ô LeKanda, terre de mes ancêtres, je garde foi en ton renouveau. Les jours sombres finiront par céder
la place à la lumière. Les enfants grandiront sous un ciel libre, les chants de nos aïeux résonneront
à nouveau dans nos cœurs. Nous rentrerons chez nous, et le Lekanda renaîtra, plus fort, plus uni.
En attendant ce jour, je tiens bon, inspiré par les esprits de nos ancêtres, par la bravoure de ma
femme, par le rire de mes enfants. Nous sommes les enfants du Wakanda, indomptables, invincibles, et nous survivrons
à cette épreuve. |
Les Ombres du Wöll - Episode
12
Carnet de notes de Philip Nigel Blake
Village de Shuluta, Taïgaria – 15 septembre 1917 ???/ 8 Août 1024 de l'Anneau
Je ne puis cesser de m'étonner des tournures que prend ma vie en cet étrange monde. Chaque jour apporte
son lot de découvertes et d’interrogations. Shuluta, ce modeste village qui semblait à l’agonie il
y a une semaine à peine, se relève doucement, mais le poids des événements pèse
lourdement sur ses habitants.
J’ai passé la journée à aider Ekaterina, la jeune veuve chez qui je trouve refuge. Ses yeux
en amande me hantent, et je ne puis m'empêcher de remarquer la grâce avec laquelle elle s’affaire,
malgré son deuil. Le nom d’Ekaterina lui sied à merveille ; c’est un nom noble, aux sonorités
russes, bien qu’ici, les gens semblent parler une langue étrange, un écho déformé du
russe que je connaissais si mal. Ekaterina essaie de reprendre le commerce de cordonnier d'Igor, son mari tué
par les soldats tout en s'occupant des jumaux, Olga et Piotr qui semblent avoir 4 ans. Je reprends ses anciennes
activités au jardin potager qu'elle ne peut plus entretenir. Ce monde est déroutant, mais je commence
à saisir certains mots, quelques expressions.
La présence des soldats mégathériens est moins oppressante qu'au début. Bien que j’aie
vu en eux des envahisseurs brutaux, leur comportement a changé. Ils distribuent vivres et médicaments,
soignent les blessés, et tentent même de se faire bien voir de la population. Est-ce là une
simple ruse pour asseoir leur domination, ou ont-ils véritablement un semblant d’humanité ? Je me
surprends à converser avec l’un de leurs officiers, un homme qui parle un anglais déformé,
mais intelligible. Ce n’est pas un accent que j’aurais reconnu sur Terre ; il évoque plutôt une étrangeté
géographique, comme un dialecte perdu dans l’espace et le temps. Il me dit l'avoir étudié
au Westland, loin là bas, verrss l'Avant. Il me désigne la partie de l'Anneau qui s'incurve à
l'horizon sur sa droite. Le reste de la troupe semble parler un français tout aussi déformé.
Avec des « R » longuement roulés. Mais celui que j'ai appris en France me sert avec eux.
Je ne peux nier la fascination croissante que j’éprouve pour Ekaterina. Elle est belle, d’une beauté
triste et résignée, mais quelque chose en elle m’attire inexorablement. Aujourd’hui, alors qu'elle
finissait les derrnières commandes que son mari n'avait pu achever, j’ai remarqué une cicatrice sur
son dos. Lorsque je l’ai interrogée à ce sujet, elle m’a confié qu'Igor, qu’elle aimait pourtant,
la battait. Elle pleure encore sa mort, malgré les mauvais traitements. Comment un homme peut-il faire du
mal à une femme si douce ? Mon cœur se serre à la pensée de ce qu’elle a dû endurer,
et je sens croître en moi un désir ardent de la protéger, de l’aider à surmonter cette
douleur.
Il m’est de plus en plus évident que les langues parlées ici – cet étrange français
et ce russe à peine reconnaissable – sont d’une manière ou d’une autre liées à la Terre.
Comment cela est-il possible ? Ai-je été transporté dans un monde parallèle, une réplique
déformée de mon propre univers ? Et si tel est le cas, pour quelle raison ? Il me semble parfois
que ce monde tout entier est une vaste énigme, un labyrinthe dont je cherche désespérément
la sortie, ou au moins un semblant de logique.
Pourtant, malgré tout, je ne puis me détourner d’Ekaterina. Son souvenir me poursuit, même
lorsque je tente de réfléchir à ces mystères. Suis-je en train de tomber amoureux d’une
femme de ce monde si différent du mien ? Ou est-ce simplement l’effet de la solitude, de l’éloignement
de tout ce que je connaissais autrefois ?
Les journées passent, et avec elles, ma compréhension de ce monde s’approfondit, tout comme mes sentiments
pour cette femme courageuse. Mais une question demeure : que fais-je réellement ici, et pourquoi ces langues,
ces coutumes, ces personnes me semblent-elles si familières, malgré la distance infinie qui semble
nous séparer de la Terre ?
J’espère que le temps m’apportera des réponses. Mais en attendant, je continuerai d’aider Ekaterina
et de veiller sur elle et ses enfants. C’est, pour l’instant, la seule chose dont je suis certain dans ce monde
déroutant. |
Episode 13
Titre du Journal : La Gazette d'Edelwhen du 10/8/1024
Journaliste : Férith Lindor
Titre de l'article : Le Thaine Adalgrim Brasfort appelle à une alliance stratégique avec Phenixia
Lors de la dernière séance publique du Conseil des Anciens du Comté d'Edelwhen, qui s’est
tenue hier à la salle du Conseil sous une tension palpable, le Thaine Adalgrim Brasfort a dressé
un tableau inquiétant de la situation géopolitique actuelle. Se référant aux événements
tragiques qui secouent les États lointains de Wöll, de Mégathérie et de Samadalah, il
a exprimé son inquiétude quant à une éventuelle propagation du conflit vers nos frontières.
Brasfort a décrit avec gravité la guerre qui oppose ces puissances aux États d’Atavisia, de
LeKanda et de Taïgaria, soulignant que même si ces affrontements se déroulent à une grande
distance, le Comté d’Edelwhen ne saurait se permettre de rester inerte. « Nos forces seules ne pourraient
faire face à un assaut conjoint de ces trois États », a-t-il affirmé, suscitant un murmure
inquiet parmi les Anciens présents.
Certains membres du Conseil ont rapidement soulevé des objections, mentionnant la barrière naturelle
que constitue l’État de Yinchokta, situé entre la zone de guerre et notre comté. « Si
les peuples de Yinchokta sont fiers et habiles, ils sont également divisés et peu nombreux. Ils ne
sauraient constituer un bouclier fiable contre des envahisseurs déterminés », a rétorqué
Brasfort, ne masquant ni son scepticisme ni sa prudence.
Lorsqu’une voix a suggéré d’envisager une alliance avec les peuples de Yinchokta, le Thaine a répondu
qu’il fallait penser au-delà des solutions traditionnelles et locales. « Nous devons voir plus grand.
Le temps presse, et il est impératif d’obtenir l’adhésion à Phenixia sans tarder. C’est en
unissant nos forces à celles de Phenixia que nous pourrons garantir la sécurité d’Edelwhen
face à toute menace. »
La séance s’est conclue sur cette proposition, laissant le Conseil face à une décision cruciale
pour l’avenir du Comté. La stratégie proposée par le Thaine est audacieuse, mais nécessaire
dans un contexte où les menaces extérieures deviennent de plus en plus pressantes. Le Conseil des
Anciens se réunira à nouveau dans les jours à venir pour examiner cette proposition et envisager
les prochaines étapes à suivre. |
Episode 14 (11/08/1024)
Extrait de "L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux"
par Lian Hawkeye, édité aux presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)
Li Weishan, comme on l'appelle ici au Yinchokta, s'était toujours considéré comme un homme
libre, un guerrier indépendant. Depuis ces vingt dernières années sur l'Anneau, il avait appris
à se méfier des alliances trop proches, à préférer la solitude de son propre
chemin. Mais les rumeurs de guerre à Bâbord, cette zone si éloignée et pourtant si proche
dans l'esprit des gens, le laissaient songeur. Ses mains, habituées à manipuler son vieux fusil avec
une dextérité sans faille, tremblaient presque d'excitation à l'idée de se lancer à
nouveau dans la bataille.
Louer son fusil à un camp ou à un autre ? Cette idée le tentait. Depuis son arrivée
sur l'Anneau, il avait toujours survécu en vendant ses talents au plus offrant. Mercenaire, garde du corps,
policier… peu importe la tâche, tant que cela lui permettait de rester maître de son destin. Il avait
aussi appris à tenir sa langue sur ses origines terriennes pour avoir la paix. Pourtant, quelque chose dans
cette guerre l'inquiétait plus que d'habitude. Le combat ne se déroulait pas seulement entre nations
étrangères, il risquait de toucher jusqu'au Yinchokta, ces terres arides qu'il avait appris à
appeler chez lui. Les nouvelles autorités du Yinchokta cherchaient des hommes capables, et il savait que
les Chinois étaient bien vus ici où, sous le nom de Tching, il faisaient désormais partie
de la même nation. Mais ce n'était jamais eux que l'on envoyait en première ligne. Il excellait
pourtant en première ligne… L'adrénaline, le danger, tout cela coulait dans ses veines depuis qu'il
avait quitté malgré lui, dans un battement de coeur qui le laissait toujours dans l'interrogation;
la terre déchirée de Chine en 1937.
Le temps avait passé, les paysages avaient changé, mais son esprit de guerrier était resté
intact. Pourtant, quelque chose en lui commençait à s'user. Cette liberté qu'il avait chérie
au début de son arrivée sur l'Anneau lui semblait aujourd'hui vide, dépourvue de but. Peut-être
que la véritable liberté ne résidait plus dans la simple indépendance, mais dans l'appartenance
à une cause, à un peuple. Les Kotas, ces indigènes, ou plutôt ces « arrivés
avant lui » avec qui il avait tissé des liens au fil des ans, l'avaient surnommé "Wicasa
Ska", l'Homme-Esprit, en raison de son habileté à se mouvoir sans être vu, de sa capacité
à frapper et à disparaître. Ce surnom était pour lui un signe de respect, un honneur.
Et pourtant, il se demandait s'il ne devait pas honorer leur confiance en faisant plus que de se cacher dans l'ombre.
Il s'agenouilla au bord d'une rivière, regardant son reflet dans l'eau claire. Ses traits avaient changé,
mais ses yeux brillaient toujours de la même flamme intérieure, celle qui l'avait poussé à
survivre, à se battre. "Wicasa Ska", murmura-t-il, répétant ce surnom qui résonnait
comme un écho de son passé et de son avenir.
La guerre arrivait, et il savait que rester neutre serait difficile, sinon impossible. Les forces du Yinchokta
cherchaient des hommes comme lui, mais il n'était pas certain de vouloir rester dans l'ombre, loin de l'action,
loin des batailles qui pourraient décider du sort de cette terre qu'il avait adoptée. Peut-être
était-il temps de rejoindre une cause plus grande que lui, de prouver à nouveau sa valeur en première
ligne, même si cela signifiait se soumettre à une hiérarchie.
Finalement, la décision s'imposa à lui comme une évidence. Il s'était trop souvent
contenté d'observer le monde sans y prendre part. Cette fois, il s'engagerait. Il ferait confiance aux nouvelles
autorités du Yinchokta, non pas parce qu'il aimait l'idée de se plier aux ordres, mais parce qu'il
savait que c'était là que son fusil serait le plus utile. Il n'avait plus besoin de prouver son indépendance
; il devait prouver sa loyauté à ceux qui le respectaient.
Se levant, il regarda une dernière fois l'horizon lointain, là où la guerre faisait rage,
avant de se diriger vers le camp d'entraînement le plus proche. La liberté, pensait-il, ne résidait
peut-être pas dans l'indépendance, mais dans le choix conscient de se battre pour quelque chose de
plus grand que soi. Wicasa Ska était prêt. |
Episode 15 (12/08/1024)
Notes de Sir Alexander Wei-Cheng Spencer, Chef du Grand Etat-Major Doublixe Sud.
Transcription du Dialogue entre Boutros el Khoury, Conseiller militaire, Philippe Bondurand, "Humble porte-parole"
des Pacifiques États Confédérés de Phenixia, et Sir Alexander Wei-Cheng Spencer, Chef
du Grand État-Major Doublixe Sud, en présence de Turenne Carnot, Maréchal de Francie.
Boutros entre dans la salle, où une grande carte est déployée sur la table centrale. Les
trois hommes déjà présents se lèvent pour l'accueillir.
Philippe : Marrhaba ya Boutros ! Kifak ya 3amo ? Ahlan wa Sahlan !
Boutros (répondant avec un sourire fatigué) : Mnih, mersi ktir ! Kifak Monsieur Philippe ?
Philippe : Ça va, Dieu merci, ça va.
Boutros : Alhamdulillah.
Philippe (désignant les deux autres hommes) : J'ai souhaité qu'Alex et Turenne se joignent à
nous. Ce sera plus facile de discuter ensemble, et je veux éviter tout malentendu.
Boutros : C’est normal, ya3né. Tu fais de la politique, et il n'y a pas de mal à ça quand
c'est fait dans la clarté. D'ailleurs, j'ai bien pensé aux dimensions diplomatiques avant de te soumettre
mon plan.
Philippe (en insistant légèrement) : De "nous" soumettre ton plan.
Boutros hoche la tête en signe d'assentiment.
Boutros : Masbout. Je comprends que ce sera une décision qui doit faire consensus. Et c’est bien ainsi que
je l’ai pensée. Je n’ai pas besoin de vous rappeler la situation. Toute notre frontière Arrière
Babord est déstabilisée par les troubles qui opposent déjà six États frontaliers
et menacent de s’étendre à deux autres. Depuis une quinzaine de jours, nous avons fait face aux urgences
humanitaires et avons pris soin de nous renseigner.
(Il jette un coup d'œil aux deux militaires.)
Boutros : Oui, je sais que vous avez vos propres sources, et c'est tant mieux. La confiance n’exclut pas le contrôle.
Les deux militaires échangent un regard, esquissent des sourires gênés et protestent poliment.
Boutros reprend, plus sérieux.
Boutros : Il est évident que si nous ne bougeons pas, cette épine restera dans notre pied pour des
mois. Les tentations d'actions séparées de la part des États membres de la Confédération
vont grandir. Il est difficile d'oublier ses lunettes partisanes, et les conflits qui déchirent la région
risquent de réveiller de vieux antagonismes entre nous.
Turenne (prenant la parole pour la première fois) : Je suis conscient que je n’arriverai pas à calmer
nos politiques très longtemps. Chez nous, la presse a choisi son camp. "Les Ombres du Wöll sont
alliées aux Mégathériens qui s’affichent comme doublixes, ils sont donc doublixes, et les
Samadalaiens aussi."
Alex (protestant vivement) : Mais nous n’y sommes pour rien, ou presque ! C’est vrai, nous avons envoyé
des "missionnaires politiques" en Mégathérie, mais nous ne leur avons jamais demandé
d’envahir leurs voisins !
Philippe (calme) : Merci de prouver que nous devons trouver une solution ensemble. Que proposes-tu, Boutros ?
Boutros : Turenne a raison. Le temps est un facteur crucial. Nous devons intervenir vite et fort. Mobiliser beaucoup
de puissance sur un temps très court nous coûtera moins cher financièrement, humainement, et
surtout politiquement, qu'une politique d’apaisement dans la durée. Nous devons montrer nos muscles, en
espérant ne pas avoir à trop s'en servir. Pour éviter que ces affaires externes ne se transforment
en problèmes politiques internes, je propose que ce soit le GHQ Doublixe qui contrôle les forces déployées
en Wöll, Samadalah, et Mégathérie ; les Fédéralistes en LeKanda, Taïgaria,
et Atavisia ; et les Confédéralistes en Yinchokta et Edelwhen.
Turenne (appréciant la proposition) : Astucieux.
Alex : Élégant.
Philippe (concluant) : Astucieux et élégant, c'est parfait. Passons aux détails militaires,
si vous le voulez bien. Qui mobiliser ? Quand et comment les mobiliser ? Comment les acheminer ?
(Ici, pour des raisons de secret défense, mes notes resteront codées jusqu'en 1074, même si
on y trouvera peu de révélations qui n'aient pas déjà transparues dans la presse. Quant
à moi, je ressortis de la réunion très heureux de la solution trouvée qui "nous"
accordait, l'air de rien, un net avantage politique non seulement en Mégatherie, mais aussi chez ses deux
alliés. |
Episode 16 (13/08/1024) "des
amis qui vous veulent du bien"
Journal de Fang Yüan
Je me trouvais dans mon bureau, une petite pièce sobrement aménagée au centre du camp de réfugiés.
Les murs de la cabane étaient faits de bois brut, sans ornements, à l'image de la vie spartiate que
j'y menais désormais. Un jeune coursier entra, essoufflé, une missive à la main. Je reconnus
immédiatement le sceau de Sir Alex Spencer.
Avec des gestes impatients mais précis, je brisai le sceau et dépliai la lettre. Les mots soigneusement
choisis par Alex racontaient la réunion de la veille, les échanges stratégiques avec Boutros,
Philippe, et Turenne. Le ton du message était empreint de cette froide efficacité qui lui était
si familière, mais je perçu entre les lignes une tension, une urgence qui me fit froncer les sourcils.
"Nous devons montrer nos muscles en espérant ne pas avoir à trop nous en servir." Ces mots
résonnèrent en moi, éveillant un mélange de fierté et de tristesse. Je me souvenais
du temps où moi aussi, j'étais au cœur de l’action, prenant des décisions sur le terrain.
Maintenant, j'étais dans l’ombre, orchestrant les mouvements des autres, me fiant à leur jeunesse
et leur vigueur.
Je relu le message deux fois, m’assurant de bien saisir chaque nuance. L’opération à venir en Megathérie
nécessitait une préparation minutieuse. Alex faisait confiance à mes agents sur place pour
s'assurer que l’arrivée des troupes doublixes se ferait en douceur, sans déclencher la fureur des
Megathériens. C’était un plan audacieux, mais les risques étaient considérables.
J'entendis alors des pas lourds qui s’approchaient de la cabane. Selkane Glacemont arrivait. À peine eut-elle
franchi la porte que je fus frappée par l’apparence de la jeune femme. Grande, avec des cheveux châtain
aux reflets roux encadrant un visage où se mêlaient force et douceur. Ses yeux, légèrement
bridés, me rappelaient mes propres traits dans une autre vie. Le visage de Selkane, rond et gracieux, portait
les marques d’une beauté naturelle qui n’avait rien à envier à celle qu'on me prêtait
autrefois.
Selkane s'inclina légèrement en signe de respect avant de s'asseoir, visiblement épuisée
par le voyage. Je remarquai les traces de boue sur ses bottes, les plis froissés de son manteau. Le cheval
qui l’avait portée jusque-là devait être à bout de forces.
« Bienvenue, Selkane, » dis-je en la regardant avec toute la chaleur sincère que j'éprouvais
pour elle. « Je suis contente que tu sois arrivée sans encombre. Nous avons beaucoup à faire,
et peu de temps. »
Selkane hocha la tête, attentive. Je fis un signe à l’un de mes assistants pour qu’il apporte de l’eau
chaude et des serviettes pour la jeune espionne. Je sentait en moi une fierté mêlée de nostalgie.
Selkane était comme un reflet de mon passé : intrépide, belle, dotée d’une intelligence
vive et d’un courage indomptable. Elle me rappelait les jours où je parcourais les routes, mission après
mission, avec cette même détermination.
« Sir Alex m’a informée de la situation, » continuai-je, posant le message sur la table. «
Notre priorité est d’assurer que l’arrivée des troupes doublixes en Megathérie soit perçue
comme une libération, non une invasion. Tu devras travailler dans l’ombre pour influencer les leaders locaux,
rassurer les populations, et semer des messages favorables à notre présence. »
J'ai marqué une pause, observant la réaction de Selkane, qui écoutait en silence, ses yeux
alertes absorbant chaque mot.
« C’est une tâche délicate, mais je sais que tu es la mieux placée pour la mener à
bien. Discrètement, tu devras établir des contacts avec les cadres du parti, utiliser les informations
que nous possédons pour appuyer nos propositions et prévenir toute résistance armée.
Il est essentiel que nous soyons vus comme des alliés, prêts à aider, et non comme des agresseurs.
»
Selkane acquiesça, ses lèvres esquissant un léger sourire de compréhension. Elle savait
ce que cela impliquait : des négociations secrètes, des échanges subtils d’informations, la
manipulation des rumeurs et des peurs pour servir notre cause.
Alors que Selkane se préparait à repartir, je l’arrêtai d’un geste.
« Laisse ton cheval ici, Selkane, » dis-je avec douceur. « Il est épuisé, et il
a besoin de repos. Je veillerai personnellement à ce qu’il soit bien soigné. Pour ton retour en Megathérie,
tu prendras un dirigeable de nuit. C’est plus sûr et plus rapide. »
Selkane s’inclina à nouveau, reconnaissante. Alors qu'elle sortait, je la regardai une dernière fois,
une pointe de nostalgie se glissant dans mon cœur. Le temps avait fait de moi une femme d’ordre, une stratège
dans l’ombre, mais je me souvint avec tendresse des jours où j'étais cette jeune femme pleine de
fougue, plongeant tête baissée dans le danger.
En refermant la porte derrière Selkane, je songeai qu'il me restait encore deux autres agents à rencontrer
dans la journée. Ils avaient besoin des mêmes instructions, adaptées aux complexités,
encore plus grandes, du Wöll et du Samadalah. Mais pour l’instant, ce dont j'avais le plus besoin, c'était
d'une tasse de Oolong pour digérer mon trop plein de nostalgie. |
Les Ombres du Wöll - épisode
17 (14/08/1024)
Journal de N'Kosi M'Baku
Chaque matin, je me réveille avec l'espoir de sentir le parfum des terres ancestrales, la douce mélodie
des tambours qui résonnent à travers la savane. Mais ici, dans ce camp de réfugiés,
le silence pèse, lourd comme la nuit. Les visages que je croise, sculptés par le soleil et les épreuves,
sont des miroirs de ma propre âme.
Cinq jours ont passé, cinq jours comme les doigts de la main du temps, comme les couronnes d'un baobab.
Je suis dans un ailleurs, une terre étrangère dont les vents murmurent les récits de peuples
disparates, tissés ensemble par les fils de l'histoire et de la migration. Mes frères et sœurs du
LeKanda, disséminés comme les graines du flamboyant, portent en eux la mémoire d'un pays blessé
par la guerre.
Cinq jours ont passé, cinq jours aussi lourds que le cœur de l'homme qui pleure sa terre natale. Ici, le
camp bruisse de rumeurs comme les arbres frémissent sous le souffle des alizés. Mes enfants m'apportent
ces murmures de changement et de bouleversement. On chuchote que Phenixia va étendre sa main puissante au-delà
de ses frontières, que loin vers l'Avant, les anciens et puissants États rappellent leurs réservistes,
se préparant pour des temps troubles.
Notre propre camp de réfugiés, disent-ils, jouera un rôle essentiel dans cette nouvelle ère
qui se dessine. Je vois des personnes étranges aller et venir dans le bureau de la direction, comme si le
vent du changement les portait, mystérieux et insaisissables. Mon fils, la fougue de la jeunesse en lui,
veut s'engager, offrir sa force à la cause qui l'appelle. Ayo, sa mère, use de toute sa sagesse pour
le dissuader, craignant pour sa vie comme pour sa lumière.
Les voix murmurent que LeKanda pourrait adhérer à Phenixia. C'est une idée nouvelle, un murmure
qui s'est transformé en rugissement. D'où vient cette rumeur ? Nul ne le sait, mais aujourd'hui,
c'est sur toutes les lèvres. Certains sont pour, voient en cela une lueur d'espoir. D'autres sont contre,
craignant de perdre encore un morceau de notre identité. Ayo, ma femme, la guérisseuse au grand cœur,
et moi, l'ancien maire, sommes profondément impliqués dans l'aide à nos compatriotes ici.
L'idée de participer à une action militaire de reconquête semble lointaine, presque irréelle.
Mais une chose est sûre : quelque chose a changé. Nous sommes toujours plongés dans la peine
de l'exil, le deuil de nos morts, l'inconfort de ce camp. Pourtant, un espoir semble avoir surgi, comme une fleur
qui éclot dans les déserts arides de notre désolation.
Chaque soir, sous le ciel étoilé, je médite sur ma destinée. Mes rêves sont peuplés
de visions de paix et de réconciliation. Le LeKanda renaîtra, comme l'herbe après la pluie,
vert et vigoureux, fort de son histoire et de ses fils. Que les esprits de nos ancêtres nous guident et nous
protègent. Que la flamme de notre résistance ne s'éteigne jamais.L'espoir a germé dans
le terreau de notre douleur, fragile et précieux. Que les ancêtres nous guident, que nos esprits brisés
trouvent le chemin de la guérison. Que notre terre retrouve sa dignité et que nos cœurs retrouvent
leur paix. |
Les Ombres du Wöll - épisode
18 (15/08/1024)
Rapport à Akkyly Zubr, Sagerekh de l'Assemblée des chefs de Taïgaria
Objet : Rapport sur la situation au front Avant-Tribord
Date : 14 août 1024
Auteur : Jorma Petrovich, Sovetnik-Poslannik du Sagerekh
Commandant en charge : Commandant Igor Volkov
1. Contexte opérationnel : Le Commandant Igor Volkov mène depuis 12 jours des opérations
de retardement contre l'offensive conjointe des forces du Wöll et de la Mégathérie. Depuis l'attaque
initiale à l'avant-poste situé à l'angle Avant-Tribord des frontières de Taïgaria,
Volkov a ordonné un repli stratégique visant à préserver ses effectifs et à
retarder l'ennemi autant que possible.
2. Pertes et dommages : Le Commandant Volkov déplore la perte d'une cinquantaine de soldats, y compris
son bras droit, le redoutable éclaireur Mikhail Nenetsoff, dont l'absence à la suite d'une énième
mission de reconnaissance est fortement ressentie. Ce dernier n’a jamais pu revenir à sa base, laissant
un vide dans l’organisation tactique de la compagnie.Territorialement, les forces ennemies sont parvenues jusqu'aux
faubourgs de Krasnograd que les troupes ont fortifié avec des barricades improvisées. Ce point d'appui
ne pourra résister longtemps, et des lignes de repli sont prévues.
3. Renforts et stratégie actuelle : Aujourd'hui, le Commandant Volkov a accueilli un bataillon de 400
fantassins montés sur rennes, sous le commandement du Lieutenant-colonel Dmitri Petrov. Ancien camarade
de Volkov de l'école militaire, Petrov lui a confié avoir entendu des rumeurs sur une éventuelle
intervention de Phenixia en faveur de Taïgaria. Bien que ces informations ne soient pas confirmées,
elles constituent une base solide pour motiver les troupes à maintenir leur position et à maximiser
l’efficacité des actions de retardement.
4. Sentiments et état d’esprit : Le Commandant Volkov est profondément indigné par l’attaque
des Wöllers, menée sans déclaration de guerre préalable. Toutefois, l’arrivée
des renforts et la possibilité d’un soutien de Phenixia insufflent un nouvel élan à ses hommes.
Volkov s’engage à continuer à combattre, quelle que soit la situation, mais se réjouit de
pouvoir insuffler un regain de moral parmi ses troupes grâce à ces nouvelles perspectives.
Conclusion : Le Commandant Igor Volkov maintiendra une stratégie de défense dynamique et coordonnée,
tout en s’assurant de minimiser les pertes et de maximiser l’effet des renforts récemment intégrés.
Une mise à jour régulière de la situation sera fournie à l’État-Major pour informer
des évolutions sur le terrain.
Signé : Jorma Petrovich, Sovetnik-Poslannik du Sagerekh |
Les Ombres du Wöll - épisode
19 (16/08/1024)
Journal de Philip Nigel Blake, 16 août 1024
Je suis encore au village de Shuluta, ici en Taïgaria. Les nuits sont fraîches, et hier soir, je me
suis retrouvé devant la cheminée, où Ekaterina s’est assoupie sur mon épaule. Elle
était épuisée par son travail à la cordonnerie, ses mains usées par le cuir
et le fil. Quant à moi, les travaux des champs m’avaient vidé de mon énergie, mais c’est un
autre genre de fatigue qui m’a gagné alors que sa respiration régulière résonnait contre
moi. J’ai ressenti un trouble délicieux, comme un écho lointain de sentiments que je croyais perdus.
Lorsque la bûche a craqué dans le feu, Ekaterina s’est réveillée. Ses yeux d’abord égarés,
puis un faible sourire, avant que ses yeux ne se brouillent de larmes. Elle s’est levée, confuse, et s’est
retirée sans un mot. Je suis resté seul devant le feu, le cœur serré.
Depuis 3 jours, le village a une nouvelle tournure. Les soldats mégathériens qui avaient occupé
les lieux sont partis vers la ligne de front, et à leur place sont arrivés des administrateurs. Beaucoup
d'entre eux sont des Taïgariens on les reconnaît à ce que le XX de leur brassard est noir sur
vert pale, tandiss que les Megatheriens le portent Or sur bleu marine. Ils s’efforcent d’inculquer aux habitants
l’idéologie doublixe, prônant une égalité sous la direction du Parti et supposément
protectrice des plus faibles. Cela me rappelle étrangement les discours de nos Trade Unions à Manchester,
bien que leurs méthodes paraissent autoritaires et restrictives, une main de fer sous un gant de velours.
Ici, les habitants semblent tous dignes et égaux dans la misère et ce discours ne rencontre pas beaucoup
d'échos, surtout moins de deux semaines après l'attaque violente qu'il justifie.
Les rumeurs vont bon train. On dit que l’armée taïgarienne a lancé une contre-attaque audacieuse
et victorieuse contre les mégathériens, appuyée par leurs Momaths. Ce mot est nouveau pour
moi, mais il semble que ce soient de gigantesques mammouths de guerre, un atout redoutable sur le champ de bataille.
Une autre rumeur, plus inquiétante, évoque une intervention de Phenixia. Les Phéniciens sont
divisés, et personne ne sait encore vers qui se tournera leur soutien. L’incertitude règne, et l’avenir
est voilé de mystère.
J’essaie de garder la tête froide, mais le poids de ces événements et la présence d’Ekaterina
troublent mes pensées. |
Les Ombres du Wöll - épisode 20 (17/08/1024)
Extrait des "Stances de Benedikt"
un poème en prose anonyme paru en 1032 dans un magazine de Wöllbaden
Je n’ai plus de nom depuis longtemps. Je m’en souviens à peine, car depuis que j’ai été
saisi par le Mal de Mangiagobie et que j’y ai survécu, cela n’a plus aucune importance. Plus rien ne compte
vraiment pour moi, à part l’avenir du Wöll. Mon œuvre. Une nation nouvelle qui est aussi chère
à mon cœur que ma propre vie.J’ai voulu que cette nation soit libre, indépendante, autogérée
par ses habitants. J’ai voulu la fraternité entre eux et la liberté pour chacun. Une nation d’hommes
libres, solitaires et solidaires, tels que je m’étais imaginé moi-même.
J’ai refusé tout rôle officiel, et j’ai organisé avec soin le système des décisions
collectives, pour que le peuple puisse se passer de moi. Pourtant, chaque année, le comité, tiré
au sort, s’obstine à me reconduire en tant qu’Unbenannterführer, le « Guide Anonyme ».
Le « Tugendanbetung » me lie profondément. Cette notion, qui pourrait se traduire par «
Culte de la Vertu », imprègne toute la société Wöller. Je me suis toujours inspiré
des travaux de Rutger Wasseren, écrivain, poète et musicien, né en 943 et mort du Mal de Mangiagobie
en 1003.
M’interdire d’intervenir dans le débat public et me contenter de gérer l’exécution des décisions
prises par le peuple, sans jamais donner mon opinion, c’est ce que j’ai choisi. Cependant, tout le monde croit
que je tire les ficelles dans l’ombre. L’idée m’a parfois tenté. Notamment lorsque ce que je soupçonnais
comme une campagne d’influence mégathérienne a poussé les Wöller à intervenir
militairement chez nos voisins. Quelle folie ! Mais ma vertu me défend une telle trahison, et j’ai fait
de mon mieux pour mettre l’armée dans les meilleures conditions pour exécuter les décisions
qui avaient été prises.
Cependant, ce que Rudolf m’a révélé me met au pied du mur. Je dois prendre une décision.
L’agent double a découvert les plans de Phenixia. Rudolf avait été chargé par une espionne
du GHQ Sud XX, rencontrée dans un camp de réfugiés, de les appliquer en favorisant une intervention
militaire doublixe au Wöll. Au lieu de cela, il a dévoilé le pot-aux-roses au Guide Anonyme,
et c’est désormais à moi de trancher.
Une vision étroite de mon devoir m’aurait conduit à dénoncer publiquement ce plan. Mais les
conséquences seraient désastreuses. Les Wöller risqueraient de se déchirer entre les
partisans du doublixe, une idéologie que beaucoup regardent avec bienveillance et qui imprègne déjà
une grande partie des décisions prises par les citoyens du Wöll, et ceux qui seraient outrés
d’une intervention extérieure dans nos affaires.
Une option moins risquée serait de jouer le jeu et de se rallier au plan phénixien en feignant de
les appeler à l’aide. Ainsi, en tant qu’invités et non envahisseurs, les troupes phénixiennes
(dont Rudolf a l’assurance qu’elles seraient sous commandement doublixe) seraient bien accueillies et partiraient
rapidement. Mais cela implique deux conséquences.
La première est l’arrêt de l’intervention du Wöll dans la guerre en cours. Cela ne me pose aucun
problème, bien au contraire.
La seconde, et c’est un déchirement, est la fin de l’indépendance du Wöll et son intégration
dans Phenixia.
Comment sauver l’honneur ? Une idée folle me traverse l’esprit. Et si le Wöll était le premier
État à rejoindre cet élargissement ? Si, au lieu de se contenter d’appeler Phenixia à
l’aide, je proposais, en sortant pour une fois de ma neutralité, une adhésion pleine et entière
? Si je mettais dans la balance ma démission, tout en m’engageant de toutes les manières à
n’exercer mon rôle de guide qu’une seule année supplémentaire ?
Guide Anonyme, cela fait déjà neuf ans que je le suis. Le repos, la paix, et redevenir moi-même,
un citoyen comme les autres. Comment je m’appelais déjà ? Ah oui… Benedikt. Mais Benedikt comment
? |
Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen
de l'Université Nationale d'Atavisia.
18/8/1024 - Les ombres du Wöll (épisode 21)
Je me souviens de ce jour comme si c'était hier, bien que je n'aie appris tous les détails que
bien plus tard, après des années de recherche et d'études. J'étais un enfant alors,
un simple garçon de douze ans, élevé au sein des forêts et des montagnes, habitué
à la chasse, à la cueillette, et au cycle éternel de la nature. Le monde que je connaissais
se résumait aux arbres, aux rivières, et aux bêtes qui parcouraient notre terre ancestrale.
Mais en ce jour du 15 août 1024, tout cela a changé.
Les troupes Samadaliennes nous avaient chassés de notre village, et nous avions reculé sans cesse
vers "l'Avant", là où l'Anneau s'étendait, où la terre semblait tourner sans
fin. Onze jours de marche harassante, guidés par la seule volonté de survivre, et c'est là
que nous sommes arrivés à la frontière de Phenixia. Je n'oublierai jamais l'émerveillement
qui a saisi mon cœur d'enfant lorsque j'ai vu pour la première fois ce centre d'accueil, un lieu empli de
merveilles inimaginables pour un petit chasseur-cueilleur Atavisian.
**Des merveilles, oui...** Je me rappelle encore avoir été fasciné par une boîte en
fer, plus grande qu’un homme, qui soufflait de l’air frais en plein été. Plus tard, j'ai appris qu'on
l'appelait une "machine à refroidir", un réfrigérateur, mais à l’époque,
cela me semblait de la pure magie. Je revois aussi ces étranges bâtons, que les hommes de Phenixia
utilisaient pour capturer la lumière du jour et la faire briller la nuit. Des lanternes électriques,
m’a-t-on dit plus tard, mais pour moi, ce n’était rien de moins qu’un feu enfermé dans une cage de
verre. Et puis, ces petits objets qui permettaient sans effort de créer une flamme instantanément
d'une seule main ! J’ai su plus tard que c’étaient des briquets. J'admirais aussi avec quel talent
les Phénixiens polissaient le bois et en faisaient des planches parfaitement lisses et droites pour construire
leurs solides huttes, j'ignorais qu'ils utilisaient pour cela des machines dont je ne soupçonnais pas l'existence.
Ah, quelle naïveté, quelle ignorance !
Mais la fascination laissa bientôt place à l'inquiétude. Mon père, Torg, n'était
pas homme à rester inactif, même en ces temps d'exil. Deux jours après notre arrivée,
le 17 août, il se leva à l’aube, prêt à repartir. Je revois encore ses yeux sombres,
son visage déterminé lorsqu'il a dit à ma mère Eyla et à moi-même qu'il
devait transmettre un message d'espoir. Il parlait de ce message comme s'il portait sur ses épaules le destin
de toute notre tribu, et peut-être était-ce vrai. Il nous a expliqué qu'il devait rejoindre
le Chef des Chefs, celui qui continuait de se battre contre les envahisseurs, celui qui tenait encore la ligne
malgré tout. Le nom de ce chef m’est maintenant familier, mais à l'époque, c'était
un nom lointain, presque mythique. **Ankhu**, c’était son nom. Torg devait lui dire de reculer, de se replier
tout en gagnant du temps, de ne pas chercher à faire plus de pertes parmi l'ennemi, mais plutôt à
préserver ses forces. Ce n’était pas une mission de bravoure sauvage, mais de sagesse stratégique,
une leçon apprise dans la dure école de la guerre.
Avant de partir, l’officier Phenixien, un certain Charles, avait confié à mon père une petite
statuette. Elle était modeste, taillée dans un bois sombre, mais elle portait en elle une signification
profonde. Charles avait reçu cette statuette de la main même d'Ankhu, lorsqu’il avait visité
notre terre, s'était comporté en ami, respectueux de nos coutumes et de nos traditions. C'était
un symbole de confiance, un gage d'alliance, et Torg devait l'apporter au Chef des Chefs pour qu'il sache que le
message venait d'un allié, d'un ami. Mon père s'en est allé avec cette statuette, gravissant
les sentiers escarpés vers l'Arrière, vers la guerre, vers le destin.
Je le revois encore, se retournant une dernière fois avant de disparaître derrière la colline,
sa silhouette forte et déterminée se détachant contre le ciel. Il ne savait pas, je ne savais
pas, si nous le reverrions un jour. Mais je savais que, quoi qu’il arrive, il ferait tout ce qu’il pouvait pour
nous sauver, pour sauver notre peuple.
J'ai su depuis que Charles avait promis à l'Ankhu, par la voix de mon père, qu'une puisssante armée
Phenixienne venait à notre secours. Et qu'unis, Atavisians et Phenixiens allaient reprendre nos territoires
de chasssse traditionnels.
Il y a tant de choses que je ne comprenais pas alors, que j’ai dû apprendre, redécouvrir au fil des
années. Mais une chose est restée gravée dans ma mémoire, inchangée par le temps
: la force inébranlable de mon père, sa déterm ination à protéger les siens,
même au prix de sa propre vie. Ce souvenir, je l'ai porté avec moi, tel un flambeau dans l'obscurité,
jusqu'à ce jour où moi aussi, je suis devenu un guide pour les miens.
Et aujourd'hui, je m'amuse de ma propre naïveté d'alors, mais je reste humble devant le courage et
la sagesse que mon père m'a légués, bien au-delà de ce que j'aurais pu comprendre à
l'époque.
---Ainsi, l'histoire de Torg et de sa mission a été transmise, non seulement comme un récit
de bravoure, mais comme une leçon de stratégie, de sacrifice, et d'humanité, qui a marqué
à jamais notre peuple. |
19/8/1024 - Les ombres du Wöll
(épisode 22)
**Journal de Takeshi Amir, Gaimu Sangi du Samadalah**
*Extrait : 19 août 1024*
Aujourd'hui, Li Mei est revenue de Phenixia. La matinée était fraîche, et un étrange
pressentiment alourdissait l'air. Li Mei, que ses collègues appellent respectueusement "Yuki,"
m'a rejoint dans la salle de réception du Dajokan, son visage d'une beauté froide dissimulant habilement
toute émotion. J'avais placé de grands espoirs dans sa mission, espérant que son charme et
son esprit parviendraient à neutraliser l’ardeur phénixienne à se mêler de nos affaires.
Mais dès qu’elle a posé les yeux sur moi, je savais que ses nouvelles n’étaient pas bonnes.
Elle s'est assise avec une grâce calculée, presque distante, mais je pouvais sentir la tension sous
son calme. J'ai posé la question sans détour : « Quelle est la réponse de Phenixia ?
»
Li Mei a pris une profonde inspiration, ses yeux sombres se plissant légèrement. « Seigneur
Amir, Phenixia ne restera pas neutre. Au contraire, elle prépare une invasion à grande échelle.
Leur décision est déjà prise, et leurs forces sont en mouvement. »
Le choc de ses paroles m'a frappé comme une gifle. Une invasion ? Comment avions-nous pu sous-estimer leur
ambition à ce point ? Avant que je ne puisse formuler une réponse, elle a ajouté, ses mots
soigneusement choisis : « Les troupes phénixiennes seront conduites par les Trysommiens. Vous savez
combien ils sont proches de nous, culturellement et idéologiquement. Leur idéologie doublixe, cette
égalité centralisatrice, n'est-elle pas une forme proche de ce que nous prônons déjà
ici, au Samadalah ? »
Je me suis reculé, perplexe. Était-ce une tentative de justification ? Li Mei a poursuivi, sans laisser
la place à ma confusion de se transformer en révolte. « Les Phénixiens viennent en tant
qu'amis, non comme conquérants. Ils respecteront notre Empereur, notre religion, notre mode de vie. »
Il y avait dans ses mots un calme rassurant, presque hypnotique. J’ai senti ma résistance vaciller, alors
qu'elle peignait cette invasion inévitable sous les couleurs d'une alliance, d’une transition douce. Elle
jouait avec une subtilité remarquable sur l'idée de la continuité et du respect, adoucissant
l'idée même d'une capitulation.
« Vous voyez, Seigneur Amir, » a-t-elle poursuivi, « l'intégration du Samadalah dans la
Confédération phénixienne pourrait être notre plus grand triomphe diplomatique. Nous
n'avons jamais souhaité l'annexion de nos voisins, nous avons simplement cherché à défendre
notre idéologie, nos amis et faire respecter nos frontières et notre autonomie. En accueillant Phenixia
comme une alliée et non comme une ennemie, nous aurons prouvé notre sagesse et notre force, et nous
sauverons la face. »
Ses paroles ont trouvé un écho en moi. N'était-ce pas là, après tout, ce que
nous avions toujours voulu ? La préservation de notre culture, de notre religion, tout en intégrant
une force qui pourrait garantir notre avenir ? La pensée a germé en moi, d'abord fragile, puis s'est
renforcée à mesure que Li Mei poursuivait, tissant habilement la toile d'une acceptation presque
volontaire.
J'ai acquiescé lentement, mon esprit se nourrissant de ses arguments. « Oui… vous avez raison, Li
Mei. Peut-être est-ce là l'occasion pour le Samadalah de prendre place au sein de cette nouvelle ère,
en tant que membre respecté de Phenixia. »
Elle a souri, presque imperceptiblement, et c'est alors que j’ai su que l'idée était désormais
la mienne, bien que subtilement plantée dans mon esprit par ses mots. « Je vais soumettre cette proposition
à l'Empereur, » ai-je déclaré, convaincu de l'opportunité historique qui se présentait
à nous.
Li Mei s'est levée, s'inclinant légèrement. « Votre sagesse guidera notre nation, Seigneur
Amir. »
Quand elle est partie, j'ai contemplé longuement les implications de cette décision, sans me rendre
compte que j'étais devenu l'instrument d'une manœuvre habile, une marionnette dans un jeu bien plus grand
que ce que j'avais imaginé. Pourtant, j'étais certain que l'idée était venue de moi,
le fruit de ma propre réflexion. |
Carnet de N'Kosi M'Baku
20/8/1024 Les Ombres du Wöll (épisode 23)
La brume du matin s'estompe à peine lorsque mon fils, T'Chaka, franchit le seuil de notre hutte. Son
visage, malgré les ombres que la guerre y a dessinées, est illuminé par une lumière
intérieure, comme un guerrier qui aurait capturé le soleil dans son cœur. À ses côtés,
sa sœur, encore jeune et innocente, le regarde avec une admiration qui me transperce. Lui, le garçon que
j'ai vu grandir, devenir homme, puis guerrier, est revenu du front. Et moi, son père, je suis resté
en arrière, à m'occuper des réfugiés, à protéger les nôtres de
loin. Était-ce là la bonne décision ?
Mon cœur se serre de doutes. Ai-je failli à mon devoir de père en le laissant partir, armé
de cette seule détermination que je lui ai insufflée ? Ai-je été faible en choisissant
de rester, en me cachant derrière la responsabilité de guider les nôtres dans ce moment de
détresse ? Pourtant, je me dis que chaque pas de T'Chaka, chaque coup qu'il porte à l'ennemi, est
aussi un acte de ma propre volonté, une extension de ma force et de mes espoirs. Mais cela ne suffit pas
à apaiser l'inquiétude qui me ronge. Ma femme et moi avions tenté de le retenir, de le convaincre
que le front n'était pas sa place, qu'il était trop jeune. Mais l'ardeur qui brûlait dans ses
yeux ce jour-là était celle de son oncle Zuri, celle de nos ancêtres, celle du guerrier invincible
que le destin avait déjà marqué de son sceau.
Il n'avait laissé derrière lui qu'un simple mot, griffonné à la hâte, sur notre
table : « Je dois faire mon devoir et venger Oncle Zuri. Prenez soin de vous. Je vous aime. Je vous promets
d'être prudent. » Que pouvait-il bien savoir de la prudence, ce fils dont le cœur battait au rythme
des tambours de la guerre ? Et pourtant, j'y ai lu toute la force de son amour pour nous, tout le poids de son
devoir. Je ne pouvais plus l'empêcher de suivre son chemin.
Aujourd'hui, en cet instant où il se tient devant moi, je ne vois plus l'enfant que j'ai étreint
tant de fois. Il est devenu le reflet de ses aînés, de ceux qui ont porté notre nom avec honneur.
L'un de ses compagnons de guerre, un homme marqué par le combat, me glisse à l'oreille que T'Chaka
a fait honneur à notre famille, qu'il a combattu avec une bravoure qui a rappelé aux vieux guerriers
la mémoire de Zuri. Mon cœur, gonflé de fierté, bat avec force dans ma poitrine, mais aussi
avec la douleur sourde de l'inquiétude. Car je sais que ce chemin est dangereux, que le sang appelle le
sang, et que la guerre ne laisse derrière elle que des cicatrices invisibles.
Avant qu'il ne reparte, je le vois, différent, transformé. Il est heureux, débordant de joie,
comme si quelque chose de grandiose s'était révélé à lui. Je le force à
me dire ce qui illumine ainsi son visage. Et là, dans un souffle presque inaudible, il me révèle
son secret : « Ne le dis à personne, père. Les Phénixiens arrivent. Je dois avertir
le front : plus que quelques jours à tenir. »
Mon cœur se met à battre à la mesure de l'espoir. Les Phénixiens arrivent. Ce sont les mots
d'une promesse, la lueur d'une aube nouvelle. Mais aussi, je le sais, le signe que le combat n'est pas encore terminé.
Je vois dans les yeux de mon fils cette flamme indomptable, et je comprends que son destin est lié à
celui de notre peuple. Je le regarde partir, et je me demande si je le reverrai, ce fils que je ne reconnais plus,
ce guerrier qui porte en lui l'avenir de notre lignée. Mais je le laisse partir, car c'est ainsi que doivent
se dérouler les choses. Nous sommes des fils et des pères, des guerriers et des protecteurs, liés
par le sang et par l'honneur. Et je prie pour que les ancêtres veillent sur lui, tandis qu'il retourne affronter
notre destin.
Je reste là, planté comme un arbre sous la tempête, le vent de la guerre soufflant autour de
moi, mais mes racines, elles, plongent dans la terre de notre histoire. T'Chaka est ma fierté, ma chair,
mon sang. Et dans cette guerre qui nous déchire, il est aussi mon espoir. Que les dieux le protègent,
que les ancêtres le guident, car l'avenir du Lekanda repose désormais sur ses épaules, comme
sur les miennes, celles de son père. |
Les Ombres du Wöll - Episode 24 (21/08/1024)
Carnet de notes de Philip Nigel Blake
Camp du Commandant Volkov 60 km à l'Avant de Shuluta (Taïgaria)
Je ne sais plus combien de jours se
sont écoulés depuis que j’ai quitté le village de Shuluta, abandonnant Ekaterina et tout espoir
de comprendre ce monde étrange dans lequel je me suis réveillé. La distance entre nous est
désormais aussi vaste que l'espace qui me sépare de mon Angleterre natale, cette Angleterre qui semble
maintenant appartenir à une autre vie, presque à un autre homme. Le souvenir d'Ekaterina, assoupie
contre mon épaule, me hante pourtant, et je me demande si j’ai bien fait de partir sans un mot, convaincu
qu’elle ne partageait pas mes sentiments.
Me voilà maintenant engagé dans un autre combat, cette fois-ci aux côtés du commandant
Volkov, un homme de la trempe des officiers que j’ai connus durant la Grande Guerre. Ce qu'il lui manque en stature,
il le compense par une détermination farouche, et je perçois dans ses yeux l'éclat de celui
qui est prêt à tout sacrifier pour son pays. L'armée taigarienne est en pleine retraite, forcée
de céder du terrain devant l’avancée implacable des forces coalisées du Wöll et de la
Mégathérie.
Volkov a accepté ma présence à contrecœur. C’est un homme de peu de mots, et notre communication
est pour le moins hasardeuse. Heureusement, il comprend quelques bribes d’anglais, et j’ai réussi à
m’accrocher aux quelques mots de russe qu’Ekaterina m’a appris. Malgré ces obstacles linguistiques, il a
vu l’utilité de mes conseils, surtout lorsqu’il s’agit de renforcer nos positions défensives.
Les souvenirs de la Somme me reviennent en force. Les tranchées, ces cicatrices béantes dans la terre,
où la vie et la mort se côtoient en permanence, étaient notre seule protection contre l’enfer
d’acier qui nous pleuvait dessus. J’ai proposé à Volkov de creuser des tranchées ici aussi,
pour fortifier notre ligne et retarder l'ennemi. Ce sol étranger, si différent de celui de France,
semble prêt à accueillir une nouvelle génération de combattants.
À mesure que nous creusions, je me demandais ce que je faisais ici. C’était comme si le sort avait
décidé de me faire revivre les horreurs de la guerre, mais dans un cadre encore plus étrange.
Les soldats taigariens travaillent en silence, leurs visages marqués par la fatigue et la résignation,
mais aussi par une flamme intérieure que je reconnais bien. Cette flamme, c'est l’espoir ténu de
survivre, de voir un jour où tout cela ne sera plus qu’un mauvais rêve.
Ce matin, Volkov a reçu un ordre qui a tout changé. Nous devons nous replier vers « l'Avant
», cette mystérieuse direction que les Taigariens considèrent comme une sorte de salut. Les
troupes Phénixiennes, alliées inattendues, sont censées arriver bientôt pour nous renforcer.
Ce retrait n’est pas une fuite, mais une manœuvre stratégique pour minimiser les pertes, tout en nous préparant
pour une nouvelle offensive, plus puissante, avec l’aide des Phénixiens.
Je me sens étrangement à ma place ici, comme si toutes les batailles passées m’avaient préparé
à cet instant précis. Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser à Ekaterina. La guerre
a une manière cruelle de mettre de côté les sentiments personnels, de les reléguer au
second plan. Mais dans les moments de calme, entre deux ordres, je me surprends à rêver que tout ceci
n’est qu’un cauchemar, et que je vais me réveiller à Shuluta, près d’elle.
Pour l’heure, je suis résolu à me battre. Pour Volkov, pour ces hommes, et peut-être, quelque
part dans mon cœur, pour prouver à moi-même que je ne suis pas encore vaincu par ce monde étrange.
Si les Phénixiens arrivent à temps, si nous parvenons à tenir, alors peut-être que ce
sacrifice n’aura pas été vain. Peut-être que ce monde, aussi étrange soit-il, a encore
quelque chose de bon à offrir.
Demain, nous partons pour l’Avant. Que Dieu nous vienne en aide. |
Episode 25 (22/08/1024)
Extrait de L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux
par Lian Hawkeye, Presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)
Chapitre XIII : Le Festin des Résolutions
Le soleil déclinait doucement sur les collines d'Edelwhen, teintant le paysage d’une lueur dorée
qui semblait s’infiltrer jusque dans la grande salle du Thaine Adalgrim Brasfort. Les longues tables en bois sombre
étaient chargées de mets savoureux : tourtes à la viande épicée, légumes
rôtis, et pains frais au miel. De grandes chopes de bière circulaient sans interruption, le liquide
ambré scintillant dans la lumière des chandelles. L’ambiance était celle d’un festin qui aurait pu durer des heures, un moment de répit
dans un monde au bord du précipice.
Assis parmi les convives, Li Weishan observait les visages souriants des Nimlothrim, ces gens robustes et hospitaliers.
Pourtant, derrière leurs yeux pétillants d'enthousiasme se dissimulait une méfiance subtile.
Li, malgré les honneurs qui lui avaient été rendus, savait qu'il n’était ici qu’un
étranger, un porteur de nouvelles sombres que nul n’était pressé d’entendre.
La Tante Suprême Shunala Greyhawk lui avait confié cette mission, consciente des compétences
de Li, mais aussi de son caractère taciturne, presque mystérieux. Lui, qui autrefois arpentait les
montagnes de Chine, se retrouvait à présent à négocier l'avenir d'un pays étranger,
dans un contexte tout aussi étranger. Sa réputation le précédait, mais il n’était
pas dupe : ici, sa parole n’aurait d'impact que si elle parvenait à éveiller chez Adalgrim une compréhension
aussi profonde que celle que lui avait transmise Shunala.
Le Thaine Adalgrim Brasfort, un homme au visage rond et aux joues légèrement rosies par l’alcool,
se pencha en avant, ses mains fermes s’agrippant à sa chope. Il écoutait Li, mais sa posture trahissait
un certain désintérêt, peut-être une réticence à se laisser troubler par
les inquiétudes venues de l’extérieur. Il s’accorda une longue gorgée avant de répondre.
« Li Weishan, » dit Adalgrim d’un ton paisible mais ferme, « Edelwhen est un pays paisible. Nous
avons nos accords, nos traditions, et notre indépendance. Que pourrions-nous gagner à entrer dans
un ensemble confédéral, même s’il est aussi vaste et puissant que Phenixia ? »
Li, qui jusque-là avait laissé son regard errer sur la pièce, revint à son interlocuteur.
Son visage restait impassible, mais ses yeux, eux, brillaient d'une détermination née de l’expérience.
Il posa doucement sa main sur la table, le bois lisse et froid sous ses doigts, avant de répondre avec la
calme autorité qui caractérisait sa personne.
« Thaine Adalgrim, » commença Li d’une voix basse mais porteuse, « la paix est une illusion
lorsqu’elle est cernée par des tempêtes. Edelwhen, aussi paisible soit-elle aujourd’hui, ne peut ignorer
que le monde change autour d’elle. Déjà, vos voisins se rallient à Phenixia. Si vous restez
en dehors, vous serez bientôt entouré, une enclave fragile dans un océan de puissances confédérées.
Avoir un siège à la Diète confédérale n’est pas une concession, mais une position
de force, un moyen de défendre vos intérêts plutôt que de vous les voir imposer. »
Adalgrim fronça les sourcils, une main se posant sur son estomac rond tandis qu’il réfléchissait.
Ses yeux se plissèrent légèrement, comme pour mieux évaluer les implications des paroles
de Li. L’atmosphère festive semblait soudain un peu plus lourde, le poids des décisions à
venir s’infiltrant parmi les convives.
« Des rumeurs courent, en effet, » admit le Thaine, « mais jusqu’à présent, tout
n’est resté que murmures dans le vent. Phenixia, Samadalah... Rien ne s’est concrétisé. Pour
l’heure, il n’y a rien à craindre. »
Li savait qu’il devait agir, et rapidement. Avec une lenteur calculée, il retroussa la manche de son manteau,
révélant un bandage sur son avant-bras gauche. Le tissu, imprégné d’un léger
écoulement de sang séché, contrastait avec la propreté des nappes blanches du festin.
Adalgrim, d’abord interloqué, se pencha en avant pour mieux voir.
« Ce bandage, » dit Li avec gravité, « est le souvenir que m’a laissé une patrouille
d’éclaireurs du Samadalah, rencontrée non loin d’ici, sur votre propre territoire. »
Le silence tomba sur la salle. Les convives, jusque-là bruyants et joviaux, se turent progressivement en
remarquant l’expression changée du Thaine. L’ambiance, légère comme une plume, se mua en quelque
chose de plus sombre, de plus inquiétant. Adalgrim fixait la blessure avec une intensité nouvelle,
comme si soudainement, le voile du confort avait été levé pour révéler l’ombre
rampante du danger.
« Ils sont déjà ici, Thaine Adalgrim, » reprit Li doucement. « Et ce n’est que
le début. Croyez-vous vraiment qu’Edelwhen puisse continuer à rester à l’écart ? »
Adalgrim resta un moment silencieux, perdu dans ses pensées. Puis, lentement, il se redressa sur son siège,
ses mains s’unissant devant lui comme pour prier. Ses yeux, jadis pétillants d’insouciance, brillaient maintenant
d’une dureté nouvelle. Le festin, si joyeux quelques instants plus tôt, prenait fin, remplacé
par l’âpre réalité de la guerre qui frappait déjà à leurs portes.
« Vous avez raison, » admit-il finalement, sa voix grave brisant le silence. « Je vais prendre
contact avec Phenixia. Il est temps que nous nous assurions d’un avenir pour Edelwhen. Si la Confédération
est notre meilleur espoir, alors nous devons nous préparer. »
Li acquiesça légèrement, le regard plongé dans celui du Thaine. Il savait que cette
conversation marquait un tournant, non seulement pour Edelwhen, mais aussi pour lui-même. Il avait trouvé
ici, loin de sa Chine natale, une nouvelle raison de se battre, une cause à laquelle se consacrer.
Adalgrim se leva, et avec lui, tous les Nimlothrim présents. Ce n’était plus un simple banquet, mais
une déclaration tacite d’engagement. Li Weishan, le Chasseur Silencieux, avait réussi là où
beaucoup auraient échoué. Il venait de planter la première graine de ce qui deviendrait, peut-être,
une nouvelle ère pour Edelwhen, et pour tout le continent de l’Anneau. |
**Transcription du Dialogue - Réunion du 23 août 1024**--- (épisode 26)
**Sir Alexander Wei-Cheng Spencer, Chef du Grand État-Major Doublixe Sud**
Etaient présents :
Philippe Bondurand, HPP de Phenixia
le Maréchal Boutros el Khoury, son conseiller militaire
Turenne Carnot, Maréchal de Francie, représentant les Etats Fédéralistes
Michail Svechin Chef d'État-major général des armées du Byelamir, représentant
les Etats Confédéralistes
et moi-même en ma double qualité de responsable logistique et de représentant doublixe.
---
**Philippe Bondurand** : (*avec une voix calme et posée, son regard balayant la salle*)
Comme vous en avez été avertis j'ai souhaité que le Général Svechin se joigne
à nous pour cette réunion de la plus haute importance, inutile de vous le présenter, et je
lui cède immédiatement la parole.
**Michail Svechin** :Mes chers amis, nous voici réunis dans un moment critique. Les États
confédéralistes, que je représente, sont surpris mais heureux d’avoir été conviés
à cette opération. Il est dans notre nature d’accueillir la négociation avec un grand enthousiasme,
surtout si elle peut offrir une sortie honorable à nos opposants. (*il se tourne vers Boutros el Khoury
avec un sourire*) Qu’en pensez-vous, mon cher Boutros ?
**Boutros el Khoury** : (*avec un léger sourire*) Ya3né, Michail, il est toujours bon
de laisser à l’adversaire une porte de sortie, surtout lorsqu’elle est ornée d’un tapis de velours.
Mais n'oublions pas que l’ennemi, aussi blessé soit-il, reste un lion capable de mordre. Bass... les fédéralistes
seront-ils aussi enclins à cette clémence ?
**Turenne Carnot** : (*d’une voix théâtrale, légèrement irrité*)
Cher Boutros, ne vous méprenez point. La Francie a toujours prôné la fermeté, surtout
en ces temps troubles. Certes, nous comprenons la sagesse de votre approche, mais la clémence ne saurait
être synonyme de faiblesse. Nos troupes, déjà concentrées, n’attendent qu’un ordre pour
soulager la pression sur nos alliés. Les récits déchirants des réfugiés, je
dois le dire, ont enflammé les cœurs de nos citoyens. On ne saurait ignorer cet appel à la justice.
**Michail Svechin** : (*d’un ton grave, les mots pesés avec soin*) Nous ne sommes pas ici
pour des vendettas personnelles, Turenne. La Byelamir est confédéraliste par conviction, mais elle
sait aussi quand la force est nécessaire. L’opération simultanée que nous espérions
n’est plus possible, et il nous faut accepter la réalité logistique. Nos milices seront prêtes
dans cinq ou six jours, mais cela impose de la patience, un mot que les Franciens semblent parfois oublier.
**Sir Alexander Wei-Cheng Spencer** : (j'interviens d’un ton mesuré) Les rotations multiples
sont une option, mais les infrastructures actuelles ne sont pas à la hauteur. Les bases raprochées
de la Première Extension ne peuvent soutenir un tel effort. L'embarquement devra se faire depuis des zones
bien équipées, en Francie, Turkistan, Byelamir, et Val Saint-André. Comme le disait Maître
Sun "Women bìxu xiànshí dian". We must be realistic. En dépit de tous
mes efforts, les moyens aériens disponibles sont limités. Même en réquisitionnant tous
les dirigeables disponibles, et je vous remercie tous de m'avoir aidé à les recenser, je ne peux
assurer chaque jour que le transport d'une force suffisante pour sécuriser un seul objectif. Pas les 8 en
même temps.
**Boutros el Khoury** : (*le regard pensif, avant de reprendre avec un sourire*) Ya3né, Sir
Alexander, vous avez fait ce que vous pouviez. Les doublixes, comme toujours, seront au bon endroit au bon moment.
Mais n’oublions pas que chaque jour compte. La première frappe doit être décisive, surtout
en LeKanda dès demain. C'est là que les récits se forgeront.
**Turenne Carnot** : (*s’incline légèrement*) Monsieur le Maréchal, votre sagesse
est aussi vaste que l’Océan. Toutefois, je reste convaincu que la fermeté doit guider nos actions.
(*ajoute avec un sourire*) Mais je vous accorde que la prudence peut être mère de sûreté.
Nous serons honoré dêtre les premiers à entrer en action. Et irons au feu seuls ! Confiants
que nos alliés viendront promptement à notre secours.
**Sir Alexander Wei-Cheng Spencer** : (*les yeux plissés, songeur*) By Jove, Alors nous attendrons
3 jours puis nous attaquerons les capitales du Wöll et de ses deux alliés. Une par une. Nous
serons prêts juste à temps. Les doublixes n’aiment pas rester immobiles.
**Michail Svechin** : (*hoche la tête, l’expression toujours sérieuse*) Bien dit, Sir
Alex. Et souvenez-vous que quand un ours en colère sait attendre le bon moment pour frapper, sa griffe n'en
est que plus puissante. Nous seronts prêts pour les rotations suivantes, moitié en Val Saint Andrré,
et moitié chez moi au Byelamir.
**Philippe Bondurand** : La sagesse de vos paroles, messieurs, me rappelle pourquoi cette alliance est si
précieuse. Nous devons garder en tête que chaque action, chaque décision, est un pas vers une
paix durable.
(*regardant Turenne*) Les forces fédéralistes seront en LeKanda demain, le 24, en Taigaria
le 25, et en Atavisia le 26, elles agiront selon un plan minutieusement orchestré. Vous avez le feu vert,
Turenne.
(*se tournant vers moi*) La frappe décisive, opérée par les armées doublixes,
qui se produira à Wöllenbad le 27, Chbatsemville le 28, et Tensei al Sultana le 29, sera un symbole
de notre unité. Nous ne devons pas permettre ni à la hâte ni aux difficultés logistiques
de compromettre ce que nous avons bâti ensemble.
(*se tournant verss Michail*) Enfin les journées du 30 et du 31 pemettront aux armées confédéralistes
de rassurer le Yinchokta et Edelwhen et de dissuader tout mauvais coup contre eux.
(je surprend un échange de regards entre Boutros et lui. Je comprends que ce plan était déjà
convenu entre eux, alors même que je comptais le proposer moi-même. Ils ont comme souvent un coup d'avance)
**Turenne Carnot** : Monsieur Bondurand, je reconnais là un plan digne du Maréchal et je soupçonne
que vous l'aviez déjà en tête tous deux. (*ajoute avec un sourire*) Mais je vous sais gré
d'avoir pris la peine de nous consulter et de nous associer à cette décision.
**Michail Svechin** : (*hoche la tête, l’expression toujours sérieuse*) Bien dit, Turenne.
La Confédération ne peut vivre que dans le respect de chaque sensibilité.
**Sir Alexander Wei-Cheng Spencer** : (*les yeux plissés, songeur*) Alors nous attendrons
notrre tour. (*puis, avec un sourire en coin, pour détendre l’atmosphère*) Et nous frapperons.
Les doublixes n’aiment pas rester immobiles.
**Philippe Bondurand** : (*conclut la réunion avec sérénité, les mains jointes
devant lui*) Mes amis, nous avons un plan. À chacun son rôle, et ensemble, nous garantirons la
sécurité et la prospérité de nos nations. Il est temps de mettre en œuvre ce que nous
avons préparé. Demain commence notre grande épreuve, mais je suis confiant, car je sais que
chacun d’entre vous est un maître en son art. Phenixia, par notre union, en sortira renforcée.
---
**Note de Sir Alexander Wei-Cheng Spencer** :
(*J’ai pris soin de rapporter cette réunion avec fidélité. Si les divergences demeurent,
l’unité de notre groupe est restée solide. Nos intérêts propres ont été
sauvegardés, tout en respectant ceux de nos partenaires et si Phenixia en sort renforcé à
long terme, tant mieux.*)
---
*Fin de la transcription.* |
24 août 1024**---
(épisode 27 : Opération Dauphin Noir)
### **Journal de N'Kosi M'Baku :**
Je me tenais droit, le regard perdu dans l'immensité de l'horizon. La courbure de l'anneau révélait
des secrets que seuls ceux qui regardaient attentivement pouvaient percevoir. Mon père m'avait raconté
des histoires, des légendes des temps anciens où les hommes communiquaient avec les esprits du ciel.
Mais ce que je voyais aujourd'hui n'avait rien de légendaire—c'était réel, tangible, et cela
surpassait tout ce que j'avais jamais imaginé.
Je n'avais vu des dirigeables que deux ou trois fois dans ma vie, comme des ombres fugitives glissant silencieusement
dans le ciel lointain. Pour moi, ces machines étaient des miracles de fer et de toile, des merveilles créées
par des mains invisibles. Mais jamais, jamais je n'aurais pu concevoir qu'il en existait autant, ni qu'ils pouvaient
transporter une armée entière.
D'abord, je crus que mes yeux me trompaient. L'horizon semblait se remplir de points noirs, d'abord minuscules,
puis grandissants jusqu'à devenir des monstres célestes. Ils étaient là, des dizaines,
non, des centaines, de dirigeables flottant avec grâce et puissance. Chaque battement de mon cœur résonnait
avec l'arrivée de ces titans du ciel. Dix dirigeables gigantesques ouvraient la marche, suivis de près
par d'autres, un essaim sans fin qui semblait descendre des cieux pour protéger la terre. Tous portaient
sur un flanc un étrange dessin noir que je pris d'abord pour un poisson. On m'expliqua plus tard que c'était
un poisson de l'océan, avec des poumons pour rrespirer de l'air et presqu'aussi intelligent qu'un humain.
Un Dauphin. L'un des deux animaux protecteurs de Phenixia.
Quand les premiers dirigeables touchèrent le sol, je fus frappé par l'ampleur de la scène.
Les portes s’ouvraient, libérant une marée d'hommes, de chevaux, et de canons. Les troupes se déployaient,
organisées comme une seule entité, chaque mouvement précis, chaque ordre clair. L'impression
de puissance était écrasante. Ce n'était pas seulement une armée, c'était la
promesse que la terre de mes ancêtres serait protégée, que les sacrifices ne seraient pas vains.
Il y avait là, je le voyais à leurs teints allant du blanc laiteux au brun plus foncé que
le mien, à leurs vêtements aux styles si différents, des hommes venus de bien des nations diverses.
Une vague d’émotion me submergea. Je pensai à mon fils, T'Chaka, quelque part au front, combattant
avec courage. La vue de cette armée phénixienne me donna un espoir nouveau, un espoir que je n'osais
exprimer mais que je chérissais profondément. Peut-être, peut-être que ce jour marquait
le tournant, le moment où tout allait changer. Les phénixiens étaient là, en nombre,
en force. Ils étaient là pour défendre ce qui devait l'être, pour assurer que l'avenir
ne soit pas forgé par la peur, mais par la force commune de ceux qui choisissaient de se battre ensemble. |
---**Carnet de Notes de Philip Nigel Blake**
**24 Août 1024 – Taïgaria** (épisode 28 : Opération Dauphin Blanc)
Je n’aurais jamais imaginé
revoir ces terribles silhouettes dans le ciel autrement qu'en cauchemar. Ce matin, alors que je scrutais l’horizon
brumeux avec les hommes de Volkov, des ombres géantes sont apparues dans le ciel, flottant en silence comme
des spectres. J’ai d’abord pensé que le soleil me jouait des tours, mais non, c’étaient bien eux.
Des dirigeables—ou "Zeppelins", comme nous les appelions autrefois. Ces maudits oiseaux de mort qui,
au-dessus de la Somme, et plus tard au-dessus de Londres, avaient semé la terreur. Mais ceux-ci, bien que
tout aussi imposants, portaient un signe que je n'avais jamais vu : un dauphin blanc, majestueux, peint sur chaque
coque.
Je me suis préparé au pire, persuadé qu’ils allaient lâcher leur cargaison mortelle
sur les lignes Wöller et Samadalienne. Mais, contre toute attente, ils ont glissé en douceur derrière
nos lignes. C’est là que les choses sont devenues encore plus étranges. Plutôt que de bombarder,
ces machines ont commencé à se poser. Leurs flancs se sont ouverts et ont déversé des
vagues de soldats, une marée humaine aux uniformes éclatants. Pas de kaki ni de gris terne ici—non,
c’était une parade de couleurs, comme dans les livres illustrés sur les guerres napoléoniennes
que je lisais dans mon enfance.
Les soldats phénixiens, car il ne pouvait s'agir que d'eux, étaient d’une variété étonnante.
De toutes tailles, de toutes teintes, parlant des langues que je n’avais jamais entendues, et pourtant unis sous
ce même symbole étrange, ce dauphin blanc. La confusion qui a suivi leur arrivée était
inévitable. Les Taïgariens, épuisés et méfiants, ne savaient pas trop quoi faire
de cette avalanche inattendue de renforts. Je dois avouer que moi-même, j'étais stupéfait par
ce spectacle.
Volkov, le vieux loup taïgarien, a gardé son calme habituel. Je l’ai vu se diriger vers le chef des
nouveaux arrivants, un grand gaillard blond à l’allure fière et martiale. Leurs premières
paroles ont été échangées avec la gravité de ceux qui savent ce qu’est la guerre,
mais après quelques minutes, le ton a changé. J’ai vu Volkov sourire—un événement aussi
rare qu’un miracle. Il a frappé l’épaule du Phénixien, et j’ai compris que quelque chose d’important
venait de se passer.
Un moment plus tard, Volkov m’a fait signe de le rejoindre. Ses mots étaient aussi secs et précis
que d’habitude : « Blake, ce sont les renforts phénixiens que nous attendions. Voici Kazimierz Sobieski,
le général de l'armée Phénixienne de Polaquie, Tu vas travailler avec eux, servir de
liaison. T’es doué pour les langues, tu comprendras leur francien mieux que moi. »
Je n’ai pu m’empêcher de sourire à l’ironie de la situation. Moi, un Anglais de 1917, en train de
jouer les interprètes dans une guerre sur un monde que Wells lui-même n’aurait pas pu imaginer. Un
anneau continu tournant autour d'un soleil. Et pourtant, je me suis senti étrangement à ma place.
Peut-être est-ce cela, la destinée—être jeté dans des situations incongrues et, malgré
tout, trouver un rôle à jouer.
Je me prépare donc à faire mon devoir. Ces Phénixiens sont différents de tout ce que
j’ai connu, mais ils portent en eux l’espoir que cette guerre finira autrement que dans un bain de sang inutile.
Il y a quelque chose de réconfortant dans leur manière de faire la guerre. Je ne sais pas encore
comment, mais je sens qu’ils sont ici pour sauver plus que des vies. Ils sont ici pour préserver ce monde
étrange et merveilleux qui m’a accueilli malgré moi.
Je dois être à la hauteur. Pour Volkov. Pour ces soldats. Et peut-être, pour moi-même.--- |
**25 Août 1024
– Atavisia** (épisode 29 : Opération Dauphin Bleu)
**Extrait des Mémoires de Kaylor, Shaman et Universitaire d’Atavisia :**_25 août 1024_
C'était un jour de confusion, de peur, et de cette étrange excitation qui précède
les événements décisifs. Le souvenir en est encore vif, même après tant d'années.
Je revois Torg, son visage marqué par la fatigue, mais aussi par une lueur de détermination que rien
n’aurait pu éteindre. Il était revenu du front, son manteau couvert de poussière, ses paroles
aussi précises que des flèches. L'Ankhu n'était pas loin derrière, menant ses hommes
avec ce même courage inébranlable qui avait forgé la réputation des guerriers Atavisiens.
Torg avait réussi l’impossible. Il avait convaincu l'Ankhu de céder du terrain, de tendre des pièges
au lieu de foncer tête baissée comme l’aurait voulu l’honneur ancestral. Mais l'Ankhu avait reconnu
la statuette que Torg lui avait montrée, symbole de la confiance que les Phenixiens plaçaient en
lui. Cela, et la renommée de Torg, avaient suffi à le persuader. Alors, l'Ankhu, à contrecœur,
avait ordonné la retraite défensive. Cependant, ce jour-là, il avait décidé
qu’il n’irait pas plus loin. Il tenait fermement à garder un dernier lambeau de territoire Atavisien libre,
pour que les Phenixiens puissent se déployer et repousser l'ennemi. Nous ne savions pas encore de quelle
manière ils arriveraient, mais nous étions prêts à les accueillir.
Nous, les enfants, avions grimpé sur les collines qui surplombaient la route, espérant voir se lever
des nuages de poussière annonçant l'arrivée de cavaliers à l'horizon. Nos cœurs battaient
d'impatience, de peur et d'espoir mêlés. Torg et les autres réfugiés attendaient eux
aussi, tous les yeux rivés vers l'Avant. Mais il n'y avait rien, pas la moindre poussière en vue.
Tout au contraire, vers l'Arrière, de lourds nuages de poussière s’élevaient, soulevant la
crainte que les Samadaliens aient franchi nos lignes.
Puis, le ciel s’est ouvert d'une manière que nul parmi nous n’aurait pu imaginer. Des ombres ont glissé
silencieusement dans l’azur, d'abord à peine visibles, puis de plus en plus nettes, se détachant
contre la lumière du jour. Ces dirigeables, immenses, majestueux, émerveillaient mes yeux d’enfant
n’avaient jamais vu de tel auparavant. D'autres enfants hurlaient de terreur, et les phénixiens du camp
avait beaucoup de peine à les calmer de paroles rasssurantes. Ils portaient pour insigne ce que je pris
pour un poisson bleu, mais je sus plus tard que ce poisson de la rivière infinie (je dirais aujourdhui l'Océan)
respirait l'air exterieur à l'eau et s’appelait un dauphin. Ces colosses du ciel, dans toute leur splendeur,
sont descendus doucement, se posant tout autour de notre camp, comme pour nous envelopper de leur protection.
Les troupes Phenixiennes en ont jailli comme un torrent. Leurs uniformes, si différents de ce que nous connaissions,
ajoutaient à la magie de l’instant. Sans un instant d’hésitation, ils ont pris la route de l'Arrière,
fonçant vers les Samadaliens pour soutenir nos guerriers. Ils étaient là, en chair et en os,
non pas des cavaliers, mais des combattants du ciel, prêts à se battre à nos côtés.
Charles avait pris leur tête; tous le respectaient comme un très grand guerrier, alors que nous l'avions
pris pour un subalterne. Il n'avait pourtant pas changé. Il portait juste une étrange et nouvelle
casquette avec 4 étoiles brodées dessus que lui avait remis avec respect l'un des soldats habillés
de bleu clair sorti d'un dirigeable.
La journée a été longue, pleine de bruit, de confusion, de cris, et de silence étrange
entre deux rafales de vent. Quand enfin le soir est tombé, un étrange calme s’est abattu sur nous.
Les Samadaliens, épuisés par leurs tentatives infructueuses, ont proposé une trêve.
Les nôtres, tout aussi épuisés, ont accepté avec soulagement. Quant aux Phenixiens,
ils semblaient heureux de ce répit qui leur donnait le temps de s’organiser, de se préparer à
la suite.Ce jour-là, un enfant a compris que la guerre n’est jamais une simple affaire de courage ou de
force brute. Elle est aussi faite d’alliances inattendues, de stratégies subtiles et de miracles que seuls
les plus anciens esprits peuvent comprendre. Cette leçon est restée gravée en moi, guidant
mes pas d’un humble enfant des collines jusqu’aux hauteurs du savoir et de la sagesse. |
**26 Août 1024 – Wöll** (épisode 30 : Opération Licorne Bleue)
**Allocution Radiophonique de Benedikt Müssler, Guide Anonyme du Wöll:**_26 août 1024_
Discours Radiophonique de Benedikt
Müssler, Guide Anonyme du Wöll
Chers compatriotes du Wöll,
Les temps que nous vivons sont parmi les plus graves de notre histoire. Nos frontières ont été
mises à l'épreuve, nos hommes ont combattu avec courage, mais la réalité est implacable
: nous faisons face à une force que ni notre bravoure ni notre détermination ne peuvent seul contenir.
Depuis trois jours, des forces supérieures en nombre ont imposé un cessez-le-feu, séparant
les combattants et menaçant de se ranger contre quiconque prendrait l’initiative.
Parmi ces forces, beaucoup partagent nos idéaux d'égalité et d'autogestion. Ils vivent ensemble
depuis un siècle au sein de la grande Confédération de Phenixia. Nous avons toujours su que
notre force réside dans notre unité. Mais aujourd'hui, l'isolationnisme et la neutralité ne
suffisent plus pour garantir notre survie.
Certains s'inquiètent de l'intervention de Phenixia, redoutant une soumission à une puissance étrangère.
Je leur réponds fermement : la force du Wöll ne réside pas dans le repli, mais dans l'audace.
Nous ne serons pas des suiveurs, nous sommes des charpentiers, bâtisseurs de notre avenir. Le Wöll doit
saisir l'opportunité de montrer au monde sa grandeur.
C'est pourquoi j'annonce aujourd'hui que le Wöll ne sera pas un simple spectateur de ce nouvel ordre. Nous
allons nous joindre à Phenixia, non pas comme des vaincus, mais comme des partenaires égaux, comme
des pionniers. Nous y prendrons toute notre place, aux côtés des nombreux états doublixes,
comme nous étions jusqu'ici aux côtés de nos voisins de Mégathérie et du Samadalah.
Riches de notre diversité, forts de notre unité. Je propose que le Wöll soit le premier État
à rejoindre cet élargissement historique, garantissant notre sécurité et notre prospérité
pour les générations à venir.
Pour prouver ma sincérité, je m’engage à n’exercer mon rôle de guide qu’une seule année
supplémentaire, après quoi je me retirerai de la vie politique. J’assume dès à présent
de rendre public mon nom : je suis Benedikt Müssler. Dans un an, quel que soit l’avenir, je ne serai plus
votre guide. Vous êtes des Charpentiers, vous savez vous gouverner dans l’égalité et l’autogestion.
Dans quelques heures, les troupes de Phenixia, sous commandement Mainlandais, arriveront. Accueillons-les en amis,
en frères. Avec eux, et avec les autres nations qui partagent nos valeurs, nous serons l’avant-garde du
Phenixia de demain.
Vive les Charpentiers ! Vive les Wöller ! Vive le Wöll !
Benedikt Müssler - Guide ex-Anonyme du Wöll |
Episode 31
**Extrait des Carnets de Philip Nigel Blake, 27 août 1024 - Opération Licorne Rouge**
Le 25 août, au lendemain de l'opération Dauphin Blanc, j'ai été transporté par
avion vers un camp de réfugiés à la frontière du Wodenyigba et du LeKanda. C'était
la toute première fois que je montais dans un avion, une expérience à la fois terrifiante
et exaltante. Le pilote, un jeune homme aux traits déterminés, m’a confié que la plupart de
ces appareils étaient monoplaces, la nécessité d’alléger au maximum les avions primant
sur le confort.
Une fois arrivé au camp, j'ai été accueilli par Sir Alex, le commandant en chef de l'opération
Dauphin-Licorne et le colonel Xue Fang Yuan, qui m'ont immédiatement mis au fait de la situation. Il semble
qu’un agent Phénixien, une certaine Selkane Glacemont, ait orchestré un soulèvement au sein
du parti doublixe en Mégathérie. Toutefois, l’armée s’est fracturée en deux factions,
résultat d'une série de malentendus, d'ordres mal relayés, et de vieilles animosités
personnelles. Le village de Shuluta est occupé par les forces qui ont refusé de suivre les ordres
de Glacemont. Le général en charge, un certain Nicolas Marenkov, feint de ne pas croire aux instructions
qu’il reçoit de la capitale, prétextant qu'il s'agit d'une ruse des Westlandais. La situation était
pour le moins désespérée. Le 27, les dirigeables Phénxiens débarqueraient en
terrain hostile.
Le Colonel Xue, une femme impressionnante, avait remarqué en parcourant les rapports du front que l’agent
de liaison des Taigariens venait justement de Shuluta. Elle a donc convaincu Sir Alex de me faire venir en urgence,
espérant que je puisse convaincre cet officier récalcitrant. À ma grande surprise, je reconnaissais
ce nom : j’avais connu Marenkov lors de l’occupation, avant ma fuite et nous avions échangé quelques
mots quand les Mégathérienss avaient essayé de « convertir » la population
à leur idéologie. Il était possible que mon visage lui inspire encore un peu de respect, même
dans ces circonstances tumultueuses.
À mon arrivée à Shuluta, deux jours plus tard, avec la dernière vague de dirigeables,
le spectacle qui s’offrit à moi était surréaliste. Le village était parsemé
d'impacts blancs et crayeux, résultats d’un bombardement de l'armée Westlandaise avec des boulets
d'exercice. Ils menaçaient de passer aux munitions réelles, mais hésitaient à le faire
pour épargner les civils et éviter une guerre fratricide entre doublixes. C’est là que je
retrouvai Ekaterina, désormais au service du général. Ensemble, nous avons entrepris de le
convaincre de déposer les armes.
Ekaterina, dans un élan de sincérité qui me toucha profondément, implora le général.
Ses enfants, qui le suppliaient aussi, parvinrent à atteindre une corde sensible en lui. Apparemment, ils
lui rappelaient ses propres enfants, qui l'attendaient chez lui à Chbatsemville. Le général
accepta seulement de contacter son ancien supérieur, Alexandre Berzine, le seul qu'il reconnaisse encore.
Grâce à une série de communications précaires et hésitantes, nous sommes parvenus
à joindre Selkane Glacemont, qui, par un tour de force inouï, réussit à faire rappeler
ce général respecté depuis sa prison. Berzine, bien que captif, informa Marenkov que la situation
à la capitale était désormais sous contrôle. Il ajouta que les Westlandais se comportaient
plus en camarades doublixes qu’en ennemis. Malgré mon Mégathérien précaire, je réussis
à comprendre une phrase : « Ne reste pas dans l'histoire comme le boucher de Shuluta, camarade ».
Pour éviter un bain de sang atroce et devant l'inutilité de ce sacrifice, Marenkov finit par céder.
Il se rendit, mais avec une dignité chevaleresque qui ne manqua pas de me rappeler les récits d’une
autre époque.Spencer, le commandant Westlandais, magnanime, lui laissa ses armes, et c’est en véritables
camarades doublixes qu'ils se serrèrent la main, scellant ainsi la fin de cette terrible épreuve
autour d'un verre de vodka. |
Les ombres du Wöll (épisode 32)
**Journal de Takeshi Amir, Gaimu Sangi du Samadalah**
*Extrait : 28 août 1024- Opération Licorne Noire**
Aujourd’hui, le Samadalah est à un tournant de son histoire, et j’ai l’honneur de servir mon pays en
ce moment décisif. Depuis neuf jours, Saito Li Mei et moi avons manœuvré avec une délicatesse
infinie pour préparer nos concitoyens à l'inévitable arrivée des Phénixiens.
La nouvelle de la soumission volontaire du Wöll avant-hier, suivie de la chute de la Mégathérie
hier, n'a laissé aucun doute sur le chemin que nous devrions suivre. Mais au Samadalah, l'empereur est plus
qu'un souverain; il est vénéré comme la réincarnation du Prophète Mohammed,
que la paix soit sur lui. Chaque geste, chaque décision qu’il prend est entouré d’une solennité
et d’une révérence sans égale. Aujourd’hui, il a convoqué le Dajokan pour décider
du sort de notre nation.
La salle du trône, où se déroule cette réunion, est un lieu de profond respect. Les
larges baies vitrées laissent entrer la lumière du soleil, baignant la pièce d'une lueur sacrée.
L'empereur est là, vêtu de ses habits impériaux, un mélange de soie japonaise aux motifs
islamiques, un rappel constant de l'union spirituelle qui lie notre nation à ses racines. Il se tient droit,
silencieux, écoutant avec une attention inébranlable chacun des conseillers qui se prononce sur la
question cruciale qui nous réunit.
Li Mei, que je connais sous le nom de Yuki, a œuvré habilement dans l'ombre pour rallier certains conseillers
à notre cause. Pour ma part, j'ai joué de mon influence sur quelques autres, mais les opposants demeurent
farouches, campés sur leurs positions, tandis qu’une majorité reste indécise. Dans cette première
partie de la réunion, les arguments fusent. Continuer la lutte, résister avec honneur, ou embrasser
le destin qui semble nous être imposé ? Les discours sont passionnés, emplis de convictions
et de craintes.
L'empereur, sage et serein, se contente de donner la parole à chacun, absorbant les paroles de ses fidèles
conseillers. Je sais que sous cette apparente impassibilité, il pèse chaque mot, chaque hésitation,
chaque signe de doute ou de courage.
Soudain, le murmure du vent change. Une ombre passe devant les baies vitrées. Tous les regards se tournent
vers le ciel. Là, comme sortis des légendes, des dirigeables Phénixiens apparaissent. Leurs
coques métalliques scintillent au soleil, et sur chaque appareil flotte le symbole d'une licorne noire.
Ce n’est pas tout. Beaucoup arborent également l'emblème des Doublixes, deux X entrelacés,
symbole d'égalité économique. Parmi eux, j’en remarque un quart environ qui portent, en plus,
les quatre couleurs du Hajj : noir, blanc, vert et rouge, en hommage à la foi musulmane que partage aussi
notre peuple.
Ces détails, bien plus que leurs armes, retiennent l'attention des conseillers. Je vois dans leurs regards
la reconnaissance de la puissance indéniable de ces forces qui s’abattent sur nous, mais aussi une certaine
curiosité, un frisson d'espoir peut-être. Le gros de notre armée est encore sur le front, loin
d’ici, et il ne reste à Tenseil al Sultana que de maigres forces, insuffisantes pour défendre la
capitale si un affrontement devait éclater. Pourtant, lorsque l'empereur les sonde du regard, tous jurent
de mourir pour lui si tel est son souhait.
Avec une dignité qui force le respect, l'empereur les remercie pour leur loyauté inébranlable.
Mais au lieu de les envoyer à la mort, il ordonne l’ouverture de négociations d’adhésion à
Phenixia. Ce rôle crucial, il me le confie, moi, Takeshi Amir. L'empereur a vu ce que j'ai vu : le Doublixe,
cette idéologie égalitaire, résonne avec nos propres valeurs, avec notre propre quête
d’équité et de justice. Ce n’est pas une reddition, mais un choix éclairé, une décision
prise dans l’intérêt de notre peuple et de nos descendants. En ce jour, le Samadalah ne se plie pas
à une force supérieure. Non, il s’élève vers un nouvel horizon, prêt à
redéfinir sa place dans le monde.
Les jours à venir seront déterminants. Mais en ce moment, alors que je quitte la salle du trône,
l’esprit apaisé par la décision de l’empereur, je sais que nous avons fait le bon choix. Il ne nous
reste plus qu’à négocier avec l’honneur et la sagesse qui ont toujours été les nôtres.
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Les ombres du Wöll (épisode 33)
Extrait de L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux
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Général Tswana Birgit du Sietch Badrr
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par Lian Hawkeye, Presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)
Chapitre XVI : Et le Ciel s'ouvrit
Lorsque Wicasa Ska, connu autrefois sur Terre sous le nom de Li Weishan, posa enfin pied sur le sol sacré
de Yinchokta, il fut saisi par une émotion intense. Après les périls de sa mission en Edelwhen,
un sentiment de soulagement l'envahit, bien que l'épuisement pesât lourd sur ses épaules. L'air
de la vallée semblait porter avec lui une promesse de renouveau, un souffle de réconfort après
tant d'épreuves.
À son arrivée, les nouvelles circulèrent rapidement parmi les habitants du plateau. Les trois
États agresseurs, jadis menaçants, avaient déposé les armes, signant ainsi la fin d'une
guerre qui avait fait trembler les montagnes elles-mêmes. Le ciel, obscurci jusqu'ici par la fumée
des batailles, s'ouvrit ce jour-là pour accueillir une nouvelle ère, marquée par l'arrivée
triomphale des troupes phénixiennes.
Le moment tant attendu arriva lorsque les ombres des imposants dirigeables Phénixiens commencèrent
à s'étendre sur les terres de Yinchokta. Les machines massives, marquées du symbole flamboyant
du Phénix Rouge, descendirent avec une majesté imposante, leurs coques scintillantes captant les
premiers rayons du soleil du matin. L'écho de leur atterrissage résonna à travers la vallée,
se propageant comme un grondement de tonnerre.
Wicasa Ska, se tenant parmi les dignitaires locaux, observa avec une admiration mêlée de fierté.
Il ne fallut pas longtemps avant que les trappes des dirigeables ne s'ouvrent, libérant un flot de troupes
disciplinées qui se déployaient en silence sur le terrain. Leur commandant, un homme au physique
impressionnant, fut le premier à descendre, ses bottes touchant le sol avec une fermeté qui ne laissait
aucun doute sur son autorité.
Le général du Sietch Badr, Tswana Birgit, était une figure fascinante. Issu de l'État
confédéraliste où s'était réfugiés il y a un siècle tant de populations
disparates, il portait en lui les traces de deux cultures. Son prénom "Tswana" semblait venir
d'Azania ou du Bantha, tandis que son nom de famille, "Birgit", évoquait des origines skandes.
Ce mélange improbable lui donnait une allure à la fois exotique et charismatique, avec une peau cuivrée
marquée par le soleil et des cheveux épais et bouclés d'un noir de jais, contrastant avec
des yeux d'un bleu perçant. Sa stature imposante était adoucie par un sourire chaleureux, bien que
ses manières rustiques trahissent une personnalité directe et sans fioritures.
Le général Tswana Birgit avançait d’un pas assuré vers la Tante Suprême de Yinchokta,
Shunala Greyhawk, une femme à la prestance imposante et au regard perçant. Sa silhouette évoquait
la puissance tranquille des montagnes qui entouraient Yinchokta, tandis que ses cheveux argentés, coiffés
en une crinière sauvage, ajoutaient une touche de majesté à sa présence. Ses traits
exprimaient une sagesse forgée par les épreuves du temps, mais aussi une détermination inébranlable.
Vêtue d'une tenue traditionnelle aux accents modernes, elle se tenait droite, observant avec une intensité
calculée l'approche du général.Tswana Birgit s’arrêta à quelques pas d’elle,
exécutant un salut militaire avant de s’incliner légèrement en signe de respect. Lorsqu'il
redressa la tête, son regard croisa celui de Greyhawk, et dans ce bref échange, une étincelle
invisible sembla passer entre eux. Le général, malgré sa réputation de guerrier implacable,
se retrouva désarmé par la force tranquille de la Tante Suprême. Il se permit un sourire, presque
timide, avant de parler.
"Madame la Tante Suprême," commença-t-il en anglais, sa voix grave résonnant avec
une sincérité désarmante, "c’est un honneur pour moi, et pour Phenixia, de vous rencontrer
en ce jour historique."Greyhawk, qui avait immédiatement capté le subtil changement dans le
comportement du général, répondit avec un sourire énigmatique. "Le ciel s’ouvre
aujourd’hui, général Birgit. Yinchokta accueille vos troupes en amis, en frères même."La
conversation prit un tournant inattendu lorsque, au lieu des formalités habituelles, le général
se laissa emporter par un élan de sincérité. "Vous savez," dit-il en baissant la
voix, "je n’ai jamais vu une personne aussi impressionnante que vous, Tante Suprême. Il semble que même
le Phénix pâlirait en votre présence."
Cette remarque, à la fois naïve et flatteuse, fit sourire Greyhawk. Loin de le rabrouer pour son manque
de protocole, elle répondit avec un éclat d’humour dans les yeux. "Général Birgit,
vous êtes plein de surprises. Yinchokta apprécie votre honnêteté... et votre charme inattendu."
Le général, rougissant légèrement, se redressa en adoptant une posture plus formelle.
"Madame," dit-il, "je suis ici pour vous assurer que le Sietch Badr soutient pleinement votre autonomie
interne. Vos traditions et votre culture seront respectées. Nous insistons seulement sur une chose : que
les délégués de Yinchokta à la Diète Confédérale soient élus
démocratiquement.
"Greyhawk hocha la tête, amusée. "Cela va sans dire, général. C’est une évidence
pour nous."
La cérémonie se poursuivit dans une atmosphère légère mais solennelle, le respect
mutuel et la complicité naissante entre les deux leaders donnant le ton. Alors que les soldats phénixiens
se déployaient pour sécuriser la région, Wicasa Ska observait de loin, se sentant à
la fois un témoin et un acteur d’un moment qui marquerait l’histoire de Yinchokta et au-delà. |
Les ombres du Wöll (épisode
34)
**La Gazette d'Edelwhen du 31/8/1024**
*Article de Férith Lindor*
**Un Banquet pour les Phénixiens : L'Arrivée des Troupes du Hopeland à Edelwhen**
Chers lecteurs, le 30 août 1024 restera gravé dans nos mémoires comme le jour où les
troupes Phénixiennes du Hopeland ont fait leur entrée triomphale dans notre paisible vallée
d’Edelwhen. Dès l’aube, les cieux ont été emplis du vrombissement doux mais impressionnant
de leurs majestueux dirigeables, ornés d’un Phénix doré étincelant, symbole de la résilience
et de la grandeur de Phenixia. Ce fut un spectacle aussi grandiose que déroutant pour nous, humbles Nimlothrim,
qui, bien que peu habitués à de telles démonstrations de force aérienne, avons observé
avec une fascination teintée d’appréhension l’approche de ces gigantesques aéronefs.
Les premières impressions furent tout à fait saisissantes. Les soldats du Hopeland, tous d’une stature
imposante — du moins à nos yeux —, descendirent de leurs vaisseaux avec une grâce surprenante pour
des hommes aussi grands. Leur peau bronzée, leurs cheveux blonds éclatants, et leurs larges sourires
dégageaient une aura de jeunesse et de vitalité qui semblait presque surnaturelle. Certains murmuraient
entre eux que ces hommes ressemblaient plus à des demi-dieux qu’à des soldats ordinaires.
Cependant, au-delà de leur apparence, c’est leur comportement qui nous a le plus intrigués. Ils semblaient
si détendus, presque désinvoltes, malgré la gravité des récents événements.
On les entendait parler de "vibrations positives", de "connexion avec la nature" et d'autres
concepts qui, pour nous, Nimlothrim attachés à la terre et aux plaisirs simples, paraissaient quelque
peu ésotériques, voire farfelus. Mais il ne faisait aucun doute que ces étrangers étaient
animés des meilleures intentions et portaient en eux un esprit de paix et de fraternité.
Notre traditionnelle réception en leur honneur, un banquet copieux digne de nos meilleures festivités,
fut préparée avec soin. Les tables croulaient sous le poids des rôtis, des tartes aux fruits,
des fromages affinés et de bières mousseuses. Et pourtant, à notre grande surprise, les Phénixiens
se montrèrent d'une appétence bien modeste. Beaucoup se contentaient de petites portions, préférant
déguster des fruits ou des légumes crus, et certains même semblaient perplexes devant nos somptueux
desserts, comme s'ils n'avaient jamais vu pareilles douceurs. Quelle étrange coutume que de préférer
une simple pomme à une part de gâteau à la crème !
Néanmoins, leur gentillesse et leur respect pour nos traditions compensèrent largement ce qui aurait
pu être perçu comme un manque d’enthousiasme pour notre cuisine. Ces grands soldats se révélèrent
aussi aimables qu’inoffensifs, engageant des conversations sincères et s’efforçant de comprendre
notre mode de vie avec une candeur désarmante. Certains d’entre nous se sont même pris à penser
que, sous leurs airs de géants décontractés, ils partageaient avec nous cette même quête
de simplicité et d’harmonie.
Ainsi s’acheva cette journée mémorable, où les Phénixiens du Hopeland, bien que différents
de nous à bien des égards, furent accueillis comme des amis. Puissent-ils trouver en notre terre
un havre de paix, et puissent nos peuples apprendre les uns des autres pour bâtir ensemble un avenir meilleur.
**Férith Lindor, rédacteur en chef de la Gazette d'Edelwhen** |
Tableau des effectifs engagés
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Fin de la première partie
lire la deuxième partie : la Quête du
Soleil Mouvant
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