Les Pacifiques Etats Confédérés de Phenixia

The Peaceful Confederate States of Phenixia


"Les Chroniques d'Allyanse : T1. L'Odyssée des Mémoires
Par Philippe Bondurand et Alden Reeves
deuxième partie : La quête du Soleil Mouvant (Septembre 1024)


retour à la Première Partie : Les Ombres du Wöll




La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 1
**Journal Intime de Xue Fang Yüan**
*1er septembre 1024*


Les feux crépitent doucement dans le camp, projetant des ombres vacillantes sur les tentes de fortune. Autour de moi, les réfugiés baKanda commencent à se préparer pour leur retour vers le LeKanda. Leur visage est marqué par la fatigue, mais également par une résilience indomptable, celle qui les a portés à travers tant d'épreuves. Je supervise les derniers préparatifs, veillant à ce que chaque détail soit pris en compte. N'Kosi et Ayo M'baku, l'oeil à tout, sont d'une aide précieuse. Mon esprit, cependant, dérive loin de ces considérations pratiques.
Aujourd’hui, Alex est venu me rendre visite. Nous avons toujours été des partenaires efficaces, unis par notre engagement commun pour Phenixia. Mais il y a quelque chose de plus entre nous, une nostalgie qui flotte dans l'air à chaque fois que nos regards se croisent. Il est difficile de ne pas se remémorer les jours passés, nos amours enfouis sous les décombres du temps et des responsabilités. Nous étions jeunes alors, croyant que nous pourrions conquérir le monde ensemble, mais la vie nous a poussés dans des directions différentes. Pourtant, chaque fois que nous travaillons ensemble, je ressens cette même satisfaction, un sentiment d’accomplissement partagé qui n’a jamais vraiment disparu.
Aujourd’hui, ce sentiment est particulièrement fort. Nous avons réussi à limiter les pertes, à protéger ces vies innocentes prises dans les tourments de la guerre. C'est une victoire, bien sûr, mais elle est teintée de tristesse. Comment se fait-il que les humains soient si prompts à se tourner vers la violence ? Nous avons vécu et survécu à tant de conflits, pourtant l'ombre de la guerre semble toujours présente, prête à resurgir à la moindre étincelle. Ces pensées m’assaillent alors que je contemple la scène devant moi, m'interrogeant sur le genre humain et sa capacité à répéter les mêmes erreurs, encore et encore.
Alex semble partager ces réflexions. Il m’a parlé de Blake, ce curieux personnage qu’il a rencontré venu de Taigaria. Un homme étonnant, disait-il, qui parle une langue très proche du Westlandais mais aux sonorités légèrement différentes. Blake lui a fait d'étonnantes confidences sur son origine terrienne. Cela a immédiatement rappelé à Alex la légende du "grand débarquement", ce mythe fondateur de Phenixia. Une légende que presque tout le monde croit être une fable : l'idée que nous, Phénixiens, descendons d'un immense exode venu des quatre coins d'une mythique "Terre ronde" il y a 1024 ans.
Nous avons grandi avec cette histoire, une belle fable pour expliquer notre diversité et nos origines disparates. Mais si Blake dit la vérité, cela pourrait jeter une lumière nouvelle sur notre histoire. Serions-nous vraiment les descendants de cette Terre ronde ? Cette hypothèse me fascine et, pour la première fois depuis longtemps, je ressens un désir intense d'en savoir plus.
Mais Alex a déjà tant à faire. La guerre qui vient de se terminer a laissé Phenixia avec trois nouveaux États, et ils doivent être intégrés dans notre Confédération. Trois agresseurs, encore méfiants et instables, qu'il doit aider à se reconstruire tout en les arrimant fermement au camp doublixe. Il m’a parlé de Müssler du Wöll, qui semble sincèrement désireux de se retirer dans un an, comme prévu, mais aussi de la Mégathérie, où Selkane Glacemont joue avec les ficelles du pouvoir dans l'ombre. Le Samadalah, par contre, l'inquiète. Leur Empereur-prophète est imprévisible, et Alex craint que ce ne soit là un foyer potentiel de nouvelles tensions.
Il m’a dit tout cela avec cette gravité qui le caractérise, mais aussi avec la fatigue d’un homme qui porte trop de responsabilités sur ses épaules. J’ai alors ressenti ce besoin de l'aider, comme je l'ai fait tant de fois par le passé. Mais cette fois, ce serait différent. J’ai proposé de me charger de cette enquête sur les origines terriennes, de suivre la piste que Blake a involontairement ouverte.
Alex a accepté. Ses yeux se sont éclairés d’un sourire que je n'avais pas vu depuis longtemps, un sourire de confiance et de soulagement.
Nous avons toujours été une bonne équipe, lui et moi. Peut-être que cette nouvelle mission nous rapprochera encore, mais pour l'instant, je suis surtout impatiente de découvrir ce que cette légende pourrait cacher. Si Blake est la clé de ce mystère, alors je suis déterminée à découvrir la vérité.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 2
**2 septembre 1024**
*Carnets de N'Kosi M'Baku*

Le soleil se découvre doucement, étirant ses bras dorés sur la terre des baKanda, encore marquée par la guerre mais fertile d'espoir. Le camp, jadis refuge pour les âmes errantes, se prépare à vider ses entrailles, à libérer ses enfants pour qu'ils rentrent enfin au LeKanda. Chaque visage, autrefois crispé par la peur, s’éclaire désormais de la lueur d'un nouveau matin, d'un retour tant attendu.
C’est dans ce cadre, dans cette aube qui se teinte de renaissance, que Fang Yuan, la redoutée et respectée maîtresse de l’ombre, s'avance pour ses adieux. Ses pas, légers comme la brise matinale, trahissent à peine l'émotion qu'elle porte en son sein. Elle nous salue Ayo et moi avec une solennité que seul le poids des événements passés peut donner.
Je me sens grave mais serein, mon cœur se serre de fierté et de tristesse mêlées. Ayo, ma femme, incarne la force tranquille, un pilier inébranlable malgré les tempêtes qui ont secoué notre monde. Ensemble, nous avons traversé bien des épreuves, et voici que notre vie nous impose un nouveau défi : laisser partir notre fils, Shaka, dans une quête qui dépasse l'entendement des jeunes guerriers.
Shaka, le regard déterminé, a goûté à la guerre, à l'aventure, et il ne peut se résoudre à revenir à une vie ordinaire. Les épreuves l'ont forgé, lui ont donné un avant-goût d'une destinée plus vaste, et c'est avec cette maturité nouvelle qu'il s'impose pour suivre Fang Yuan. « Je dois partir avec elle, père, mère. C’est l’appel du destin, et je ne peux l’ignorer. »
J'hésite, ma fierté de père vacille devant l'inquiétude. Pourtant, je vois mon reflet en Shaka, un miroir de mes propres ambitions passées. C'est Ayo qui brise le silence, sa voix douce et ferme à la fois : « Il est temps, N'Kosi. Notre fils est devenu un homme. Qu'il prouve sa valeur, non par l'impétuosité de sa jeunesse, mais par la sagesse qu'il a acquise. »
Shuri, la petite sœur de Shaka, ses yeux pleins de larmes, pleure doucement contre l'épaule d’Ayo. « Shaka, tu reviendras ? », murmure-t-elle, sa voix brisée par l'émotion. Shaka, le cœur serré mais décidé, lui promet une surprise à son retour, une promesse d'aventure et de découvertes.
Fang Yuan observe la scène avec une certaine gravité. Elle reconnaît en Shaka un potentiel brut, une promesse d'avenir, et malgré ses réticences initiales, elle finit par céder. Elle sait que la route qu'ils s'apprêtent à emprunter est semée d'embûches, mais elle voit aussi en ce jeune homme une force nécessaire pour l’avenir.
Ensemble, Fang Yuan et Shaka se dirigent vers le dirigeable qui les attend. Destination : Shuluta. Là-bas, Fang Yuan doit rencontrer Philip Nigel Blake, cet homme énigmatique venu de Taïgaria, un mystère en soi. Elle m'a dit que Blake, cet étranger aux allures de conte de griot, détient des réponses, des vérités enfouies dans les légendes de Phenixia, dans l’histoire de ce « grand débarquement » dont même les Anciens murmurent encore les récits.
Alors que le dirigeable s'élève dans le ciel, je fixe l'horizon, les yeux brillants d'une fierté teintée d'appréhension. Du fond de mon âme monte une prière pour Shaka, pour Fang Yuan, et pour cette mission qui, je le sent, pourrait révéler les mystères de nos origines.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 3

### Journal de Philip N. Blake - 3 Septembre 1024

Il y a quelques jours encore, je ne m’attendais pas à grand-chose. Après la reddition des Mégathériens, je suis resté à Shuluta, sans but précis, simplement parce que je ne savais où aller. Mon cœur était ailleurs, aux côtés d'Ekaterina. J’ai appris qu'elle partait rejoindre Marrenkov, ce général Mégathérien. Elle est amoureuse de lui, semble-t-il. Je l’ai vue plus heureuse que jamais, ses yeux brillants de cette lueur que je n’avais jamais réussi à faire naître en elle. Marrenkov est veuf, avec un enfant. Cela m’aura pris de court, cette paix qui semble tout emporter avec elle, y compris l’unique raison pour laquelle j’étais encore ici. Je me sens comme une feuille tombée de l’arbre, emportée par un vent que je ne maîtrise plus.
Alors que je me terrais dans ce coin reculé de Shuluta, deux inconnus sont venus à ma rencontre. La première, une femme aux manières calculées et au regard perçant, se présenta comme Xue Fang Yuan. L'autre, un jeune homme à la peau foncée, du nom de Shaka, avait cette flamme dans les yeux, ce mélange de curiosité et de détermination que j’avais autrefois, bien avant que la guerre ne m’enlève tout cela. Leur arrivée me surprit autant qu’elle m’intrigua. Comment avaient-ils entendu parler de moi ? Et surtout, pourquoi semblaient-ils prendre mon histoire au sérieux ?
Fang Yuan, avec une assurance que je ne pouvais que lui envier, s’assit face à moi et sortit un objet que je n’aurais jamais pensé voir en ces lieux : un livre de géographie pour enfants. Ce genre d’ouvrage, plein de couleurs et d’illustrations naïves, m’aurait semblé anodin en d’autres circonstances. Mais lorsqu'elle l’ouvrit et commença à tourner les pages, mes yeux se figèrent sur les images qu'elle me montrait. Là, sous mes yeux, se trouvaient des représentations de nations qui me semblaient étrangement familières. Presque toutes étaient des transpositions plus ou moins fidèles de nations terrestres. L’Angleterre, la Chine, les États-Unis, l’Afrique... Chacune avait ici son équivalent, sous un nom différent, mais les paysages, les visages, les cultures, tout était là, subtilement différent mais presque toujours reconnaissssable.
Je restai sans voix un instant, le souffle court. Qu’est-ce que cela signifiait ? Était-ce un rêve, une hallucination ? Mais non, tout cela était bien réel, et ces deux étrangers semblaient en savoir bien plus que moi.
Alors que je feuilletais les pages, deux noms retinrent mon attention : Atavisia et Eledwhen. Je ne reconnus rien de ces endroits. Ils étaient... étrangers, même pour moi qui pensais avoir vu tant de choses. C'est alors que Fang Yuan suggéra ce qui me paraissait être une folie, mais qui, en cet instant, était la seule chose qui me donnait un semblant de direction : partir en quête de ces lieux, en commençant par Eledwhen. Peut être que là, en comprenant pourquoi ils ne m'évoquaient rien, nous en apprendrion splus sur l'étrange lien qui semblait unir la Terre d'où je venais et cet étrange Anneau dont Mme Xue m'apprit qu'il s'appelait Allyanse.
J'acquiesçai, plus par désespoir que par réelle conviction. Avec Ekaterina partie, il ne me restait rien ici, plus rien pour me retenir. Cette quête, aussi absurde qu’elle puisse paraître, était tout ce qu'il me restait. Alors, nous partirons. Peut-être trouverai-je des réponses. Peut-être trouverai-je autre chose. Mais au moins, je ne serai plus seul avec mes pensées et cette douleur qui me ronge.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 4 (4 septembre 1024)

**La Gazette d’Eledwhen - 5 septembre 1024**
**Visiteurs d’un autre monde en Edelwhen : Une Rencontre Exceptionnelle**
*Par Férith Lindor*

Hier, 4 septembre, Edelwhen a eu l’honneur de recevoir des visiteurs des plus extraordinaires. Arrivés par dirigeable, malgré des vents contraires et des orages tumultueux, un trio singulier s'est posé sur nos collines. Parmi eux, un homme d’un autre âge et d’une autre terre, accompagné de compagnons non moins intrigants. Tous ont été accueillis avec la chaleur et la générosité qui caractérisent notre peuple.
À leur arrivée, le Thaine, dans sa grande sagesse, a offert l’hospitalité traditionnelle, marquant l’événement par un banquet digne des plus grandes fêtes. Nos invités, fascinés par nos demeures semi-enterrées, ont montré une admiration sincère pour l’art de vivre que nous avons perfectionné au fil des générations. Leur étonnement face à notre appétit féroce—trois petits déjeuners avant midi ne sont pas une mince affaire—était palpable, mais loin de s’en moquer, ils ont loué notre joie de vivre.
Il fut vite évident que notre mode de vie paisible et notre courage tranquille étaient pour eux des découvertes tout aussi nouvelles que respectées. Philip Nigel Blake, un « Anglais » d’allure distinguée, mais humble, s’est montré particulièrement impressionné. Ses compagnons, la dame Fang Yuan, qui dégage une présence à la fois sereine et imposante, et le jeune Shaka, à la peau noire comme un tronc de noyer, vif et curieux, ont partagé son étonnement avec respect. Ce respect mutuel a gonflé de fierté chaque cœur nimlothrim.
C’est lors du repas que l’objet de leur venue s’est révélé. Ils sont en quête de réponses à un mystère liant le monde, appelé « Terre », à notre Allyanse. Blake, comme il est couramment nommé, a confirmé que notre pays ne ressemblait à rien de ce qu’il connaissait, ce qui, loin de nous déstabiliser, a renforcé notre conviction en la singularité de notre culture.
Le moment le plus surprenant est venu lorsque le Thaine Adalgrim Brasfort a évoqué un autre étranger, un certain Li Cheng. Ce visiteur d’une autre « Terre » avait, il y a quelque temps, parcouru nos terres et convaincu le Thaine d’accueillir les dirigeables phénixiens avec la plus grande bienveillance. Ce Li Cheng a ensuite quitté Edelwhen pour Yinchokta, auprès de la Tante Suprême, laissant derrière lui une impression profonde.
En apprenant cela, nos visiteurs ont vu dans ce nouvel indice une clé de leur quête. Aujourd’hui même, ils repartent en direction de Yinchokta, nos estimés voisins aux mœurs si étranges, mais où, espèrent-ils, ils pourront enfin démêler les fils de ce mystère. Bien sûr, avant leur départ, nous leur avons offert autant de victuailles que leur dirigeable pouvait porter, ainsi que notre demande de nouvelles régulières et de recettes exotiques.
Ainsi se termine la visite de ces curieux explorateurs en Edelwhen. Leur passage, bien que bref, a marqué nos esprits, et nul doute que les échos de leur aventure continueront de résonner longtemps dans les pages de notre Gazette.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 5

**Extrait de "L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux"
par Lian Hawkeye, édité aux Presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)**
**Chapitre XVII : Entre deux mondes**

Li Weishan, que les Yinchoktans connaissent sous le nom respecté de Wicasa Ska, se trouva rapidement pris dans les tourbillons des célébrations de la paix, une paix durement acquise, qui résonnait comme un souffle de soulagement à travers le vaste pays. Les festivités en l'honneur de la fin des hostilités, bien que grandioses, ne parvinrent pas à captiver son esprit aguerri. Son cœur, forgé dans les batailles de la guerre sino-japonaise, restait étranger à ces réjouissances. Plus troublantes encore furent les négociations politiques qui suivirent, où Li fut propulsé au centre de discussions diplomatiques complexes.
Aux côtés de Shunala Greyhawk, la Tante Suprême de Yinchokta, il s'efforça de naviguer dans les subtils équilibres de pouvoir entre les trois principales factions du pays : les Tching, qu'il reconnaissait comme étant d'origine chinoise ; les Kotas, qu'il identifiait vaguement comme des Amérindiens, bien qu'il n'en fût pas certain ; et les Wasdes, qui ressemblaient à des Nord-Américains anglophones, parmi lesquels une minorité notable de noirs. Bien qu'il fût honoré de la confiance que Greyhawk lui témoignait, ce rôle de diplomate le plongeait dans un ennui sourd. La guerre avait été son domaine, l’action son essence ; maintenant, il se voyait contraint à des joutes verbales et des négociations abstraites qui ne faisaient que creuser en lui un sentiment d'inadéquation.
Le 5 septembre, alors que Li se tenait dans les vastes salles du palais, une agitation inhabituelle se fit sentir parmi le personnel. Bientôt, on annonça l’arrivée de trois étrangers en dirigeable, demandant expressément à le rencontrer. La curiosité piquée, Li apprit que Xue Fang Yüan, une émissaire de Phenixia, accompagnée de Shaka, un jeune guerrier au sang vif, et de Philip N. Blake, un homme à l’allure énigmatique, avaient fait le voyage pour le voir.
Leur accès à Li ne se fit pas sans résistance. Les filtres administratifs du palais, en particulier une secrétaire zélée, tentèrent de les retarder, mais Fang Yüan fit preuve de l’autorité naturelle de Phenixia. Ses yeux noirs, durs comme le granit, percèrent l’air avec une telle détermination qu’elle désarma toute opposition. Avec une froideur impérieuse, elle toisa la secrétaire qui, sous le poids du prestige de l'émissaire, s’effondra finalement en excuses murmurées.
Une fois les formalités expédiées, les trois visiteurs se présentèrent enfin devant Li. Après les salutations d’usage, Blake, dont l’apparence rappelait celle d’un homme hors de son temps, expliqua leur quête. La discussion qui s’ensuivit fut d’une intensité rare. Li et Blake, bien que séparés par deux décennies d’histoire, trouvèrent un terrain d’entente dans leurs récits de guerre, de désespoir et de ce transfert énigmatique qui les avait propulsés dans ce monde. Tous deux se souvenaient d’un moment où, pensant leur dernière heure arrivée, ils avaient été soudainement transportés sur Allyanse.
La perplexité monta d’un cran lorsque Li réalisa que bien que parti de la Terre en 1937, il était arrivé sur Allyanse en 1002 AD, soit 22 ans avant Blake, qui avait pourtant quitté la Terre en 1917. Ce paradoxe temporel les déstabilisa, les laissant tous les deux en proie à des spéculations sans fin. Comment expliquer cette anomalie ? Quelle logique régnait sur les transferts entre la Terre et Allyanse ? Les réponses leur échappaient, mais la quête en devenait plus pressante.
Leur conversation dériva naturellement vers Edelwhen, ce pays peuplé d’êtres de petite taille, dont aucun des deux n’avait jamais entendu parler. L’absence de références à ces gens dans leur passé terrien les amena à conjecturer sur une possible origine future ou parallèle. Enfin, ils décidèrent que pour résoudre ce mystère, il leur faudrait explorer d’autres régions d’Allyanse, en particulier Atavisia, dont aucun d’eux n’avait jamais entendu parler.
Li, le cœur battant à l’idée d’une nouvelle aventure, décida de se joindre à eux. Avant de partir, il fit ses adieux à Shunala Greyhawk avec un profond respect. La Tante Suprême, bien que peinée de voir partir cet allié précieux, comprenait son désir de quête et lui offrit son soutien. Dans un murmure discret, on mentionna l’amitié naissante entre Greyhawk et le général Tswana Birgit, commandant des forces Phenix Rouge, une relation qui semblait se renforcer au fil des jours.
Ainsi, avec la bénédiction de Greyhawk et le cœur plein d’espoir, Li Weishan embarqua pour une nouvelle étape de son voyage, une quête qui promettait de dévoiler des vérités bien plus grandes que celles qu’il avait découvertes jusqu’à présent.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 6 (6 septembre 1024)

### Extrait des Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia.
(Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)

Ce jour-là, je me souviens avoir observé, depuis les hauteurs de notre campement, l'arrivée du grand dirigeable au-dessus des plaines d'Atavisia. La descente de ces étrangers, marquée par une curiosité manifeste, m'a immédiatement frappé. Les visiteurs—Wicasa Ska, Xue Fang Yüan, Shaka, et Philip N. Blake—découvrirent un monde bien éloigné des leurs, et je me revois, à cet instant, tentant de deviner ce qu'ils pensaient en voyant nos visages pour la première fois.
Leurs regards étaient fixés sur nos traits, qu’ils trouvaient sûrement inhabituels. Je sais maintenant que ce qui les frappait tant étaient les traits de certains d'entre nous—ceux dont le front proéminent, les sourcils lourds et les pommettes saillantes, dénotaient une profondeur d'histoire que nous ignorions alors. Leurs yeux s'attardaient sur ces mâchoires puissantes, ces nez larges et ces arcs prononcés au-dessus des orbites, comme s'ils cherchaient à comprendre l'origine de ces caractéristiques qu'ils ne reconnaissaient nulle part ailleurs. Ces traits, si distincts, n'avaient pourtant jamais suscité d'interrogation parmi nous. C’était ce que nous étions. Pourtant, pour eux, il semblait que quelque chose de fondamental leur échappait, comme si notre apparence trahissait une vérité oubliée ou un lien perdu avec un passé lointain.
Après quelques échanges avec les plus courageux de nos chasseurs, qui les avaient accueillis, ils furent conduits au cœur de notre campement. Là, ils furent présentés au Grand Shaman Rouka, dont l’allure imposante ne laissait personne indifférent. Rouka, avec ses traits encore plus marqués que les autres, semblait incarner à lui seul le mystère qui flottait autour de notre peuple. À ses côtés, Gammla, notre Cheffe-Panthère, se tenait droite et fière, sa peau noire et ses cheveux blonds formant un contraste saisissant. Ses yeux turquoise semblaient dévisager les étrangers, jaugeant leur force intérieure. Quant à mon père, Torg, il se tenait légèrement en retrait, ses muscles saillants et son expression grave témoignaient de la responsabilité qui lui incombait en tant que Parleur aux étrangers écemment promu.
Rouka prit la parole, comme il le faisait rarement. Il leur révéla ce que nous avions longtemps ressenti mais jamais pleinement compris : notre peuple avait perdu la mémoire. Non pas comme on oublie un détail de la journée, mais comme on perd une langue entière, un savoir ancien qui aurait été effacé sans explication. Il leur raconta comment, il y a bien des saisons de cela, nous avions commencé à nous rendre compte que nos souvenirs se dissipaient, ne laissant que des compétences de survie. Nous savions chasser, fabriquer des outils de pierre, mais nous ne savions plus pourquoi, ni d’où nous venions.
Les étrangers écoutaient avec une intensité qui me frappa. Ils posaient des questions, cherchant à comprendre. Mais comment pouvaient-ils comprendre ce que nous ne comprenions pas nous-mêmes ? Rouka parla aussi de ces rêves étranges qui hantaient certains d’entre nous—des visions où le soleil se déplaçait dans le ciel, où la nuit et le jour se succédaient d’une manière que nous ne connaissions pas ici. Ces rêves troublaient ceux qui les faisaient, mais ils étaient rares, interdits aux plus jeunes, à ceux qui affirmaient être nés en Atavisia, bien après la grande perte.
Une fois leur entretien terminé, les étrangers prirent congé, et je ressentis en eux une forme de perplexité. Alors que le dirigeable prenait de l'altitude, j'étais caché dans une des soutes, le cœur battant. Je savais que je ne pouvais plus rester ici, dans ce lieu de mystère, sans chercher à comprendre ce qui nous était arrivé. Je savais aussi que Rouka avait pressenti mon départ, car il m’avait offert un morceau d’ambre qu’il triturait souvent, comme s’il contenait une réponse que lui seul percevait.
Quand ils me découvrirent, je les rassurai, leur montrant le morceau d’ambre que Rouka m’avait confié. À cet instant, je sus que mon destin était lié au leur, et qu’ensemble, nous chercherions la vérité sur nos origines, sur ce monde qui semblait si vaste et rempli de secrets que même les plus anciens parmi nous avaient oubliés.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 7

**Journal intime de Xue Fang Yüan**
*7 septembre 1024*


Alors que notre dirigeable glisse silencieusement au-dessus des paysages de Phenixia, je prends un moment pour mettre par écrit les réflexions qui m'assaillent. Le voyage est long, et chaque étape nous offre de nouveaux mystères, de nouvelles interrogations. Nous avons quitté les terres rudes et primitives d'Atavisia, où les souvenirs des habitants semblent aussi flous que leurs origines. Maintenant, en survolant d'autres régions, je me rends compte à quel point notre monde est à la fois vaste et étrange.
La diversité des paysages est saisissante. Après les forêts ancestrales d'Atavisia, nous avons traversé la vaste prairie de Yinchokta, où des troupeaux de bisons s'épanouissent le long de larges rivières. Puis, ce fut la jungle dense du Dàt Vâng, une mer de verdure humide qui s'étendait à perte de vue, vibrante de vie et de mystère. Ensuite, à peine sortis de cette canopée, nous avons découvert le fleuve majestueux du Nizon se divisant en un immense delta, que les locaux appellent le Nizonia. Mais là où ce delta aurait dû rencontrer la mer, ses eaux se perdaient dans les sables d’un désert de roches et de sable. Puis commençait une steppe. J’ai reconnu ces terres arides comme le Turkistan, un nom qui a fait sursauter Blake. Il semblait intrigué, peut-être même troublé, par la similitude de ce nom avec celui d’une région de sa propre Terre, bien qu’ici, le paysage désertique autant que le delta fertile qui le précédait paraissent étranges à ses yeux.
Alors que nous poursuivons notre vol, les paysages continuent de défiler sous nos yeux, mais notre attention se porte désormais sur une autre sorte de découverte : celle de nos pensées et de nos pistes d’enquête. Nous avons décidé de faire le point ensemble, chacun exposant ses réflexions et ses doutes.
Blake, le premier, exprime son trouble face à la géographie de cet anneau-monde. Pour lui, ces transitions soudaines entre des paysages si différents, parfois en l’espace de quelques dizaines de kilomètres, sont des plus déroutantes. « C’est comme si quelqu’un avait rassemblé des morceaux de différents mondes et les avait assemblés ici, » dit-il, songeur. « Et ces noms… Le Turkistan… C’est trop étrange pour être une simple coïncidence. »
Li Cheng prend la parole ensuite. Sa voix est empreinte de sagesse et de réflexion, comme toujours. « Les langues ici, votre Trysommien, le Tching du Yinchokta… Elles sont un lien entre les peuples. Même si ces pays sont éloignés, leurs langues sont semblables à la mienne. Comment expliquer cela autrement que par une origine commune, peut-être bien plus ancienne que vous ne l’imaginez ? »
Shaka, plus pragmatique, évoque les troubles de la mémoire qui semblent frapper certaines populations, comme en Atavisia. « Ces gens, ils ont oublié leur propre passé. C’est comme s’ils avaient été déracinés et transplantés ici, leur mémoire effacée, sauf pour ce qui leur est essentiel pour survivre. J'ai entendu mon père N'Kosi raconter des histoires semblables de l'ancien temps. Peut-être que d’autres ici, sur cet anneau, partagent cette même amnésie?. »
« Oui, confirmai-je » cela ressemble au mal de Mangiagobie qui a ravagé ces régions que nous survolons vers 1004, mais cela n'explique pas que ces gens, surtout en Atavisia, mais aussi dans ton LeKanda ou en Edelwhen ressemblent si peu aux Polyciens dont nos livres parlent et qui habitaient cette zone auparavant.
Kaylor, le plus jeune d’entre nous, mais d’une perspicacité surprenante, pose une question simple mais cruciale : « Combien d’autres sont comme Philip et Wicasa, convaincus de venir d’ailleurs, d’une Terre différente ? Peut-être y a-t-il d’autres indices à découvrir, d’autres personnes à interroger. »
Nous restons un moment silencieux, chacun absorbé par ses pensées. L’ampleur de notre tâche commence à se révéler dans toute sa complexité.
Finalement, je prends la parole. « Il est clair que nous avons besoin de plus d’informations pour avancer. Je propose que nous nous rendions à Tcheu-Houei-Tcheng la plus grande ville universitaire de Trysommie, où mon cousin Sima Xu enseigne l’histoire ancienne. S’il existe des précédents, des traces d’autres mondes dans nos légendes ou nos récits, il pourra peut-être nous les révéler. »
Les regards se tournent vers moi, et je vois dans leurs yeux une lueur d’espoir mêlée de détermination. Cette quête est encore jeune, et nous ne savons pas où elle nous mènera. Mais je sens que nous sommes sur la bonne voie, même si elle est encore enveloppée de mystère.

Je ferme mon journal, le cœur lourd de questions mais aussi d’une étrange excitation. Le voyage continue, et avec lui, notre quête de la vérité.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 8 (en vol)

**Extrait de "Mes Combats - Autobiographie de Shaka M'Baku"**
parue aux éditions du Balbuzard, à Yasebukhosini en 1056.
**Chapitre XVIII: Le Mystère des Airs et des Métaux**

Le 8 septembre 1024, c'était notre deuxième jour dans le ventre du grand dirigeable, et je dois avouer que je ne me préoccupais guère des détails techniques du vol. À l'époque, l'honneur, la bravoure et la force étaient les seules qualités qui comptaient à mes yeux. L'idée de m'intéresser à la manière dont cet immense vaisseau flottait dans le ciel me semblait presque frivole. Pourtant, ce jour-là, Kaylor et Blake, avec leur insatiable curiosité, m'entraînèrent dans une discussion qui allait bien au-delà de mes préoccupations guerrières.
Kaylor, ce jeune sauvageon d'Atavisia aux traits si étrange, posait des questions à un rythme effréné. Avec son front bas et ses yeux bleus limpides, il avait cette façon de tout vouloir comprendre, de chaque chose à laquelle il portait un regard émerveillé. Et ce jour-là, son intérêt se porta sur le fonctionnement du dirigeable.
« Comment peut-il voler ? » demanda-t-il avec ses grands yeux pleins de fascination.
Blake, qui semblait plus à l'aise avec les mystères du monde moderne, haussa les épaules. « Ce doit être une question de physique, de la manière dont l'air se déplace autour de l'appareil, j’imagine. Mais je dois avouer que je n’ai jamais vu de dirigeable aussi... organique. »
Intrigués par la mécanique de l'engin, nous décidâmes de poser la question à l'officier de liaison, une femme à l'allure stricte mais aimable, toujours prompt à répondre à nos interrogations.
L'officier nous fit une visite improvisée du dirigeable. Kaylor gambadait comme un jeune lionceau, touchant du bout des doigts les parois de bambou et les moteurs de bronze ferreux avec un mélange de crainte et de curiosité. Ce fut Blake, cependant, qui posa la question la plus surprenante.
« Pourquoi ce vaisseau est-il construit en bambou et en cuivre ? Où est l’acier, le fer ? »
L'officier fronça les sourcils, visiblement perplexe. « L’acier, monsieur ? Je ne suis pas certain de comprendre ce mot. Le fer serait trop cassant ou trop lourd pour une structure aérienne. Le bambou, quant à lui, est solide, flexible et léger, parfait pour nos dirigeables. »
Blake parut déconcerté. « Pourtant, sur Terre… » Il se coupa lui-même, réalisant peut-être que son monde d’origine n’avait que peu en commun avec celui-ci. « Vous avez dit que le fer était trop lourd et cassant, mais qu’en est-il des moteurs ? »
L'officier sourit, apparemment fière de pouvoir étaler ses connaissances. « Ah, les moteurs sont une merveille d'ingénierie ! Ils sont fabriqués dans un alliage que nous appelons le bronze ferreux. C'est un alliage qui combine la robustesse du bronze avec des propriétés therrmiques bien supérieures. Hélas ils est hors de prix »
Blake se gratta la tête, clairement frustré par ce qu'il ne comprenait pas. Moi, je dois avouer que je n’étais pas davantage intéressé. À ce moment-là, il me semblait que seule la force brute méritait de l’attention. La puissance d’un bras bien entraîné, ou la solidité d’une arme forgée dans un bon métal. Ces histoires de moteurs et de matériaux nouveaux n’étaient pas pour moi.
La journée s'étira, et nous survolâmes des paysages qui semblaient sans fin. Le Turkistan, nom donné par Xue, m'apparut comme un désert aride, cruel, où seules des étendues de sable et de rochers brisés s'étendaient à perte de vue. Plus loin, après avoir traversé une chaîne de montagnes basses, nous survolâmes une région qu'ils appelèrent l'Eastland. Aucun de nous trois ne connaissait ce pays, mais ce paysage de vastes plaines et de forêts profondes, entrecoupé de lacs et de rivières, évoquait un pays mystérieux et étranger. Ca et là, des routes larges et bien tracées et des villes aux larges avenues évoquaient en moi stupeur et respect. Même moi, qui n'étais pas amateur de paysages, je ne pouvais nier la majesté de ces terres.
En fin de journée, l'officier de liaison fut appelée sur la passerelle de pilotage. Une agitation inhabituelle se faisait sentir parmi l'équipage. Quelques instants plus tard, il revint vers nous, le visage grave.
« Le temps se gâte, » annonça-t-elle. « Nous avons reçu un appel du sol. Il serait plus sage d'atterrir à Nosportgrad plutôt que de risquer la traversée de l’océan cette nuit. »
Xue fronça les sourcils, visiblement contrariée par ce contretemps, mais elle finit par acquiescer. « Très bien, atterrissons à Nosportgrad. Mieux vaut la prudence que l’imprudence. »

Et c'est ainsi que nous nous préparâmes à un nouvel atterrissage, loin de notre destination prévue, avec ce sentiment d'incertitude quant à ce que le lendemain nous réservait.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 9 (Nosportgrad)

**Extrait du journal de Philip N. Blake**
*9/9/1024 : Nosportgrad et les mystères du Mal de Mangiagobie*


Lorsque nous atterrîmes à Nosportgrad, c'était comme si le destin lui-même avait conspiré pour nous retenir. La tempête qui faisait rage sur l'océan nous empêchait de repartir, nous laissant prisonniers d'une ville que je découvrais avec fascination.
Nosportgrad était une cité aux larges avenues bordées de grands bâtiments aux façades imposantes, avec des coupoles dorées et des statues majestueuses rappelant celles que j'avais vues dans certaines capitales européennes. C'était une ville moderne, du moins selon mes critères. La plupart des déplacements se faisaient en engins tirés par des chevaux robustes, y compris les tramways. Les rues pavées résonnaient du cliquetis des sabots. Cela ne me surprit guère, étant donné que pour moi, l'automobile était encore une nouveauté réservée à une élite.
Cependant, Li Weishan, qui arpentait ces rues avec une certaine méfiance, souleva une question qui m'avait échappé : "Où sont les véhicules motorisés ?" Je réalisai alors, avec un certain étonnement, que je n'avais vu aucune automobile en circulation. Lorsque nous posâmes la question à un habitant, il nous répondit, l'air presque amusé, qu'il y avait un circuit pour les automobiles près de l'hippodrome, mais que ces machines n'étaient utilisées que pour le sport, un divertissement pour les amateurs de vitesse. Cette révélation, anodine pour les autres, prit pour Li et moi une signification particulière, nous rappelant combien ce monde, bien que semblable, différait du nôtre.
Au cours de notre exploration de la ville, un incident attira particulièrement mon attention. Nous traversions une place lorsqu'une lourde charrette, bloquée par une roue défectueuse, gêna le passage. Tandis que plusieurs hommes tentaient en vain de la dégager, Kaylor, avec son allure juvénile et ses cheveux roux éclatants, s'avança sans dire un mot. D'une poigne presque surnaturelle, il saisit la charrette et, avec une aisance déconcertante, la remit sur ses roues. Les passants, tout comme nous, furent médusés par cette démonstration de force. Ce jeune homme, avec ses muscles saillants et sa carrure puissante, possédait une force qui semblait défier les lois de la nature. Roux aux yeux bleus, il ressemblait à un héros d'une saga ancienne, un être à la fois terrifiant et fascinant.
Le soir, nous fûmes invités à une réception par Olga Ivanova, la maire de Nosportgrad. C'était une femme de 54 ans, à l'élégance discrète mais imposante, ses cheveux gris soigneusement relevés en un chignon sévère. Son époux, Alexei Ivanov, un psychiatre de 56 ans, était d'un tout autre genre. Plus réservé, il observait notre petit groupe avec une curiosité clinique. Lorsqu'il eut vent de nos discussions sur les souvenirs terriens et les anomalies que nous avions découvertes, il se montra dubitatif.
Alexei nous exposa ses théories sur le Mal de Mangiagobie, une épidémie qui avait ravagé Allyanse en 1004, causant une amnésie partielle chez les survivants. Selon lui, ce mal était si puissant qu'il pouvait effacer des pans entiers de mémoire tout en laissant intactes les compétences acquises, comme celles nécessaires à la survie. Il expliqua que de nombreux patients se souvenaient de techniques de chasse ou de fabrication d'outils, mais étaient incapables de se rappeler leur propre enfance ou les visages de leurs proches.
Li et moi échangeâmes un regard lourd de sens. Comment expliquer que nous ayons tous deux inventé la même histoire de soleil mouvant, chacun de notre côté ? C'était impossible. Et pourtant, le dr Alexei Ivanov semblait convaincu que nos souvenirs étaient des constructions de notre esprit, des reliques d'une mémoire défaillante.
Une fois de retour, alors que la pluie battait les vitres du dirigeable où nous allions passer la nuit, Xue suggéra que nous devrions enquêter plus avant sur les liens entre cette épidémie et nos propres expériences. Il y avait là un mystère de plus à élucider, un mystère qui, peut-être, détenait la clé de notre présence sur Allyanse.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 10 (survolant l'océan)

**Extrait de "L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux"
par Lian Hawkeye, édité aux Presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)**
*Chapitre XVIII : Un voyage interminable et la découverte de ses compagnons*
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Voyageant depuis plusieurs jours en dirigeable, Li Weishan voyait chaque instant s'ajouter à ses interrogations. Il espérait qu'au bout de ce périple, il trouverait des réponses auprès du sage Sima Xu. La ville de Tcheu-Houei-Tcheng, au nom évocateur de sagesse et de savoir, était située dans un pays étrange appelé Trysommie, dont les quelques allusions faites par le Colonel Xue lui laissaient à penser qu'il pourrait lui rappeler sa Chine natale.
Sous le dirigeable, l'océan semblait infini, et il lui était impossible de mesurer à quelle vitesse ils avançaient. Ce 10 septembre, ils avaient redécollé tôt, sous les dernières gouttes de pluie de Nosportgrad, une ville portuaire. Dès qu'ils prirent de l'altitude, ils survolèrent immédiatement une étendue salée à perte de vue. Lorsque Li interrogea l’officier de liaison sur la durée du vol, elle lui répondit que, selon les vents, il leur faudrait encore deux ou trois jours pour atteindre leur destination. La première journée serait dédiée à survoler cette mer immense, dont les détails se perdaient rapidement à l'horizon dans une brume bleutée, accentuée par les ombres des immenses panneaux noirs qui divisaient ce monde en cycles de jours et de nuits.
Pour passer le temps, Li Weishan se mit à observer ses compagnons de voyage.
Blake, avec ses manières polies et son accent britannique, lui rappelait les colons européens qu’il avait croisés en Chine. Il était grand, mince, et toujours impeccablement habillé, même dans ce monde étrange. Son visage, aux traits anguleux, trahissait une curiosité constante, mêlée d’une certaine inquiétude. Li voyait en lui un homme déplacé, quelqu’un qui n’avait jamais vraiment trouvé sa place, ni dans le monde qu'il avait quitté, ni dans celui-ci. Pourtant, Blake compensait son malaise par une érudition remarquable. Sa connaissance du monde, de l’histoire, et de la science était immense, mais il semblait toujours chercher une vérité plus profonde, un sens caché qui lui échappait encore.
Kaylor, le jeune homme roux aux muscles d’acier, intriguait Li par sa force surhumaine. C’était un colosse, dont les yeux d’un bleu perçant semblaient refléter la rudesse de son environnement d’origine. Malgré son apparence imposante, Kaylor dégageait une innocence désarmante. Il posait sans cesse des questions, mélange de naïveté et de perspicacité, qui forçaient Li à réfléchir plus profondément à ce qu’il croyait savoir. Il était clair que Kaylor n’était pas un simple guerrier. Derrière ses muscles et sa fougue se cachait un esprit en éveil, curieux du monde qui l’entourait, mais encore inexpérimenté dans les subtilités de la vie.
Shaka M’Baku, quant à lui, semblait être le contraste parfait de Kaylor. Ce jeune guerrier à la peau d'ébène, fier de ses exploits, marchait avec la confiance de celui qui a déjà prouvé sa valeur sur le champ de bataille. Son corps était finement sculpté, ses muscles longs et déliés, prêts à exploser à tout moment. Son visage, marqué par des traits aigus et des cicatrices, témoignait d’un passé tumultueux. Pourtant, derrière ce masque de fierté guerrière, Li devinait une intelligence en éveil, une force intérieure qui ne demandait qu’à se révéler pleinement. Shaka parlait peu, préférant observer et analyser, mais chaque mot qu’il prononçait portait un poids certain. Il était un stratège, un tacticien, mais aussi un jeune homme encore en proie aux feux de la jeunesse, parfois trop emporté par ses émotions pour voir plus loin que la bataille immédiate.
Enfin, il y avait Xue Fang Yüan, la mystérieuse et énigmatique colonelle. Avec son allure fière et son visage impassible, elle dégageait une autorité naturelle, renforcée par une élégance discrète. Ses traits délicats cachaient une détermination à toute épreuve et une intelligence redoutable. En tant que médecin-colonel, elle possédait une vaste connaissance médicale, mais c’était sa capacité à naviguer entre les mondes de la guerre, de la science et de l’espionnage qui la rendait véritablement redoutable. Li savait que Xue n’était pas une femme ordinaire. Derrière son professionnalisme infaillible se cachait une espionne douée pour le double jeu, capable de manipuler les informations avec une habileté que peu pouvaient égaler. Sa sagesse et son savoir-faire en faisaient un pilier indispensable du groupe, mais cette même expertise la rendait aussi distante, presque insaisissable. Pour Li, Xue était un mystère en soi, un livre fermé dont il n’avait encore pu lire que les premières pages.
Alors que la nuit tombait, les ombres grandissant et l’air se rafraîchissant, chacun de ses compagnons se prépara à trouver un peu de repos. Les yeux lourds de fatigue, mais l’esprit encore en éveil, Li s’étendit sur son lit de camp, écoutant le ronronnement des moteurs du dirigeable qui les portait toujours plus loin au-dessus de cet océan infini. Ses pensées tourbillonnaient, alimentées par les souvenirs de ses vingt années passées à survivre dans les terres désolées de Yinchokta. Comment ces êtres, si différents, s’étaient-ils retrouvés ensemble sur cette quête ? Quel était le lien qui les unissait, au-delà de ce voyage étrange ?
Tandis que ses yeux se fermaient doucement, Li se demanda si, un jour, il trouverait la réponse à ces questions. Mais pour l'instant, le sommeil l'emporta, et le dirigeable poursuivit silencieusement sa route dans la nuit noire, emportant avec lui ces cinq âmes en quête de vérité.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 11 (Samanta Nagar - 11septembre 1024)
### Extrait des Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia.
(Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)

Le 11 septembre 1024, je me suis réveillé en survolant un océan différent. L’eau semblait plus calme, plus claire, presque accueillante. Au loin, grâce à la courbure de l'Anneau, on pouvait apercevoir des bandes de terre se dessiner, annonçant un nouveau continent. Le dirigeable fendait l'air avec grâce, et tandis que le soleil se dévoilait au zénith, ses rayons se reflétaient sur l'eau, créant des éclats dorés qui dansaient sur la surface. C’était magnifique.
Nous avions quitté Nosportgrad la veille au matin, et maintenant, en survolant cet océan tranquille, je me préparais mentalement à découvrir une nouvelle terre. L'officier de liaison nous aprit que durant la nuit nous avions traversé de part par ssa largeur en part l'île-continent de Mélanie et cela sembla éveille l'intérêt de Shaka, je ne compris pourquoi que bien des années plus tard en apprenant qu'elle était principalement peuplé de peuples à la peau noire comme la sienne. Mais je n'étais pas prêt à ce que je vis lorsque nous approchâmes enfin du Shahraviland. Le paysage changea radicalement, passant d'une étendue d'eau infinie à un patchwork de champs cultivés, de villages ordonnés, et de routes tracées avec soin. C’était la première fois que je voyais des champs aussi vastes et bien entretenus. De mon point de vue élevé, je pouvais distinguer les différentes cultures, des étendues de blé doré, des carrés verts d’autres plantations. Les sillons réguliers et les rivières d’irrigation témoignaient d'une organisation méthodique et d'une maîtrise impressionnante de la nature.
Des enclos abritaient des animaux que je n'avais jamais vus. De grandes créatures à longues cornes et des oiseaux étranges, beaucoup plus gros que ceux que nous chassions dans les forêts d’Atavisia. Les maisons, elles, étaient construites en rangées, leurs toits plats et leurs murs blanchis reflétant la lumière du jour. Les habitations étaient dispersées autour de petits lacs artificiels et bordées d’arbres dont les feuilles exhalaient une douce odeur sucrée, flottant jusqu’à nous dans l'air frais du matin. C’était comme si la nature elle-même avait été apprivoisée, ordonnée pour le bénéfice des habitants de cette terre.
Lorsque nous atterrîmes enfin à Samanta Nagar, la capitale régionale, je fus submergé par la vie foisonnante de la ville. Les rues étaient animées, pleines de gens allant et venant, vêtus de vêtements colorés. Leurs visages étaient calmes, sereins, presque détendus. Tout était ordonné, comme si la ville elle-même respirait au rythme de ses habitants. L’air était saturé de parfums inconnus, mélange de fleurs exotiques, d’épices et d’encens brûlant, qui m’enivraient à chaque respiration.
Je regardais les gens passer, fasciné par les métiers variés qu’ils exerçaient dans la rue. Ici, un forgeron martelait une pièce de métal cuivré, tandis que là, une femme tissait des étoffes chatoyantes sur un grand métier à tisser. Plus loin, un homme âgé vendait des fruits exotiques, dont les couleurs vives attiraient immédiatement l'œil. Des enfants couraient en riant, jouant à des jeux que je ne comprenais pas mais qui me faisaient sourire. Tout autour de nous, le symbole du doublixe était omniprésent, gravé dans la pierre des bâtiments, peint sur les enseignes des commerces, et brodé sur les vêtements des passants.
Ce qui me frappa le plus, c’était l’absence de pauvreté apparente. Les gens semblaient tous appartenir à une même classe moyenne, ni riches ni pauvres, simplement égaux. C’était moins surprenant pour moi, habitué à la rudesse de la vie d’Atavisia où chacun devait lutter pour sa survie que pour Weishan qui avait connu les extrêmes différences sociales du Yinchokta et sa violence. Ici, tout semblait si paisible, si ordonné.
Nous fûmes conduits à la Maison du Peuple, une sorte de mairie locale, où nos hôtes nous accueillirent chaleureusement. Leur modestie m'étonna. Habillés simplement, ils ne portaient aucun des signes extérieurs de pouvoir auxquels je m'attendais. Même à Nosssportgrad, j'avais noté que la Mairre et son mari porrtaient des tisssus pmus fins que less passants ordinaires. Ici, ils étaient comme les gens dans la rue, habillés de manière fonctionnelle et modeste, sans extravagance. Nous nous installâmes autour d'une grande table et ils nous servirent un repas traditionnel sharavi. Les plats étaient un festin pour les sens : des ragoûts épicés, des pains plats chauds, des légumes parfumés, le tout accompagné de sauces onctueuses et de riz à l'odeur enivrante. Mes papilles s’éveillèrent à des saveurs inconnues, douces et épicées à la fois, des explosions de goût qui surprenaient à chaque bouchée.
Je fis l'erreur de mettre une grande quantité de piment dans mon plat, pensant que ce petit ingrédient ne pouvait pas être aussi fort que les épices que je connaissais. Dès que je portai la nourriture à ma bouche, une chaleur intense se répandit. Je sentis le feu brûler dans ma gorge, mes yeux se remplirent de larmes, mais je tentai de garder mon calme, m'efforçant de ne pas montrer ma douleur devant nos hôtes. Cependant, le goût piquant devint insupportable, et je dus finalement prendre une grande gorgée de boisson sucrée, comme me l’avaient conseillé les hôtes amusés. Malgré mes efforts pour rester stoïque, je ne pouvais cacher ma gêne, ce qui fit éclater de rire Shaka et Li, eux-mêmes déjà habitués à ce type de saveur.
Xue Fang Yüan, quant à elle, s’était abstenue de toucher au piment. Visiblement, elle connaissait déjà cette cuisine et savait qu’elle ne l’appréciait pas.
Pendant le repas, un des officiels demanda à Xue Fang Yüan de le suivre pour « affaires militaires ». Il l’appela Colonel Xue, ce qui m'étonna un peu, mais elle se leva sans protester et s’éloigna avec lui. Elle resta absente une bonne heure, et lorsqu’elle revint, elle se contenta de nous adresser un sourire charmant, sans rien dire. Sa discrétion ne manqua pas d’attiser notre curiosité, mais lorsque nous la pressâmes de questions après le dîner, elle éluda habilement : « Nous aurons le temps d’en parler, je vous raconterai dans le dirigeable. »
Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle allait nous révéler. Le reste du voyage allait être bien plus surprenant que ce que je pouvais imaginer.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 12
**Journal intime de Xue Fang Yüan**
*12 septembre 1024*

« Nous aurons le temps d’en parler, je vous raconterai dans le dirigeable », leur avais-je dit. Mais pouvais-je tout leur révéler? Alex n'aurait pas hésité à me faire disparaître s'il avait le moindre doute sur ma loyauté, mère de ses enfants ou pas. Il me faisait confiance pour distiller juste assez de vérité pour avancer à mes fins, et c'est ce que je fis.
Les nouvelles allaient plus vite que notre dirigeable, et Alex avait anticipé notre arrivée après avoir reçu un rapport sur notre passage à Nosportgrad. « Ne parlez plus à personne de votre mission sans mon accord ; Ivanov est un imbécile », ainsi débutait son message. Il m'expliquait ensuite le complexe rapport de force interne au Doublixe qui se jouait entre le GHQ, bras armé de ceux qui contrôlaient le parti au niveau fédéral, et les partis locaux des principaux pays à propos de cette quête des origines.
Modri, l'agent qui m'avait prise à part, était, je le savais depuis longtemps, son homme de confiance au Shahraviland. Et de toutes façons, ce qu'il me disait était corroboré par le message écrit, authentifié dans notre code secret, connu de nous deux seuls.
Cent ans après être passé du rôle de parti révolutionnaire à vocation unitaire et totalitaire à celui, tout au moins officiellement, de fédération de partis locaux en charge du gouvernement d'états membres d'une même confédération démocratique, au sein de laquelle nous ne représentions qu'un gros tiers des États, la cohésion du parti se ressentait de cette confrontation de son idéologie aux dures réalités du pouvoir. Aux nationalismes aussi. Et pour finir, aux conflits personnels, querelles d'égos et appétits de domination de tous les ambitieux d'Allyanse qui voyaient en lui un tremplin pour leurs ambitions personnelles.
Pour résumer, si j'avais bien compris, si nous obtenions une preuve définitive que nos nations n'étaient que les copies d'un ordre ancien extérieur à l'Anneau, l'aile centraliste du parti y verrait un avantage idéologique en avançant que ces nations sont étrangères au dessein d'Allyanse, et que si nous sommes réunis ici, c'est justement pour bâtir autre chose : un monde en paix, en harmonie, dans l'égalité de tous.
Les nationalistes, au contraire, se partageraient entre ceux qui diraient : « Les nations existent, on n'y peut rien ; savoir qu'elles se sont constituées ailleurs que sur l'Anneau ne change rien à l'affaire. » Eux ne seraient pas perturbés outre mesure par la quête, mais ceux qui s'appuient sur les mythes fondateurs propres à chaque nation de Phenixia verraient leur pouvoir menacé par une vérité scientifique différente. Difficile de savoir qui appartient à quelle branche. Mais Alex est le mieux placé pour le savoir ; donc je dois vérifier avec lui chaque démarche, sans pour autant y voir une manière de sa part de me garder sous contrôle. Il serait assez manipulateur pour inventer toute cette histoire, mais la réaction d'Ivanov semble bien corroborer ses avertissements.
À mes compagnons d'enquête, je dis juste le strict nécessaire. De ne pas trop tenir compte des remarques d'Ivanov, que nous devions explorer toutes les pistes, et que Sir Alex Spencer nous avait obtenu les moyens de poursuivre notre mission.
Le soir, alors que le rideau noir de la nuit avait occulté le soleil, j'aperçus enfin les lumières de Tcheu-Houei-Tcheng. Là, notre quête reprendrait. Si je devais tenir compte de ces dimensions politiciennes, il me fallait les utiliser à mon profit et surtout ne pas me laisser freiner par elles. L'enjeu était trop important.
**La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 13 (à Tcheu-Houei-Tcheng soirée du 12 et journée du 13/9/1024)**
**Extrait de "Mes Combats - Autobiographie de Shaka M'Baku"**
Éditions du Balbuzard, Yasebukhosini, 1056.
**Chapitre XIX : La ville de la sagesse... et des intrigues**


Notre voyage vers la Trysommie fut long, et ponctué d'escales que, dans la sottise de ma jeunesse, je trouvais plus ennuyeuses que réellement excitantes. Je m'étais embarqué pour l'aventure, mais pour le moment, nous enchaînions de fastidieuses heures de vol et encore plus fastidieuses réceptions officielles aux escales.
Dès notre atterrissage à Tcheu-Houei-Tcheng le 12 septembre au soir, mes sens de guerrier Kanda se mirent en alerte. Quelque chose clochait, et avisant du coin de l'œil Mme Xue, je compris qu'elle aussi l'avait remarqué. Sur instruction du sol, le pilote de notre dirigeable s'était posé, non devant l'aérogare de commerce, mais près d'un petit bâtiment à l'écart.
À notre descente, une troupe de soldats en armes nous accueillit. Ils portaient des uniformes entièrement rouges et un curieux casque à cimier, qui leur donnait une stature impressionnante. Leur nervosité était palpable, mais ils n'étaient pas hostiles envers nous. Au contraire, leur déploiement stratégique trahissait une intention claire : nous protéger d'un danger imminent. Quel danger ? Je l'ignorais encore, mais je ressentais une hâte impérieuse de quitter cet espace découvert et de me retrouver en lieu sûr avec le groupe, sous la protection de cette troupe à la discipline parfaite.
Kaylor voulut poser une question, mais un simple regard du Colonel Xue suffit à le faire taire. Elle seule possédait ce pouvoir sur le jeune colosse roux d'Atavisia.
Enfin à l'intérieur, Xue Fang Yüan laissa quelques secondes à l'officier pour s'assurer de la sécurité des lieux avant de lui demander, avec un sourire charmeur masquant la dureté de sa voix :
— « Quel plaisir d'être accueilli par un détachement de gardes rouges. Que nous vaut cet excès d'honneur pour une simple mission scientifique, Shàoxiào (major) ? »
— Shàoxiào Deng Maodong, à vos ordres, mon colonel. Le Jiang (général) Ho m'a chargé de veiller à votre sécurité suite à des événements qui requièrent à présent toute son attention. Il vous présente ses salutations ainsi que ses excuses de ne pouvoir vous recevoir immédiatement. Si vous êtes d'accord, je vais vous escorter jusqu'à votre hôtel. L'honorable Ho vous recevra demain matin à la première heure. Tous vos compagnons savent-ils monter à cheval ? Sinon, nous avons prévu une litière tractée.
Wicasa, Philip, et Fang Yüan partirent à cheval, tandis que Kaylor et moi prîmes place dans un véhicule confortable tiré par quatre chevaux. Le court trajet jusqu'à notre hôtel, à l'écart de la ville, fut accompli en trente minutes. Malgré l'obscurité, je distinguai les silhouettes de centaines de militaires veillant à notre sécurité. L'hôtel, un grand palace caché au milieu de jardins impeccables, était un lieu idéalement fortifié, facile à défendre en cas d'attaque.
À notre arrivée, nous fûmes reçus avec des égards infinis par le personnel. L'entrée, ornée de lanternes en soie rouge, projetait une douce lumière sur des colonnes de bois laqué, richement gravées de motifs traditionnels. Un tapis de velours cramoisi nous conduisit jusqu'à la réception, où une équipe de serviteurs impeccablement vêtus s'inclina en signe de bienvenue. Le salon d'accueil, avec ses paravents en papier de riz finement peints, exhalait un parfum apaisant de cèdre et de jasmin. Ma chambre, un sanctuaire de calme et de confort, était équipée d'un lit large drapé de soie brodée, encadré par des tables de nuit sculptées dans un bois sombre et luisant. Une petite fenêtre s’ouvrait sur un jardin intérieur paisible, où des poissons koi nageaient lentement dans un bassin de pierre.
Le lendemain matin, après une nuit de sommeil sans rêves, je retrouvai les autres dans une salle à manger privée. La pièce, décorée dans un style classique, était éclairée par de grands lustres en cristal. Une longue table en bois de rose poli, dressée pour dix personnes, était garnie de mets raffinés. Le petit déjeuner servi comprenait des fruits frais, des beignets de riz fourrés au sésame, et des bols de congee fumant, accompagnés de thé vert infusé à la perfection. La vaisselle, en porcelaine blanche aux bords dorés, témoignait du souci du détail propre aux lieux de grand luxe.
Alors que nous nous préparions à partir, le major Deng réapparut, l'air gêné, voire inquiet.
— Mon colonel, j'ai hélas une mauvaise nouvelle. L'honorable Ho me demande de vous transmettre ses plus plates excuses et de vous offrir ce présent en gage de son amitié. Il ne pourra vous recevoir aujourd'hui. Il m'a chargé de vous dire que vous pouvez joindre Sir Alex, qu'il a informé de la situation, sur une ligne sécurisée et cryptée que nous venons d'installer dans le petit salon de votre suite.
Fang Yüan le remercia avec un sourire poli, mais glacial, avant de s'éclipser d’un pas décidé. Son attitude, bien que courtoise, exprimait clairement qu’elle entendait traiter cette affaire seule. Tous comprirent, sauf Kaylor, que Philip retint par le bras.
Une fois seuls, Wicasa prit la parole :
— Il se passe ici des choses graves. Nous en saurons plus bientôt, inutile de nous perdre en conjectures. Profitons de ce festin.
Après nous être restaurés, nous décidâmes de rester ensemble et nous réunîmes dans la chambre de Philip pour échanger quelques confidences et partager nos inquiétudes. Deux heures plus tard, Fang Yüan nous rejoignit enfin.
— Mon cousin Sima Xu a été agressé. Il va bien. Nous pourrons le voir demain.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 14 (à Tcheu-Houei-Tcheng le 14/9/1024)
**Extrait du journal de Philip N. Blake**
*14/9/1024 : Sima Xu : Confucius et Suntzu réunis*


Ce n'est que le surlendemain de notre arrivée à Tcheu-Houei-Tcheng que nous pûmes enfin rencontrer le professeur Sima Xu, Doyen de la faculté d'histoire de la ville et cousin de Fang Yüan.
Il portait une longue robe de soie noire, ornée de broderies délicates représentant des motifs de dragons et de nuages, symboles de sagesse et de puissance dans la culture chinoise. Sa coiffe traditionnelle, un chapeau rond et plat en soie également, ajoutait une touche de dignité à son apparence. Cependant, ce qui frappait le plus était la pâleur de son visage et les traces évidentes de son récent combat : un pansement soigneusement appliqué couvrait une coupure sur sa tempe gauche, et sa main droite, enveloppée dans une bande de lin immaculé, révélait une blessure plus grave. Son allure, bien que digne, trahissait une fatigue profonde, comme si l'effort de maintenir les apparences pesait lourdement sur ses épaules.
La pièce où il nous reçut était vaste et bien éclairée, baignée par une lumière douce filtrant à travers des paravents en papier de riz finement décorés. Les murs étaient couverts de bibliothèques en bois sombre, remplies de volumes reliés en cuir, chacun portant le cachet de siècles de savoir. Une grande table en acajou, ornée de quelques objets de porcelaine précieuse et de pinceaux calligraphiques, trônait au centre, tandis que de hauts vases de jade, garnis de branches de prunier en fleur, ajoutaient une note de fraîcheur et de délicatesse à l’ensemble. Une odeur subtile d’encens flottait dans l’air, mêlée à celle plus terreuse des vieux livres.
La conversation débuta selon les normes protocolaires, comme il était de rigueur entre un cousin respectueux et son aîné vénéré, surtout lorsque cet aîné occupe une position universitaire si éminente. Fang Yüan salua son cousin avec une révérence polie, échangeant avec lui des nouvelles de la famille et des marques de respect traditionnel. Sima Xu, bien que visiblement affaibli, répondit avec une courtoisie impeccable, exprimant son plaisir de revoir sa chère cousine après tant d'années.
Après cet échange courtois, Fang Yüan nous présenta brièvement au professeur Sima Xu, mais elle n'était pas femme à tourner longtemps autour du pot. D'un ton qui ne laissait place à aucune ambiguïté, elle mit rapidement les pieds dans le plat :
« Alors, pourquoi des “gardes bleus” s'en prendraient-ils à un estimé savant comme vous ? »
C'était bien son style. Elle ne nous avait rien dit à ce sujet, et quant à moi, je venais de découvrir la veille seulement que les « gardes rouges » étaient nos alliés. Mais que pouvaient bien être ces mystérieux « gardes bleus » ?
Le professeur Sima Xu poussa un léger soupir avant de répondre, son regard se posant un instant sur Fang Yüan avec une sorte de tendresse mêlée de reproche, puis il expliqua d’une voix mesurée :
« Ton mari... » commença-t-il, avant de se reprendre en voyant l’expression de sa cousine.
« - Ex ! » corrigea-t-elle, avec une froideur tranchante.
« Pardon, chère *meimei* (jeune sœur en chinois), ton "ex-mari" a dû te parler de la situation. Les gardes rouges tiennent pour une ligne que j'oserais appeler “national-confiante”. Ils se fichent totalement de ce que tu vas trouver. Pour eux, la nation trysommienne est un fait acquis, et quand bien même elle aurait des origines extra-Allyanséennes, qu'importe ? Elle existe et ils sont là pour la défendre. »
Il marqua une pause, sa main bandée tremblant légèrement alors qu'il la portait à ses lèvres dans un geste pensif.
« Chez certains hauts gradés des gardes bleus, c'est moins certain. Ils craignent le retour de l'hégémonie du parti fédéral dans les affaires internes des États, et même du nôtre. Note bien qu'ils ne sont pas venus en uniformes ni avec leurs drapeaux. C'est un de mes assistants qui a reconnu un ancien condisciple à lui parmi mes agresseurs, et il sait qu'il est désormais sous-officier des gardes bleus. Déguisés en étudiants, ils sont venus sous le prétexte que mes derniers cours étaient hostiles à la ligne du parti et "pour me donner une correction". Heureusement, parmi mes vrais étudiants se trouvaient l'équipe de Kung Fu de l'université, et ce fut un combat digne des films du Kun-Zhou... »
À ce moment, il éclata d’un rire triste, un hoquet douloureux qui sembla réveiller ses blessures, et il s’interrompit, grimaçant légèrement.
« Mais ne perdons plus de temps, » continua-t-il après un instant. « J'ai fait quelques recherches pendant que vous voliez à ma rencontre. Tout est là ! »
Il tendit alors à Fang Yüan un petit paquet soigneusement enveloppé dans un linge de soie.
« Tu trouveras là-dedans toutes mes notes relatives aux origines de Phenixia. Toutes mes objections au mythe du “débarquement”, mais aussi les preuves que ce “Débarquement” a bien eu lieu, bien que pas de la manière dont l'enseigne l'histoire officielle de Phenixia. Des preuves que certaines populations sont antérieures ; des preuves que des individus, parfois des groupes entiers, ont continué... »
Il tourna alors son regard vers moi, un sourire énigmatique aux lèvres, comme s'il y voyait une confirmation de ses théories, « et continuent à “débarquer”... Enfin, je ne suis qu'un historien. Je t'ai aussi fait une liste de confrères médecins, physiciens, astronomes que tu pourras consulter dans ta recherche. Car ta question va plus loin que ce à quoi la science historique peut répondre. »
Sur la fin, sa voix commença à perdre de sa clarté, révélant l'effort que lui coûtait cette longue tirade.
S'inclinant légèrement vers lui, Fang Yüan reprit la parole avec douceur, mais une fermeté sous-jacente : « Xu-ge, nous n'allons pas vous imposer notre présence plus longtemps, vous avez besoin de vous reposer. Pouvons-nous reprendre cette conversation plus tard ? »
Sima Xu tenta de protester, exprimant poliment que notre présence ne le dérangeait en rien et qu'il se sentait encore capable de poursuivre, mais la fatigue visible dans ses yeux contredisait ses paroles. Finalement, il céda, reconnaissant, avec une inclination de tête, que le repos lui serait en effet bienvenu.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 15 (temple de la Longévité)
**Extrait de "L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux"
par Lian Hawkeye, Presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)**
*Chapitre XXII : Guet Apens au Cimetière du Temple de la Longévité*

Le lendemain, le 15 septembre 1024, les enquêteurs tentèrent de revoir Sima Xu, mais sa garde malade refusa toute visite, invoquant le besoin impératif de repos du professeur. Ayant mal dormi la nuit précédente, il venait enfin de trouver le sommeil. Xue Fang Yüan prit alors la décision de se rendre au Temple de la Longévité, pour visiter la tombe de leur grand-père commun, espérant y trouver quelque sérénité ou éclaircissement pour la suite de leur quête.
Arrivés au cimetière du temple, l'atmosphère était chargée d'une étrange tension. Tandis qu'ils se recueillaient devant la tombe, dix hommes surgirent soudainement des ombres, tous vêtus de cagoules et de tenues noires, armés de longs bâtons. Le guet-apens était clair.
La bataille éclata avec une violence fulgurante. Philip N. Blake, avec la fougue d'un Anglais habitué aux pugilats des docks, tenta de boxer ses adversaires, mais ses coups furent maladroits face à des ennemis rompus aux arts martiaux. D’un mouvement précis, l'un des assaillants balaya ses jambes d’un coup de bâton, le jetant à terre.
Shaka M'Baku, avec l'agilité et la rapidité d’un félin, sortit un couteau dissimulé dans sa botte. Ses mouvements étaient aussi fluides que redoutables, témoignant de sa formation au combat rapproché. Il fendait l'air avec des attaques précises, utilisant des techniques acrobatiques pour déstabiliser ses adversaires. Un assaillant tenta de le surprendre par-derrière, mais Shaka, dans un saut habile, pivota sur lui-même, assénant un coup de couteau à l'épaule de l'attaquant, le forçant à reculer.
Kaylor, le jeune colosse à la force phénoménale, se déchaîna comme un torrent en furie. Ne possédant pas d'arme, il se baissa pour ramasser une lourde pierre qu’il lança avec une puissance impressionnante, brisant le nez d’un de leurs assaillants. Lorsqu’un autre homme se précipita sur lui, Kaylor l’attrapa par la taille et le projeta au sol avec une telle force que l'impact résonna comme un coup de tonnerre. Il utilisa sa masse et sa force pour semer la panique parmi les assaillants, qui n’avaient manifestement jamais affronté une force brute de cette ampleur.
Li Weishan, fidèle à sa réputation de "Chasseur Silencieux", se montra méthodique et précis. Il arracha un tuteur de bambou qui soutenait un jeune arbre à proximité. Ce simple bâton se transforma en une arme redoutable entre ses mains. Ses mouvements étaient calculés, presque chorégraphiés, chaque coup porté avec une exactitude mortelle. Il parvint à désarmer deux assaillants en quelques gestes habiles, déjouant leurs attaques et les neutralisant avec une facilité déconcertante. Son expertise au combat rapproché se révélait dans chaque mouvement, ses actions guidées par une maîtrise totale de son corps et de son esprit.
Xue Fang Yüan, quant à elle, se montra à la hauteur de la réputation des siens. Elle s'empara du bâton d’un assaillant que Kaylor avait mis à terre. Bien qu’elle manquât de la force brute de ses compagnons, sa maîtrise des arts martiaux compensait largement ce manque. Ses mouvements étaient rapides et précis, utilisant la technique plutôt que la force brute pour subjuguer ses adversaires. Son bâton virevoltait avec une grâce féline, contournant les attaques pour frapper les points vitaux, et semer la confusion parmi les assaillants.
Le combat était intense, mais l’avantage passa bientôt du côté des enquêteurs, surtout lorsque quatre moines du temple intervinrent. Habillés de robes simples, ils démontrèrent une maîtrise impressionnante des arts martiaux. Leurs mouvements étaient empreints d’une sagesse ancienne, chaque coup porté avec une puissance tranquille et assurée. Ensemble, les moines et les enquêteurs mirent rapidement les assaillants en déroute.
Lorsque les derniers agresseurs prirent la fuite, Xue Fang Yüan ordonna d’en capturer un, mais leurs efforts furent vains, les assaillants se dispersant trop rapidement.
Une fois la menace écartée, le groupe fut reçu par le Fangzhàng, l’abbé du temple. Malgré la tension qui régnait encore, l’accueil fut empreint de la plus grande courtoisie. Ils furent conduits dans une grande salle ornée de bois finement travaillé et d'objets de prière anciens. On leur servit du thé pour apaiser leurs esprits et vérifier leur état de santé après le combat. L'abbé, un homme d'âge mûr au visage bienveillant, les interrogea poliment sur les raisons de leur présence.
Xue Fang Yüan lui expliqua qu’ils étaient venus se recueillir sur la tombe de son grand-père qui était également celui de Sima Xu, un homme vénéré dans leur famille. L’abbé la regarda avec une certaine gravité et lui dit qu'elle parlait d’un de ses prédécesseurs au temple. Xue acquiesça, précisant qu’elle était venue prier son esprit pour qu’il les éclaire dans leur quête qu'elle résuma sans détails.
L’abbé hocha la tête avec compréhension. Il leur révéla alors que la question qui les préoccupait n’était pas nouvelle pour son ordre. Il leur confia que son grand-père avait étudié longuement le phénomène, concluant que les souvenirs de terres différentes pouvaient être attribués à des vies antérieures, vécues sous d'autres cieux, autour de soleils différents. Pour lui, la réponse résidait dans le cycle des réincarnations bouddhistes.
Finalement, l’abbé leur remit un manuscrit contenant les travaux de l'aïeul de Xue, précisant qu'il pourrait les éclairer davantage dans leur quête.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 16 (à Tcheu-Houei-Tcheng le 16 septembre 1024)
### Extrait des Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia.
(Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)

La journée du 16 septembre 1024 fut déterminante pour ma vie future. Il ne s'y est pourtant rien passé de bien palpitant.
Ce matin-là, nous rendîmes visite à Sima Xu. À peine éveillé et visiblement épuisé, il nous accueillit avec une pâleur qui trahissait l’épuisement de son corps. Il s'excusa immédiatement pour l'attitude de sa gouvernante la veille, expliquant qu'il lui avait ordonné de nous laisser entrer, malgré son état de faiblesse. Le colonel Xue, fidèle à son sens de l'honneur, le rassura en soulignant l’importance de la loyauté et du dévouement de cette femme. Ses paroles résonnèrent en moi, et je ne pus m'empêcher de réfléchir à la valeur de ceux qui, dans l’ombre, se sacrifient pour le bien des autres. Elle avait pris le risque de se faire réprimander pour protéger Xu.
Sima Xu, bien que fatigué, nous proposa d'examiner ensemble les documents qu'il avait rassemblés pour nous. Cependant, sa condition physique ne lui permit pas de rester longtemps. Avec des excuses, il nous laissa seuls, nous invitant à poursuivre nos travaux dans son bureau. C’est à ce moment-là que l'importance de notre quête commença à peser sur mes épaules, mais avec ce poids naquit une curiosité insatiable, un désir brûlant de comprendre.
Xue et Philip prirent les devants, mais mon esprit, lui, s’égarait déjà dans les implications des mystères que nous étions sur le point de déterrer. Xue nous présenta une machine à traduire automatique, une merveille de technologie, capable de rendre dans toutes les langues de Phenixia les écrits les plus anciens. En voyant cette machine, quelque chose se déclencha en moi, une prise de conscience de la puissance de la science et de la technologie. J’étais un guerrier, habitué à la force brute, mais devant cet appareil, je compris que la connaissance pouvait être une arme encore plus puissante.Ni Philip, ni Li Weishan n'avait jamais rien vu de tel sur leur Terre.
Philip choisit de traduire les textes en Westlandais, une langue proche de son anglais natal, tandis que Li Weishan, avec une patience admirable, s’efforça de déchiffrer le Trysommien, avec une aisance croissante. Je les observais, et un frisson d'excitation parcourut mon échine. Cette quête n'était pas seulement une mission pour nous, mais une exploration des limites de notre compréhension du monde, une immersion dans les mystères qui défiaient nos sens.
Plus nous avancions, plus je sentais que nos recherches touchaient à des domaines qui transcendaient la simple érudition. L'astronomie, la psychologie, la physique des matériaux, l’histoire de la technologie... Toutes ces disciplines s'entrecroisaient, formant une toile complexe qui nous menait inexorablement vers quelque chose de bien plus vaste. Et cette vaste étendue de savoir, ce réseau de connexions qui allait au-delà de l'entendement humain, éveillait en moi une passion nouvelle, un appétit de connaissances qui ne demandait qu’à être assouvi.
L’idée d’impliquer des experts en divers domaines me parut non seulement nécessaire mais inévitable. Curieusement, c'est Shaka, qui jusque là semblait s'ennuyer qui formalisa ce qui devint notre décision commune.
- "Le voyage ne fait que commencer, personne ne peut être expert de tous ces domaines. Il faut rencontrer des savant de chacune de ces sciences, non?"
Il avait raison et tous en convinrent. Nous faisions le tour de ces disciplines lorsqu’en discutant de l’histoire des religions, en évoquant la théorie de la réincarnation quand Li Weishan, partagea son malaise. Il avait reçu une cicatrice sur Terre, mais à son réveil sur Allyanse, elle avait disparu. Ce constat simple, mais troublant, ébranla mes certitudes. Philip, plus sceptique, décida de vérifier par lui-même, arguant qu’un tatouage militaire sur son dos prouverait la continuité de son existence, à lui au moins.
Lorsqu'il ôta sa chemise, son épaule ne portait aucun tatouage.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 17
**Journal intime de Xue Fang Yüan**
*17 septembre 1024*

La disparition des tatouages et cicatrices de nos deux Terriens éclairait d'un jour nouveau le sens de notre quête. Je passai le reste de la journée du 16 avec Philip et Kaylor, triant les informations que nous avions déjà : celles fournies par Sima Xu, ainsi que les carnets de mon grand-père. C'est alors qu'une chose me frappa. Kaylor était capable de restituer mot pour mot toutes les conversations que nous avions eues avec l'abbé du Temple de la Longévité et celles avec mon cousin, mieux que moi-même. Sa mémoire est aussi prodigieuse que sa musculature, surtout pour un garçon si jeune. Je devais mettre à profit cette faculté extraordinaire.
Le matin du 17, nous nous sommes réunis dans le petit salon de notre hôtel pour ce que j'ai appelé un "conseil de guerre." Je ne pouvais plus ignorer la gravité de la situation, ni le danger croissant qui planait sur nous. J'ai commencé par résumer ce que nous savions (c'est-à-dire fort peu) et ce qu'il nous restait à apprendre pour tenter de bâtir une théorie expliquant les étranges souvenirs de Li Weishan et de Philip N. Blake. Je leur ai ensuite expliqué, sans entrer dans les détails, qu'une faction au sein du mouvement Doublixe cherchait à s'opposer à nos recherches.
— By Jove, ils ont eu une manière assez directe de nous le dire ! interrompit Philip en massant les ecchymoses sur ses jambes.
— Il va pourtant falloir continuer, commençai-je.
— Il est hors de question d'abandonner ! intervint Li Weishan. Je suis ici depuis 20 ans, et jamais je n'ai eu le moindre doute sur le fait que je ne suis pas né sur cet Anneau. J'en ai assez de survivre sans réfléchir. Maintenant que je sais ne pas être un cas unique, je dois comprendre.
Tous acquiescèrent.
Shaka, le jeune guerrier à la peau d'ébène, fit alors preuve d'un pragmatisme qui m'a toujours impressionnée.
— Ils ont eu jusqu'ici un coup d'avance sur nous. Les nouvelles voyagent plus vite que le dirigeable. Nous devons désormais être imprévisibles. Surgir là où ils ne nous attendent pas, récupérer nos informations, puis partir dans une nouvelle direction à chaque fois. Pour cela, nous devons en décider au dernier moment afin que, même involontairement, nous ne trahissions pas notre destination.
Je lus dans les yeux de Li Weishan un regard d'admiration dont il est avare. Je n'en étais pas moins impressionnée. Je décidai de confier au jeune Kanda le soin de décider de nos mouvements.
Philip et Kaylor, quant à eux, représentent pour moi les piliers de notre démarche scientifique. Philip, avec sa rigueur académique et son esprit analytique, est parfaitement capable de compiler et d'organiser les informations complexes que nous allons recueillir. Kaylor, avec sa mémoire prodigieuse, est un atout inestimable. Il se souvient de tout, dans les moindres détails, ce qui le rend particulièrement précieux pour la compilation de données et la vérification des faits. Il m'a fallu peu de temps pour leur assigner ces rôles : Philip sera en charge de la compilation scientifique, assisté par Kaylor, qui veillera à ce que rien ne soit oublié ou négligé.
Li Weishan, avec sa sagesse et son expérience, s'occupera de la sécurité. Il est le seul d'entre nous à pouvoir anticiper les dangers avec une telle précision. Son expertise en matière de défense est cruciale, surtout face aux menaces imprévues que nous pourrions rencontrer. Il a aussi proposé d'assumer la responsabilité de l'éclairage, une tâche souvent négligée mais essentielle dans nos déplacements nocturnes ou dans les lieux mal sécurisés. De toute manière, il nous est aussi indispensable que Philip en tant que Terrien, porteur des connaissances de son monde.
Une fois les rôles définis, j'ai avalisé le plan de Shaka. Nous ne pouvons pas permettre à nos adversaires de deviner nos mouvements. J'ai ajouté que nous devions éviter les instituts affiliés au Doublixe, car ils sont potentiellement infiltrés ou surveillés. Nous devrons donc privilégier les scientifiques des pays fédéralistes ou confédéralistes. J'ai insisté sur l'importance de privilégier le contact direct avec les scientifiques. Le choix de se déplacer en personne, plutôt que de traiter par correspondance, nous permettra de recueillir des informations sans filtrage ni manipulation.
Li Weishan a proposé que nous disposions de notre propre dirigeable, avec un personnel de confiance pour limiter encore plus les fuites d'information. J'ai appelé Alex pour lui faire part de notre décision.
- « Je m'occupe du dirigeable, tu l'auras demain après-midi » fut sa réponse.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 18 (à Tcheu-Houei-Tcheng, 18/9/1024)
**Extrait de "Mes Combats - Autobiographie de Shaka M'Baku"**
(éditions du Balbuzard Yasebukhosini en 1056)
**Chapitre XXII: Le Robuste**

La veille, le colonel Xue m'avait confié la mission de déjouer les manœuvres de nos mystérieux adversaires. Tout ce que j'avais compris, c'est qu'ils étaient particulièrement bien renseignés, et cela ne pouvait venir que de l'intérieur de la structure doublixe. J'avais proposé une technique apprise à la chasse avec mon oncle Zuri, le protecteur de mon village. Laisser le hasard décider de notre trajet empêchait le plus rusé de nos adversaires de l'anticiper. Pour cela, j'avais besoin de dresser une liste de trois ou quatre experts pour chaque question qui nous préoccupait. Ainsi, en décidant au dernier moment, après même le décollage, lequel nous allions voir, personne ne pourrait nous prendre au dépourvu. Li Weishan était resté silencieux un moment, pensif, avant de hocher la tête en signe d'approbation. Ce n'est qu'après un long silence qu'il avait prononcé ces mots : "Cette approche, mêlant prudence et efficacité, me semble la seule viable. Nous devons être aussi imprévisibles que le vent qui change de direction."

Utilisant les renseignements de son cousin et de l'abbé du Temple, Fang Yüan m'avait fourni une longue liste de savants, regroupés par discipline.
Le matin, j'étais allé en ville avec Kaylor pour faire quelques achats, notamment de petits coquillages qui me serviraient à choisir nos destinations. J'aime bien Kaylor. Nous sommes les deux plus jeunes du groupe, et il apporte la légèreté qui fait souvent défaut à nos graves compagnons. Nous avons pu nous acheter des petits gâteaux tout chauds, une sorte de brioche vapeur fourrée à la pâte de haricots rouges sucrée, vendue par un marchand ambulant. Puis nous avons fait halte dans un parc pour les déguster en regardant les enfants faire voler des cerfs-volants de soie aux couleurs éclatantes.
Après un déjeuner simple mais délicieux, nous sommes sortis dans la cour de l'hôtel. Notre dirigeable était là, son équipage aligné comme pour une parade portait un uniforme bleu vif avec trois silhouettes de mouettes blanches comme insigne. Sur les flancs de l’aéronef, on voyait une cocarde du même bleu portant les mêmes silhouettes de mouettes. Vers le nez, un dessin humoristique représentait un marin musclé, aux bras tatoués et portant une pipe entre les dents, le tout surmonté de la légende calligraphiée en francien : « Le Robuste ».

Il y avait là trois femmes et un homme. La capitaine, une femme aux cheveux courts coupés au carré et aux yeux perçants, s'avança et se présenta :
- « Je suis le capitaine Nathalie Arnaud, je suis originaire des Hautes-Terres du Val-Saint-André. J’ai servi pendant dix ans dans l’Armée de l’Air de mon pays avant de me spécialiser dans la navigation aérienne civile dans la société Sky Express. » Elle était le parfait exemple d’une femme de tête, capable de commander avec fermeté tout en inspirant le respect.
Elle nous présenta ensuite son équipage :
- « Voici Liên Ngô, notre pilote, » dit-elle en désignant une femme élancée aux cheveux noirs tirés en arrière, portant des lunettes de pilote. « Liên est originaire de la FPE, plus précisément de l'État Viet, elle a passé son enfance près des rizières et a commencé à piloter dès qu’elle a pu. C’est une experte des manœuvres en haute altitude. »
- « Ensuite, nous avons Femi Adeyemi, notre copilote et opératrice radio. » Femi, une femme au teint ébène, courte de taille mais à la présence imposante, fit un signe de tête en souriant. « Femi vient de Lagosia, au Marley, une ville portuaire où elle a appris à naviguer sur l’eau avant de prendre les airs. Elle s’occupe des communications et assiste Liên en vol. »
- « Enfin, voici Andriy Volkov, notre mécanicien en chef. » Un homme robuste, aux cheveux blonds courts et au visage sévère, s'inclina légèrement. « Andriy vient des steppes de Byelamir, où il a grandi en réparant tout ce qui pouvait voler ou rouler. Rien n’échappe à son œil d’aigle. »

Pendant les présentations, mon instinct de guerrier perçut un échange de signes très discrets entre le capitaine Arnaud et le colonel Xue. Ce fut rapide, presque imperceptible, mais je l'avais remarqué. Un simple geste de la main, un clin d'œil à peine esquissé. Quelque chose dans leur relation me paraissait plus profond qu'une simple association professionnelle.
Les présentations faites, nous sommes allés chercher nos bagages. Une fois à bord, la capitaine a demandé à Mme Xue la direction. Celle-ci m'a regardé ; j'ai souri et sorti mes coquillages.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 19
**Extrait du journal de Philip N. Blake**
*18/9/1024 : *

Je profite de cette journée de vol pour reprendre mon journal. Aujourd'hui, nous avons pris possession de notre nouveau dirigeable. L'équipage est composé de trois femmes et d'un homme, le mécanicien. Cette planète est décidément bien étrange ; une femme médecin colonel ? Depuis Florence Nightingale, je savais cela possible, mais pilote d’aéronef ? Et trois d’un coup, qui plus est !
À peine avions-nous décollé que Shaka nous demanda à chacun de tirer un petit coquillage nacré d’une bourse en cuir qu’il avait apportée. Chacun d'entre nous souffla sur son coquillage avant de le lui rendre. Shaka demanda ensuite, très protocolairement, à Fang Yüan de formuler sa question en la murmurant devant son poing fermé qui contenait les quatre coquillages. Elle sourit et se prêta au jeu de bonne grâce.
« Alors, où allons-nous, messieurs les coquillages ? » demanda-t-elle.
Gravement, avec un sérieux inattendu mais finalement assez conforme à sa personnalité complexe, Shaka répondit : « Ce ne sont pas les coquillages qui le savent, ce sont les *amadlozi* — les ancêtres. Je vais lâcher les coquillages sur la table, et selon la manière dont les ancêtres les disposeront en tombant, ils m’enverront le message. »
« Où as-tu appris à faire cela ? » demanda Kaylor.
« Auprès de ma tante Nouri, la sœur de ma mère. Pendant que ma mère étudiait la médecine moderne, sa sœur a passé l’initiation d’*isangoma*. Elle soigne aussi bien par les plantes qu’en parlant aux esprits. À présent, laissez-moi me concentrer, s’il vous plaît. »
Il resta silencieux pendant une dizaine de secondes, puis murmura quelques paroles rapides en Kanda. Je ne compris rien, évidemment, excepté à la fin, où il prononça distinctement trois fois : « *Kuphi, kuphi ? KUPHI ?* » Et il lâcha sa main.
Les quatre coquillages tombèrent. Trois d’un côté, un de l’autre. Shaka observa la table quelques secondes, puis sortit une petite liste manuscrite de sa poche et la compara à la figure formée par les petites boules de nacre.
« Nous allons au Koule, rencontrer le professeur Raoul Ditider. » Puis il s’assit, l’air épuisé, comme si cette cérémonie, loin d’être un simple jeu de hasard, l’avait réellement mis en contact avec les esprits et que ceux-ci l’avaient vidé d’une partie de son énergie.

Je regardai Fang Yüan, l'air interrogatif. D’un air très sérieux, elle compléta : « Nous allons donc au pays de Koule. Le professeur Ditider est épidémiologiste, spécialiste des maladies infectieuses. Il a découvert un traitement préventif contre le Mal de Mangiagobie en travaillant au Niokolo Koba. Il a remarqué qu’une des plantes entrant dans la composition de la liqueur Kifhérir semblait protéger contre la maladie. Personne, pas même lui, ne comprend comment cela fonctionne, mais il a constaté que les consommateurs de cette liqueur traditionnelle attrapaient moins souvent la maladie et ne développaient jamais la forme grave qui efface les souvenirs. Il a offert sa découverte à l'Académie de Médecine de Phenixia et a refusé tout paiement. Il est aujourd'hui à la tête de l’Institut Pontifical de Recherche Médicale, à Koule. »
« Pontifical ? » demandai-je.
« Oui, le Pape des Catholiques phénixiens réside dans ce pays, qui a toujours été neutre dans les conflits de la Confédération. »
« Des papistes sur Allyanse ! Il ne me manquait plus que cela ! »
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 20 (Institut Pontifical de Recherche Médicale 20/9/1024)
**Extrait de "L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux"
par Lian Hawkeye, Presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)**
*Chapitre XXV : Un savant plutôt original*

Après quarante-huit heures de vol, le dirigeable *Le Robuste* déposa les enquêteurs à l'aérodrome de Capitole, la capitale de l'État de Koule. La Cité Papale, une enclave autonome, se trouvait à quelques kilomètres de là, de l'autre côté de l'aérodrome, vers tribord-avant.
Ils passèrent par un portique d'entrée, gardé par des soldats vêtus d'un uniforme rayé bleu et jaune, leur tête surmontée de casques ornés de plumes. Cet accoutrement, qui leur sembla extravagant, rappelait les gardes historiques d'un temps révolu, dont la mission était de protéger des lieux sacrés.
Le paysage qui s'offrait à eux était splendide et apaisant : des cyprès élancés et des pins parasols dominaient les alentours. Les bâtiments, peu élevés, blanchis à la chaux, étaient parsemés de dômes vitrés qui laissaient entrer la lumière naturelle, offrant un cadre paisible et propice à la réflexion.

Le professeur Raoul Ditider, un homme de 68 ans, les accueillit. Il portait des cheveux longs et une barbe négligée, et ses vêtements informes trahissaient une indifférence pour les conventions. Ses lunettes métalliques, posées de travers sur son nez, ne dissimulaient pas l'étincelle d'intelligence malicieuse qui illuminait son regard. Il s'exprimait en francien avec un fort accent du Koule, rendant ses propos difficiles à comprendre, même pour Li Weishan et Blake, qui avaient pourtant des notions de cette langue. Quant à Shaka et Kaylor, encore novices en francien, ils furent complètement déconcertés, ce qui poussa la conversation à se dérouler finalement en phénixien standard.

Blake, fidèle à sa rigueur, aborda la théorie d'Ivanov :
— Alexei Ivanov ? Psychiatre, lui ? Couillon, couillon ! Grand couillon ! Ce n'est pas plus un psychiatre que je ne suis un entomologiste ! C'est un gratte-papier, un comptable, un "statisticien" ! (Ditider cracha le mot comme une insulte.) Ce type a vu moins de malades dans sa vie que je n'ai vu le cul du Pape !
Kaylor, avec une candeur déconcertante, demanda :
— Il n'est donc pas compétent ?
— Compétent pour faire des tableaux à double entrée, peut-être. Mais pour soigner des malades ? Peuchère, il confond corrélation et causalité, ce qui est, pour tout vrai médecin, l'abomination de la désolation. C'est aussi le plus grand chercheur quand il s'agit de chercher... les subventions ! Avec ses tableaux simplificateurs, té, il arrive à convaincre les bureaucrates, alors que nous, avec notre souci de la vérité, du détail, notre volonté de comprendre les causes et les effets complexes, nous ne savons pas toujours bien faire.

Li Weishan intervint alors, posant la question qui le taraudait depuis longtemps :
— Et vous, avez-vous rencontré des personnes ayant des souvenirs d'une terre sphérique, ou d'un soleil qui bouge dans le ciel ?
— Oui, répondit Ditider, mais il est important de préciser que ces symptômes sont très différents de ceux du Mal de Mangiagobie. Ces personnes n'ont pas de troubles de la mémoire ; au contraire, elles ont une mémoire entièrement différente de celle des habitants d'Allyanse. Ce n'est pas une pathologie, et donc, ce n'est pas mon domaine. Il serait outrecuidant de ma part d'échafauder des hypothèses hors de mon champ de compétences. Je ne m'appelle pas Ivanov, moi.

Xue intervint avec calme et assurance :
— Vous voulez dire que vous les croyez ?
— Je crois qu'ils sont sincères, en tout cas. Ce ne sont ni des malades, ni des menteurs. Je n'ai aucune explication sur la raison pour laquelle des humains comme vous et moi croient avoir ces souvenirs. Mais cela n'a rien à voir avec une maladie mentale. Par contre, leur physiologie est identique à la nôtre. J'ai effectué toutes les analyses : jusqu'à la dernière cellule de leur corps, ils sont aussi humains que l'on peut l'être.

Blake et Li Weishan poussèrent un soupir de soulagement que le professeur ne manqua pas de remarquer.
— Vous en êtes, n'est-ce pas ?
Ils acquiescèrent en silence.
— Vous permettez que je vous examine ?
Ils échangèrent un regard avec Xue, qui hocha la tête en signe d'approbation et répondit :
— Bien sûr, nous sommes ici pour obtenir des réponses. Nous coopérerons volontiers.
Les deux Terriens, visiblement soulagés, approuvèrent avec chaleur. Ils passèrent alors toute la journée à subir des examens médicaux et à répondre à divers questionnaires, cherchant dans ce savant excentrique un début d'explication à leur situation singulière.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 21 (à Koule le 21 septembre 1024)
### Extrait des Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia.
(Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)

Les examens du Professeur Ditider n’avaient rien révélé de nouveau, sinon que Wicasa et Philip étaient sains d’esprit. Je n’en avais jamais douté, tout aussi peu que je doutais de la santé mentale de toutes les autres "têtes rondes" que j’avais rencontrées à cette époque. Avec le recul, je réalise combien cette certitude pouvait paraître naïve, mais elle était sincère, ancrée dans la confiance que je plaçais en mes compagnons.
Le lendemain, Wicasa, Philip et Mme Xue insistèrent pour se rendre à la faculté des sciences de Capitole. Ils prétendaient vouloir "brouiller les pistes", rencontrant des savants sans rapport avec notre quête et posant des questions diverses pour égarer d’éventuels poursuivants. Une stratégie qui, à l’époque, me semblait rusée, bien que je ne comprisse pas totalement son utilité.

Pendant ce temps, Shaka et moi-même, accompagnés de Femi Adeyemi, la copilote et radio du *Robuste*, partîmes faire quelques emplettes pour diversifier l’ordinaire du bord. C’était un prétexte, bien sûr, destiné autant à nous divertir qu’à occuper notre caractère agité, qui peinait à se satisfaire d’une simple attente.
Capitole était une ville qui m’émerveillait à chaque coin de rue. Je me souviens des avenues bordées d’arbres majestueux, des façades de briques rouges qui captaient la lumière du matin, et des quais qui longeaient la rivière Granayguo, sinueuse et imposante.
Au marché en plein air, nous découvrîmes un monde de couleurs et de senteurs qui m’étaient presque étrangers. Moi, enfant d’Atavisia, venu de terres plus froides, je m’émerveillais de la diversité des fruits et des légumes exposés. Les étals débordaient de figues juteuses, de raisins sucrés, et de citrons d’un jaune éclatant. Les marchands proposaient aussi des conserves artisanales, des pâtés et des confitures, que je n’aurais jamais imaginé trouver en de telles quantités.

C’est alors que je la vis. Une « tête plate ». Depuis que j’avais quitté Atavisia, c’était la première que je rencontrais. Elle semblait avoir une trentaine d’années et, comme nous, elle faisait ses emplettes. Oubliant toute politesse, je déposai les sacs près de Shaka et me précipitai vers elle. Elle sentit ma présence, se tourna vers moi avec un regard d’abord étonné, puis ravi, et m’apostropha dans une langue qui m’était inconnue. Je tentai de lui répondre en atavisien, mais elle ne me comprit pas. Nous dûmes finalement converser en phénixien standard, ce que l’on appelle aussi l’Argot, un dérivé du francien, que nous utilisions souvent pour nous faire comprendre.
Rapidement, nous convînmes que nous avions besoin d’un endroit pour parler tranquillement. Nous trouvâmes une terrasse ombragée, équipée de tables et de chaises. Ignorant tout des coutumes locales, je ne réalisai qu’à l’arrivée du serveur que nous nous étions assis dans une auberge servant en plein air, une idée qui me paraissssait étrange à l’époque, mais charmante. Elle commanda un jus de fruit, et je fis de même après avoir proposé à Shaka et Femi de garder nos achats pendant qu’ils poursuivaient notre ravitaillement. Ils ne semblèrent pas gênés de se retrouver à deux pourr continuer leur visite.
Elle m’apprit qu’elle vivait en Phenixia depuis une dizaine d’années. Elle était arrivée avec une mission scientifique skandienne, venue étudier des terres situées loin vers l’arrière Babord, à plusieurs semaines de dirigeable. Ce lieu, qu’elle appelait les Terres de Clio, abritait plusieurs tribus de têtes plates vivant au contact de populations étonnamment semblables aux skandes de Phenixia.
Je compris immédiatement le rapport avec notre quête et lui demandai si elle accepterait de venir à l’aérodrome pour rencontrer le reste de notre équipe et partager son histoire. Elle hésita, mais je sentis que l’idée de revoir des semblables après tant de temps la tentait. Pourtant, elle avait, disait-elle, « des choses à faire avant ». Elle me promit néanmoins de passer à l’aérodrome avant la fin de la matinée du lendemain.
**Journal intime de Xue Fang Yüan**
*22 septembre 1024*

Aujourd’hui fut une journée bien morne, marquée par une frustration qui ne cesse de grandir en moi. Mon rôle à l'Université de Capitole me pèse plus que je ne l'aurais imaginé. Passer des heures à discuter avec des scientifiques, à poser des questions anodines pour brouiller les pistes, voilà une tâche ingrate qui me donne l’impression de perdre un temps précieux. Leurs théories et débats académiques, bien que parfois intrigants, semblent si loin de notre quête. Je ne peux m'empêcher de ressentir une lassitude qui me ronge, un ennui profond qui contraste avec l’excitation des jours précédents.

Cependant, la visite de Tarka, cette « tête plate » comme Kaylor l’appelle, a enfin apporté un souffle d’intérêt à cette journée. Son arrivée a éveillé en moi une curiosité que je n’avais pas ressentie depuis un moment. Tarka est un être fascinant, une survivante des Terres de Clio, cet endroit mystérieux dont je n'avais entendu que des murmures jusqu'à présent. Elle est arrivée en Phenixia en 1010, en compagnie d'une expédition scientifique dirigée par le professeur Ursula Wallander, une figure de proue des recherches abeuriennes.

Tarka a partagé son histoire avec une certaine retenue, mais j’ai perçu dans ses mots une vie riche en expériences. Elle m’a raconté comment elle avait flirté avec Lars Sallenderson, un journaliste scientifique du Nordmark, dès leur rencontre. Lars, à 31 ans, était déjà une légende dans son domaine, un baroudeur infatigable, charmant et raffiné. Il ressemblait beaucoup aux Hendaviks, ce peuple des Terres de Clio, ce qui ne manqua pas de la troubler au début. Mais leur relation n’a pas duré. Une fois en Phenixia, Tarka s’est rapidement sentie étouffée par le rôle attendu d’une femme en couple. Les attentes sociales en Phenixia sont bien différentes de celles de son peuple, les Kwalzagko, où les genres n'ont pas les mêmes attributions rigides. Au bout de deux ans, elle a repris sa liberté, décidée à explorer ce nouveau monde à sa guise.

Depuis douze ans, elle parcourt les États de Phenixia, découvrant un à un leurs secrets et leurs merveilles. Une vie de liberté, qui me semble presque enviable.

La discussion qui suivit fut des plus animées. Kaylor était particulièrement intéressé par la possibilité de rencontrer le professeur Wallander. Il voit dans la ressemblance des Hendaviks avec les Skandes une piste cruciale à suivre. Comment ces deux peuples, séparés par une telle distance, peuvent-ils partager des caractéristiques si semblables? C’est une question qui mérite d’être explorée.

De son côté, Philip exprima le désir de rencontrer Mircea Römero, un historien des religions. J’ai du mal à comprendre les véritables motivations de Philip, et je sens qu’il y a quelque chose qu’il ne me dit pas. Il m’a parlé d’un intérêt pour les racines des religions anciennes et leur influence sur les pratiques contemporaines, mais cela sonnait creux, comme une excuse mal dissimulée. Je ne peux m’empêcher de me demander s’il y a autre chose, quelque chose de plus personnel qui le pousse dans cette direction.

Wicasa, toujours aussi pragmatique, s’inquiète pour notre sécurité. Il pense que nous devrions choisir une destination aléatoire pour échapper à ceux qui pourraient nous suivre. Sa prudence est certes justifiée, mais elle se heurte à la curiosité qui nous anime tous.

Finalement, nous avons décidé de recommencer la cérémonie des coquillages cauris, espérant que les esprits nous guideraient dans notre choix. Shaka, toujours aussi méthodique, a préparé la bourse et chacun de nous a tiré un coquillage, soufflé dessus et l’a remis à Shaka. Mais cette fois, quelque chose d’inattendu s’est produit. Les quatre cauris sont tombés, tous parfaitement parallèles sur la table. Un silence s’est installé, même Shaka semblait surpris par cette configuration inhabituelle.

Les esprits étaient unanimes. Nous irions voir Wallander.
### La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 23 (Voyage vers la Svelnie, 23 septembre 1024)
**Extrait du Journal de Shaka M'Baku**
*23septembre 1024*

Le ciel, large et infini, s’étendait comme une mer bleue au-dessus de *Le Robuste*. Dans ce silence de la haute altitude, le monde en dessous se faisait si lointain, si petit. Chaque souffle du vent contre les voiles du dirigeable ressemblait à un murmure d’anciens récits oubliés, portés à nos oreilles. Une tranquillité rare avait pris racine dans l’équipage, une qui rappelait les matins de mon enfance, quand l’odeur de la terre humide après la pluie me calmait de manière inexplicable.
Les jours, eux, se suivaient, comme les vagues battant inlassablement la côte. Discussions légères, réparations, et rituels communs rythmaient nos heures. Pourtant, au cœur de cette routine, un autre voyage commençait, plus intérieur, plus intense, celui de mes sentiments pour Femi Adeyemi.
Femi, douce et forte, avec son visage serein et ses mains expertes. Il y avait quelque chose en elle qui parlait d’une terre ancestrale, une sagesse tranquille qui n’était pas seulement dans ses mots, mais dans ses gestes, ses silences. Depuis que nous nous sommes rencontrés, un lien, invisible et puissant, a commencé à se tisser entre nous. Mais ce n’est qu'hier, dans le chaos d’une panne technique, que ce lien est devenu aussi tangible que l’air autour de nous.
La panne a frappé sans avertissement, plongeant notre compartiment dans l’obscurité. Les moteurs s’étaient tus, laissant l’air pesant, chargé de tension. Volkov, toujours prompt, s’est précipité vers la salle des moteurs, laissant Femi et moi face à ce silence soudain. Elle, calme, s'est avancée vers le tableau électrique, et sans un mot, s’est mise au travail. Ses doigts dansaient sur les fils, et je me tenais là, ma lanterne à la main, illuminant ses mouvements avec la dévotion d’un prêtre tenant une torche sacrée.
Dans la pénombre, je la voyais pour la première fois, réellement. Pas seulement la technicienne, la copilote. Mais la femme. Chaque geste qu’elle faisait, chaque mot qu’elle murmurait pour elle-même, portait la marque de cette force intérieure qui m’attirait, inexorablement.
Quand nous avons fini, la lumière de la lanterne s’estompa, ne laissant que nos visages, si proches, dans cette lueur intime. Ses yeux trouvèrent les miens. C’était comme si toutes les barrières entre nous s’étaient effondrées, ne laissant que deux âmes, exposées. « Merci, Shaka. Sans toi, ça n’aurait pas été possible, » dit-elle, ses mots glissant comme une brise douce, remplis d’une gratitude inattendue.
Et dans cette brève seconde, quelque chose changea. Le monde s'arrêta. Les battements de mon cœur devinrent lourds, et je sentis cette force, ce tiraillement en moi, me rapprocher d’elle. Avant même que je puisse réfléchir, mes lèvres effleurèrent les siennes, et ce fut comme si tout ce que je n’avais jamais dit, toutes mes émotions, passaient dans ce baiser silencieux.
C’était doux, profond, et pourtant étrangement familier. Comme retrouver une partie perdue de moi-même, là, dans cette étreinte. Quand nous nous séparâmes, le monde reprit lentement son rythme, mais quelque chose avait changé en moi, quelque chose de fondamental.
Un cri de Volkov, brisant l’instant magique : « C’est bon, tout marche maintenant ! Spassiba Bolchoï !» La réalité nous rappela à l’ordre. Nous nous éloignâmes, mais dans nos regards, je savais que ce moment resterait gravé, comme une cicatrice douce sur mon cœur.
Un rire nerveux au bord des lèvres, nous reprimes nos esprits... et je ne pus m'empêcher de répondre à mi voix, pour elle seule :
« ça marche »
**La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 24 (Stjärnvik, 24 septembre 1024)**
**Extrait du Journal de Philip Blake**
*24 septembre 1024*

Aujourd'hui, notre arrivée à Stjärnvik a marqué un tournant décisif dans notre quête. La ville s’étend devant nous, baignée dans une lumière douce qui se reflète sur les façades de pierres blanches et les pavés anciens. Le climat frais et les effluves d’air marin rappellent le charme discret de cette région du monde. Stjärnvik est une ville où la tradition maritime se mêle à une réflexion philosophique profonde, un lieu empreint de sérénité et de mystère.
Notre rencontre avec le professeur Ursula Wallander s’est tenue dans son bureau, un espace qui allie une fonctionnalité rigoureuse à une touche personnelle. Les murs étaient recouverts de bibliothèques chargées de livres anciens, de cartes anciennes et d’artefacts variés, témoignant de son vaste savoir et de ses années de recherche, on y trouve aussi des coupes et des trophées d'athlétisme.
Ursula est entrée avec une présence qui ne laisse pas indifférent. À 56 ans, elle garde une silhouette imposante malgré le passage du temps. Ses cheveux, désormais parsemés de mèches argentées, lui donnent un air de sagesse et de détermination. Ses yeux bleu-gris, perçants et expérimentés, se sont posés sur nous avec une curiosité immédiate.
Dès le début de notre conversation, Ursula a pris l’initiative. Elle s’est tournée vers Kaylor avec une attention particulière, visiblement intriguée par sa physionomie singulière. "Vous venez d’Atavisia, n’est-ce pas?" demanda-t-elle, sa voix teintée d’un accent svénois légèrement chantant.
Kaylor hocha la tête en signe d’affirmation. "Oui, c’est exact. Nous cherchons des réponses à nos questions sur la répartition des peuples et leurs langages."
Ursula sembla réfléchir un moment, puis reprit. "Il y a quelque chose de très particulier dans votre apparence, Kaylor. C’est comme si vous portiez en vous un fragment d’une histoire ancienne, quelque chose que je connais bien."
Je notai la surprise sur le visage de Kaylor. "Et quelle histoire cela pourrait-il être?" demanda-t-il, visiblement intrigué.
"Dans les Terres de Clio," répondit Ursula, son regard se faisant plus intense. "J’ai eu l’occasion de travailler avec Tarka, une ‘tête plate’ comme vous, c'est ainsi qu'elle se désignait, il y a quelques années. Les similitudes entre ses gens et ceux récemment découverts en Atavisia sont frappantes, et votre apparence… elle me rappelle ces similitudes."
Comme ce beau jeune homme, ajouta t elle en regardant Shaka, il est mélanoderme, mais la logique de la répartition des mélanodermes sur Allyanse, nous ne la comprenons toujours pas. Ils forment des groupes relativement homogènes, mais dispersés au sein des populations ayant d'autres apparanes comme la mienne et celle de monsieur (elle me désignait) ou comme la votre, elle engloba d'un geste Fang Yüan, et Weishan.
"Mais qu’est-ce qui vous a poussé à faire le lien entre Tarka et Kaylor?" interrogea Xue, manifestant un intérêt croissant.
Ursula posa un livre sur son bureau, l’ouvrant à une page où étaient représentées des cartes et des diagrammes. "Regardez ces schémas linguistiques et ces cartes. La répartition des langues et des peuples semble suivre un modèle étrange, presque comme si une main invisible avait séparé les groupes humains en petits morceaux à travers l’anneau. Les ressemblances ne sont pas seulement superficielles ; elles vont bien au-delà de ce que l’on pourrait expliquer par des échanges culturels ou des influences mutuelles. Et surtout elles font des bonds de milliers de kilomètres là où on s'attendrait à ce que l'influence soit plus proche chez les voisins que chez des populations éloignées"
Nous observâmes les illustrations avec une attention renouvelée. Les cartes montraient des taches de couleurs identiques ou proches, avec des zones de forte similarité entre des régions éloignées, comme si un motif abstrait avait été démonté en pièces de puzzle et remonté au hasard.Bien que je commence à savoir lire l'écriture phénixienne, je ne compris que les très grades lignes des légendes. Certaines cartes étaient linguistiques d'autres probablement montraient où trouver des noirs ou des jaunes, ce qu'ici on appelle des mélanodermes ou des stenophthalme comme on dit « clariderme » pour désigner ce que moi j' appelais un « blanc » il y a seulement quelques semaines.

"Ces cartes montrent que la répartition des peuples et des langues n’a aucune logique apparente," continua Ursula. "C’est comme si des facteurs inconnus avaient orchestré cette dispersion. Il y a quelque chose de très mystérieux derrière tout cela, quelque chose que nous n’avons pas encore découvert."

Kaylor, visiblement touché par ces révélations, demanda : "Pensez-vous que cela pourrait être lié aux récits de souvenirs de Soleil Mouvant?"

Ursula sourit, un éclat de compréhension dans ses yeux. "C’est possible. En se basant sur une origine extra-Allyanséenne de ces personnes, ou juste de leurs souvenirs et en les généralisant, on pourrait imaginer des scénarios alignés avec ces modèles. Si nous découvrons la raison de cette répartition étrange, nous pourrions trouver des réponses aux questions que vous vous posez sur ces histoires de « Soleil Mouvant » et les mystères anciens que vous cherchez à percer."
**La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 25**
**aérodrome de Stjärnvik 24/9/1024**
**Extrait de "L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux"**
par Lian Hawkeye, Presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)
*Chapitre XXVII : Le Retour des Ombres*


Lorsque le *Robuste* atterrit à Stjärnvik, Li Weishan observa un moment ses compagnons. Le soulagement était palpable. Après des jours de vol, chacun aspirait à la douceur de la lumière qui se reflétait sur les bâtiments en pierre blanche, les pavés usés par le temps, et l'air frais du port. L’ambiance sereine contrastait avec l’angoisse diffuse qui n’avait cessé de le hanter. La mission leur imposait une vigilance constante, et Li Weishan, fidèle à son rôle de stratège et responsable de la sécurité, n’avait laissé aucun détail au hasard.
Les préparatifs minutieux qu’il avait orchestrés avant leur départ semblaient porter leurs fruits. Il avait pris soin de s'entretenir avec la capitaine Nathalie Arnaud, une femme à la poigne de fer, pour déployer des mesures de sécurité renforcées. Sous ses ordres, un détachement de Sky Angels — la troupe capitulaire affiliée à Sky Express — s’était positionné en embuscade autour du dirigeable. Ce filet de protection, bien que discret, allait se révéler crucial.
La conversation avec Wallander avait soulevé des questions profondes sur la répartition apparemment chaotique des populations semblables, parlant des langues proches. Pour Li, il était clair que sa chute près des Tching — une tribu parlant un dialecte apparenté au chinois — n’était pas le fruit du hasard. Mais d’autres hypothèses s’imposaient : aurait-il pu atterrir en Trysomie, en Kun Zhou, ou même en Ilejonc, où d'autres sinophones résidaient ? Pourquoi donc là et pas ailleurs ? Et pourquoi était-il arrivé 20 ans avant Philip, « prélevé » sur Terre 20 ans avant lui ?
Lorsque Li Weishan rejoignit l’aérodrome, l’atmosphère sereine qu’il avait quittée quelques heures plus tôt avait fait place à une scène sombre. Nathalie, visiblement tendue, se tenait aux côtés de Femi, dont la jambe était bandée et qui grimaçait sous l’effet de la douleur. Plus loin, Lien Go, la jeune pilote, paraissait hagarde, les yeux rougis, murmurant à peine, les bras ballants. Autour de l'aéronef, cinq corps étaient étendus, recouverts de draps sombres, alors qu’un sixième était transporté sur une civière par des médecins svéniens affairés.
Sans perdre un instant, Li se dirigea vers Nathalie. Leurs regards se croisèrent et ils échangèrent à l’écart.
« Tu as bien fait de me prévenir », dit-elle d’une voix grave. « Ces salauds nous auraient pris par surprise si tu n'avais pas mis en place les Sky Angels. »
« Il y a eu des pertes ? » demanda-t-il, les mâchoires serrées.
« Trois des nôtres. » Elle soupira, jetant un regard vers les corps recouverts. « Et deux, peut-être trois assaillants. »
Li hocha la tête, jaugeant la gravité de la situation.
« Ils n’étaient pas là pour détruire le dirigeable », ajouta Nathalie. « S’ils l’avaient voulu, ils auraient simplement utilisé des explosifs. Non, leur objectif était clair : nous prendre en otage. Ils avaient prévu de vous faire prisonniers à votre arrivée. »
Le visage de Li resta impassible, mais son esprit analysait déjà les implications. « Des soldats d'élite, manifestement bien préparés. » Il baissa les yeux vers les corps, notant les tatouages doublixes sur leurs poignets et les armes sans numéro de série. « Du matériel du Grossreich, évidemment... »
Le bruit de pas précipités interrompit leur échange. Le médecin en charge de l’examen des cadavres s’approcha, son visage fermé.
« Nous n'avons pu sauver le blessé », dit-il en désignant la civière.
« C'est fâcheux », répondit le colonel Xue derrière lui, « il était notre seule piste vers les commanditaires. »
Wicasa lui désigna les poignets d'un cadavre près de lui. Elle hocha la tête et découvrit son poignet. Un charmant logo doublixe, serti d'opale, l'ornait, retenu par une chaîne.
« Je ne m'attendais pas vraiment à autre chose. Des doublixes, oui, mais lesquels ? »
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 26 (Stjärnvik du 24 au 26/9/1024)
### Extrait des Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia.
(Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)
**

Je me souviens encore de ces trois jours passés dans une famille svénoise traditionnelle. Après l’incident du dirigeable, mes compagnons de voyage avaient été arrêté par la Säpo, la Police secrète, j'étais le seul à être laissé de côté, considéré comme mineur. Ce fut une période d’incertitude, mais aussi de découverte culturelle.
La famille qui m’accueillit était composée de trois membres : Lars, le père, un homme à la stature imposante, à la fois calme et réfléchi, travaillait comme menuisier. Anna, sa femme, en dehors de travaux de secrétariat à distance, menait la maison avec une douce autorité. Leurs gestes étaient empreints de simplicité, et leur quotidien semblait rythmé par des rituels ancrés dans la tradition svénoise. Leur fils, Johan, avait à peu près mon âge et malgré la barrière initiale de la langue, nous avons vite trouvé un terrain d'entente grâce à l'argot de Phénixia, ce mélange unique de langues devenu notre lingua franca.
Leurs habitudes m’ont fasciné. Chaque matin, nous nous retrouvions autour de la table pour un petit-déjeuner simple mais copieux. Du pain de seigle, du beurre et du fromage, accompagnés de café pour les adultes, formaient la base de ce repas. Lars prenait toujours un moment pour s'assurer que j'avais suffisamment mangé, même si la communication était parfois hésitante. Anna, elle, faisait preuve d'une attention particulière. Elle me montrait comment préparer des plats traditionnels, comme les célèbres boulettes de viande ou le poisson mariné, tout en me parlant lentement, espérant que je comprenne. Leur patience m’étonnait.
Les après-midis étaient calmes. Lars m’emmenait souvent dehors, dans leur grand jardin. Il aimait travailler de ses mains, et j'apprenais à ses côtés comment utiliser certains outils, ou simplement à observer la nature avec une sorte de sérénité que je n’avais pas encore trouvée. Il semblait, comme toutes les têtes rondes, impressionné par ma force. Johan et moi, après avoir échangé quelques mots maladroits en argot, finissions par nous comprendre sans trop parler. Nos jeux étaient silencieux mais complices.
Les soirées étaient particulièrement marquantes. Ils avaient cette tradition de "fika", une pause autour de pâtisseries et de café, où l'on prenait le temps de parler ou simplement d'apprécier la compagnie des autres. Même si je ne comprenais pas tout ce qu'ils disaient, je sentais une certaine chaleur familiale dans ces moments.
Pourtant, malgré l'accueil chaleureux de mes hôtes, une inquiétude persistait en moi. Que se passait-il avec mes compagnons ? Xue, Nathalie, Shaka, Femi… où étaient-ils et comment allaient-ils ? Chaque soir, alors que je me glissais dans le lit que Johan avait généreusement cédé, je ne pouvais m’empêcher de penser à eux, à ce qu'ils enduraient peut-être dans les geôles svénoises. Je savais que la situation n’était pas simple et j'espérais que le fait d’être interrogés par la Säpo relevait davantage d’un malentendu que d’un geste de malveillance.
Puis, le troisième jour, alors que je m'étais habitué à leur mode de vie, une calèche de la Säpo s'arrêta devant la maison. Lars me jeta un regard compréhensif tandis que Johan, la mine triste, se contenta de me serrer la main. Anna, quant à elle, me donna un petit paquet, un souvenir svénois, qu’elle m’offrit avec un sourire réconfortant.
Je quittai cette famille avec un pincement au cœur. J'avais goûté à une vie simple et apaisée, un contraste saisissant avec les événements tumultueux que nous traversions. Mais il était temps de retrouver les miens, et de faire face aux prochaines épreuves.Dans le paquet offert par Anna, il y avait un petit "dalecarlien" en bois, un cheval traditionnel suédois peint à la main, symbole de chance et de protection en Svénie. Accompagnant cet objet, elle avait également glissé un petit paquet de "kanelbullar" (brioches à la cannelle), un clin d'œil à leur tradition de "fika", ainsi qu’un morceau de lin tissé à la main, fabriqué par elle-même, un héritage familial. Ces présents symbolisaient la chaleur, la générosité et les racines profondes de la culture svénoise, l'une des cultures du groupe skande de Phenixia..
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 27
Audiodescription de l'entrevue entre Boutros el Khoury, conseiller militaire de Philippe Bondurand, Humble Porte-Parole de la Confédération, et Sir Alexander Wei-Cheng Spencer, commandant en chef du GHQ Sud XX.
*Date : 26/09/1024*
*Durée : 14 min

**Boutros** : (avec son accent caractéristique) « Tfadal habibi, mersi ktir d'être venu. »
**Alex** : (soupir, calme) « Boutros, voyons... je serais venu de toutes manières, tu n'avais pas besoin de m'envoyer ton aide de camp... et son escorte. »
**Boutros** : (plus insistant) « Ah, ya Alex, la confiance n'exclut pas le contrôle, tu te souviens ? Allons, right to the point. Qu'est ce que ton ex-femme magouille en Svénie ? 6 morts à l'aérodrome de Stjärnvik? Je sais que Fang Yüan est mêlée à tout ça, et toi... toi tu sais. Allez, dis-moi la vérité. T'es tranquille comme ça, après ce qui s’est passé à l’aéroport ? Dis-moi franchement, qu’est-ce que tu caches ? »
**Alex** : (restant imperturbable) « Mon cher Boutros, Fang Yüan n’est qu’une pièce parmi tant d’autres. Elle n’agit pas seule, et je ne suis qu’un observateur dans cette affaire, rien de plus. Tu sais bien que mes intérêts sont ailleurs. Je t’assure que tu t’emballes un peu trop. Il n'y a rien d'alarmant. Quelques événements malheureux, je l'admets, mais cela ne nécessite pas que nous exagérions la situation.»
**Boutros** : (soupir, son ton devient plus sérieux) « Eh non, ça marche pas comme ça, Alex. Tu peux parler de tes "intérêts", mais on sait bien tous les deux que ce n’est pas si simple. Tu veux protéger qui, toi ? »
**Alex** : (après une pause, la voix plus froide) « Fang Yüan a ses propres motivations, et il est dans l’intérêt de plusieurs parties qu’elle reste hors de la lumière pour l’instant. Ce que je fais, c’est protéger un équilibre fragile, ni plus, ni moins. »
**Boutros** : (acquiesce, puis sur un ton cynique) « Equilibre, tu dis ? Mais cet "équilibre", il a coûté la vie à six personnes à Stjärnvik. Les gens parlent, et les gens veulent des réponses. Moi aussi, je veux des réponses. Et surtout Philippe veut des réponses avant que la totalité des états skandes ne lui demandent des comptes pour les actions de ta protégée. »
**Alex** : « Fang Yuän n'est en rien responsable. C'est elle qui a été attaquée. »
**Boutros** : (fronçant les sourcils) « Ya Alex, je te connais, tu as toujours eu ce talent pour éviter les questions. Mais pas avec moi. Yahné, là, tu me dis ce que je sais déjà. Ce que je veux que tu me dises c'est ce que j'ignore. Par exemple qui l'a attaquée et pourquoi ? Ces histoires, c’est pas des jeux pour enfants. »
**Alex** : (accablé) « Très bien, je vais te le dire. Mais je t’avertis, Boutros... certaines vérités sont mieux gardées sous clé. Fang Yüan, recherche la vérité sur les origines des humains d'Allyanse. Tu sais comme moi que l'UNS Phénixia, le Débarquement, tous les mythes fondateurs de nos états sont des légendes. Mais tout le monde s'en fichait jusqu'à présent. Mais depuis l'Epidémie de Mangiagobie, le sujet est devenu de plus en plus important. Même si nous avons désormais un médicament, ces questions de mémoire ont refait surface. Au début, on a surtout cherché à comprendre le mal, le soigner, puis reconstruire l'administration, les services. Maintenant, le lien entre l'épidémie et la question des origines devient la question centrale. »
**Boutros** : (sec, mais plus doux à la fin) « Pas de cachotteries, habibi. Je me fiche de ces questions de science spéculative. Dis moi pourquoi des miliciens doublixes soigneusement anonymes et surentrainés ont attaqué en territoire fédéraliste ta soit disant « mission scientifique ». »
**Alex** : (résigné) « Il y a chez « nous » des gens qui donneraient cher pour que cette mission échoue. Je ne sais pas exactement qui. Je mène ma propre enquête. Pour le moment, je ne peux te dire que la cause. Ils craignent que la révélation des origines de l'humanité ne remette en cause la légitimité de leurs positions politiques au sein de notre mouvement. Et les deux élargissements ont remis en cause les équilibres internes du Parti.»
**Boutros** : (soupir) « OK habibi, je m'en contenterai pour cette fois, je vais faire intervenir la diplomatie confédérale pour que les Svénois fichent la paix à Madame et à ses amis. Mais à partir de maintenant, tu me feras un rapport en temps réel de tout ce qu'elle te dit de sa mission ».
**Alex** : (Choqué) « Est ce un ordre Maréchal ?»
**Boutros** : (gaiement) « Jamais de la vie Sir Alex, c'est juste une suggestion amicale entre deux vieux amis qui ont guerroyé ensemble et continuent de se soutenir l'un l'autre pour le bien de la Confédération. Iza baddak que je te couvre, ana, je dois pouvoir anticiper, masbout ? ».
**Alex** : (Résigné) « Masbout ? Oui, c'est vrai. Masbout comme tu dis» (rire joyeux de Boutros, rejoint par celui plus discret d'Alex)

**Fin de la bande**

Lien Go, pilote du Robuste

La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 28

**Journal intime de Xue Fang Yüan**
*28 septembre 1024, en vol*

Le Robuste fend l'air vers la Francie. J'observe mes compagnons, et je fais le point après ces derniers jours éprouvants. Les coquillages de Shaka ont choisi notre prochaine destination, où nous rencontrerons l'astronome Jean-Luc Perrinet. Peut-être trouverons nous auprès de lui des réponses sur la conformation de notre monde si familier, et aussi des étranges « planètes rondes » dont Weishang et Philip jurent de venir.
La garde à vue en Svénie a été pénible. Les policiers, persuadés que je leur cachais quelque chose, n'ont pas cessé de m'interroger. Ils avaient l'air très mécontent que des doublixes « viennent régler leur compte sur leur territoire » selon leur expression. J'ai répondu aux faits, en mentionnant seulement mes recherches sur l'origine des populations et des langues d'Allyanse. Mais j'ai menti sur une chose. J'ai dit que je ne savais rien des raisons de l'attaque des mercenaires doublixes, alors que j'en ai une idée. Une faction doublixe cherche à me faire échouer, mais sans preuve, je n'ai rien à « savoir ». Cette nuance m'a permis de tromper leur détecteur de mensonges.
Je n'aurais pas pu parler de cela sans l'accord d'Alex. Mon ex-mari, mon ancien supérieur, et pourtant... cette loyauté reste. Il a réussi à obtenir ma libération, je ne sais comment, mais l'ordre venait du plus haut sommet de la Confédération. Il a toujours su comment me protéger, même après toutes ces années. Pourquoi ai-je encore accepté cette mission sous ses ordres ? N'étais-je pas censée être en retraite ? Jusqu'à quand serais-je le jouet de ses manipulations ? Ce n'est plus de l'amour, mais c'est quelque chose de tout aussi puissant. Peut-être cette idée de « devoir », qu'il sait si bien enrober de quelques compliments pour me faire fléchir.
Mes compagnons se remettent peu à peu. Shaka est encore frustré de n'avoir pu participer au combat, mais la douceur de sa relation avec Femi apaise son humeur. Ils ne cherchent même plus à cacher leur affection. Weishang, lui, reste concentré sur sa mission. Il s'est plongé dans l'étude de l'alphabet Phénixian et la manière dont certaines langues, qu'il appelle le « chinois », sont transcrites. Il est heureux de découvrir que ses idéogrammes existent ici, utilisés par des lettrés pour des usages pieux. Blake, depuis notre retour, veille sur Lien Go, encore traumatisée par l'attaque. Elle se repose, laissant Nathalie et Femi prendre une partie de ses responsabilités. Quant à Kaylor, il s'est beaucoup inquiété pour nous, mais a retrouvé sa bonne humeur dès le décollage.
Et moi ? Je me demande si je ne prends pas un certain plaisir à tout cela. Même pendant ma détention, je n'ai pu m'empêcher de jouer avec l'humeur des policiers, les provoquant subtilement juste pour tester leur patience. Une part de moi s'amuse follement de cette situation. Suis-je redevenue l'espionne que j'étais autrefois ? Peut-être bien.
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 29
**Extrait du Journal de Philip Blake**
(Berthelaye, 29 septembre 1024)**


Nous avons atteint Berthelaye aujourd'hui, cette petite ville universitaire baignée d’une sérénité pittoresque, après avoir quitté la maudite cité de Stjärnvik. Alors que nous allions débarquer, Lien Go se décomposa visiblement.
« Qu’avez-vous, ma chère ? », demandai-je, alerté par sa pâleur.
« Rien, rien », répondit-elle, un sanglot dans la voix.
Sentant qu’elle souhaitait un réconfort, je lui proposai doucement : « Si le cœur vous en dit, joignez-vous à nous. La sortie sera agréable, et il semblerait même que Weishang ait pris soin de nous trouver une escorte. »
Elle hésita un instant avant d'acquiescer. « Oui, cela me changera les idées... et il y a bien longtemps que je ne suis venue en Francie. »
Je fus soulagé de la voir céder et m’accompagner. Durant la journée, elle resta toujours proche de moi, respectant les convenances, mais suffisamment pour que je devine sa gratitude et son besoin de compagnie.
Ce matin-là, nous parcourûmes les rues de Berthelaye, petite ville semblant tout droit transplantée de la campagne française, avec ses maisons bourgeoises encadrées d’arbres. En contre-haut, un imposant observatoire dominait la colline et le fleuve qui serpentait en contrebas. La ville avait cette aura studieuse, rappelant Compiègne où j'avais stationné avec mon régiment — une localité paisible, propre et organisée. La ressemblance avec cette ville me frappa immédiatement : les mêmes avenues bordées d’arbres, les vitrines coquettes des magasins. Même le "Francien", leur langue, résonnait d’une façon qui rappelait le français, bien que légèrement plus chantant, avec des "r" roulés à la manière écossaise.
Nous déjeunâmes dans une petite auberge pittoresque, goûtant la spécialité locale : une délicieuse tarte aux poireaux accompagnée d’un pâté en gelée. Ce plat, bien que simple, mériterait une place dans un bon livre de recettes ! Je me promis de retrouver la formule exacte un jour. Lien Go semblait enfin débarassée de l'ombre qui obscurcissait son regard depuis la fusillade.
L'après-midi, nous rencontrâmes enfin le Professeur Jean-Luc Perrinet, astronome émérite, dans son vaste bureau encombré de cartes célestes qui éveillaient ma curiosité. La voûte céleste de cette planète différait tant de celle de la mienne, altérée ici par les gigantesques panneaux d’ombres créant une nuit artificielle. Ce monde possédait un ciel fascinant et, en même temps, inquiétant dans son étrangeté.
Le professeur, se déplaçant en fauteuil roulant, n'en était pas moins un homme d’une agilité étonnante. Il semblait passer d’un point à l’autre de son bureau avec une rapidité presque mécanique, poussant sa chaise avec une habileté admirable. Ses gestes précis et son énergie palpable donnaient à son être une vivacité que l’on rencontre rarement chez les érudits, encore moins infirmes.
Le reste de l’après-midi se déroula dans un échange intellectuel d’une rare intensité, alors que le professeur commença à nous expliquer les mystères du ciel de l'Anneau...
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 30 (Berthelaye, 29 septembre 1024)
### Extrait des Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia.
(Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)


Virevoltant dans son étrange siège à roulettes, le scientifique me paraissait tout à fait agité.
« Mais bien sûr que les planètes naturelles sont sphériques ! Tout le monde en convient désormais. J'ignore si notre monde est unique, comme le prétendent certains religieux, mais ce qui est évident, c'est qu'il repose sur un équilibre qui n'a rien de naturel. »
Il frappait ses doigts sur son bureau avec une irritation palpable. « C'est pure sottise de la part de Watson de persister à croire que, lors de la formation du monde, des masses rocheuses ont, par magie, commencé à graviter à la même distance de Driss, à la même vitesse, et se sont naturellement soudées ! Vous vous rendez compte de l’absurdité d'une telle idée ? »
Je n'y voyais pas d'inconvénient et demandai : « Pourquoi pas ? »
« Sapristi ! Mais parce que la force centrifuge s'y oppose, jeune homme ! Vous savez manier une fronde, n’est-ce pas ? »
« Oui ! » répondis-je fièrement.
« Eh bien, c'est pareil. Si vous tournez autour d'une étoile, vous finissez par être éjecté. »
« Une étoile ? » intervint Fang Yüan. « Mais vous nous parliez du soleil ? »
« Très chère madame, j’ai prouvé scientifiquement que Driss n’est qu'une étoile parmi d’autres. Ce qui rend notre Anneau unique, ce n'est pas Driss, mais Allyanse lui-même. Toutes les étoiles que vous apercevez dans le ciel à côté des carrés d'ombre sont aussi des soleils, entourés non d'un anneau, mais de planètes, plus ou moins sphériques. »
Weishang et Philip échangèrent un regard complice avant de murmurer à l'unisson : « Comme la Terre. »
« Ah, la Terre ! » s'exclama Perrinet en riant. « Je ne parle pas de mythologie, messieurs, ni de religion. Je ne dis pas que la Terre existe, et encore moins que nous en provenons. Ce que je dis, c’est que je n’ai jamais observé, dans mon télescope, autre chose que des étoiles entourées de planètes sphériques. Si Allyanse n’est pas un cas unique, il n’en demeure pas moins extraordinaire, et nous avons une chance inouïe d’y vivre ! »
Shaka, curieux, demanda : « Pourquoi donc de la chance ? »
« Mon jeune ami, sur une planète sphérique, la météo doit être d’une violence épouvantable, passant de l’extrême froid à une chaleur insupportable. Le sol, instable, doit être secoué de tremblements de terre. Il pleut parfois si fort que les fleuves débordent et inondent des régions entières. »
À mesure qu'il décrivait ce monde, Weishang et Philip semblaient de plus en plus interloqués. Finalement, Weishang, d’une voix songeuse, fit remarquer : « Je vis ici depuis vingt ans, et je n’ai jamais entendu parler de tremblement de terre, ni de crue catastrophique comme celles du Yang-Tsé. »
Perrinet sembla comprendre immédiatement et s'exclama : « Vous en venez ? Vous venez d’une planète, n’est-ce pas ? »
Ils acquiescèrent. Le professeur s'anima : « Alors, ai-je raison ? Dites-moi que vous avez déjà ressenti un séisme ou vu une rivière sortir de son lit ! »
« Plusieurs fois », confirma Weishang.
« Oui, c’est la nature », ajouta Philip. « Cela n’arrive jamais ici ? »
« Et la terre ne s’ouvre-t-elle jamais pour laisser remonter du magma en fusion ? »
« Vous parlez de volcans ? » Philip tenta de franciser le terme, mais Perrinet ne le connaissait visiblement pas.
« Je veux dire des fissures dans le sol qui libèrent une lave brûlante, ou des cônes qui se forment quand ce magma refroidit au contact de l'air ? »
« Oui, nous appelons cela des volcans », répondit Weishang.
Perrinet, dans une frénésie de joie, roulait dans son bureau en répétant sans cesse : « Magnifique ! Magnifique ! J'avais raison ! Sur toute la ligne ! Ah, mes amis, que je suis heureux ! »
La Quête du Soleil Mouvant - Épisode 31 (Berthelaye, 29 septembre 1024)
**Extrait de "Mes Combats - Autobiographie de Shaka M'Baku"**
(éditions du Balbuzard Yasebukhosini en 1056)
**Chapitre XXV: Le Prof à roulettes**
(...)
Soudain, la tête du professeur se pencha en avant, et il s'immobilisa. Fang Yüan, inquiète, vérifia son pouls tandis que je me précipitai hors du bureau. Au bout de quelques instants, je trouvai une femme dans une pièce voisine.
Lorsque je revins, Fang Yüan affichait un léger sourire.
« Ce n’est qu’un malaise vagal, dû à l’émotion. Pouls et respiration sont normaux », annonça-t-elle.
« Par tous les dieux, dans quel état vous me l'avez mis ! » s'écria la femme à mes côtés, avec un accent que je ne connaissais pas. « Faut pas le laisser s'emporter comme ça, tabarnak ! »
Elle ouvrit un tiroir, en sortit une boîte de pastilles, et glissa deux comprimés entre les lèvres du professeur. L’odeur forte de menthe emplit la pièce, et peu à peu, Perrinet reprit ses esprits.
« Madeleine, Madeleine ! » murmura-t-il faiblement. « Ne grondez pas mes invités, c’est le plus beau jour de ma vie... J'avais raison ! »
« Bien sûr que vous aviez raison ! Mais vous avez toujours raison, sauf sur votre propre santé », le coupa-t-elle d’un ton ferme.
Le professeur, visiblement épuisé, attendit que Madeleine parte avant de reprendre :
« Quand avez-vous quitté votre planète d’origine ? » demanda-t-il à Weishan.
« Vingt ans », répondit-il.
Philip ajouta : « Et moi, le 3 août, selon votre calendrier. »
Perrinet, abasourdi, les regarda :
« Vous venez tout juste d'arriver, donc ? Vous viviez sur une planète sphérique avec des jours et des nuits dus à sa rotation autour de son étoile ? »
« Exactement », confirma Philip.
Le professeur, ému, murmura : « Merci. Comment pourrais-je vous remercier ? Que puis-je faire pour vous ? »
Fang Yüan, d'une voix plus froide que d'habitude, répondit : « Vous avez déjà fait beaucoup. Vous avez confirmé leurs souvenirs. La question qui demeure est comment ces souvenirs sont arrivés jusqu’ici. »
« Le voyage interstellaire est impossible », répondit Perrinet, pensif. « Pas pour des humains. En théorie, cela prendrait des milliers, sinon des millions d'années pour traverser de telles distances. »
Kaylor, curieux, demanda : « Pourquoi ? »
Le professeur répondit, son ton empreint de fatalité :
« Il est impossible, avec nos connaissances actuelles, de dépasser la vitesse de la lumière sans désintégrer un objet. À cette vitesse, il faudrait déjà des dizaines d'années pour atteindre l’étoile la plus proche. »
Une pensée étrange traversa mon esprit, et bien que la question parût absurde, je la posai malgré moi :
« Leurs corps, oui... Mais leurs souvenirs ? »
Un silence s’installa, jusqu’à ce que le colonel Xue rompe l’atmosphère pesante :
« Avez-vous déjà entendu parler de gens qui se souvenaient d’avoir vu un soleil mouvant dans le ciel ? »
« Oui », admit Perrinet. « Ces récits ont guidé mes recherches. J'ai prouvé que, si quelqu’un venait d'une planète, il aurait ce genre de souvenirs. Mais je n’ai jamais dit que ces personnes venaient réellement de ces mondes. Je n’ai pas encore d’explication scientifique à cela. Tout ce que je dis, c'est que, si c’était le cas, leurs souvenirs seraient tels que vous les décrivez. »
En quittant le bureau, je ressentis une étrange mélancolie, comme si j’abandonnais un homme au bord d’une grande révélation. Le dirigeable nous attendait, mais mon esprit restait avec le professeur Perrinet, un esprit indompté de la Francie, attaché à ses étoiles lointaines. Devant moi, Philip offrait galamment son bras à Lien Go. J'étais heureux de retrouver bientôt Femi.

Fin de la deuxième partie

lire la troisième partie : à la recherche de la Route des Souvenirs

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