Les Pacifiques Etats Confédérés de Phenixia

The Peaceful Confederate States of Phenixia


"Les Chroniques d'Allyanse : T1. L'Odyssée des Mémoires
Par Philippe Bondurand et Alden Reeves

troisième partie : A la recherche de la Route des Souvenirs (Octobre 1024)


retour à la Première Partie : Les Ombres du Wöll

retour à la Deuxième Partie : La quête du Soleil Mouvant




Il serait tout à fait plausible que Li Weishan, ayant vécu 20 ans parmi les Amérindiens et avec ses racines dans la philosophie chinoise, puisse concevoir un concept fusionnant le Qi chinois et le Né'ih navajo. Cela pourrait représenter une force spirituelle qui contient l'esprit, les souvenirs et l'essence vitale de l'individu, véhiculant ces éléments à travers son nouveau corps sur Allyanse. Ce concept expliquerait comment son essence a survécu au transfert, mais ses cicatrices corporelles, marquant des événements passés, auraient disparu, étant reconstruites dans une forme pure.
Il pourrait appeler ce concept, par exemple, Shénnei, un mot formé à partir de "Shén" (esprit ou divinité en chinois) et "Né'ih", symbolisant ainsi cette nouvelle essence qui fusionne corps, esprit, souvenirs et force vitale.
Philip José Niven dans son article : Les Ombres du Wöll, chef d'oeuvre de la SF ou pastiche laborieux?
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 1

Extrait de L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux
par Lian Hawkeye, Presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)
**Chapitre XXXI : Sous la fraicheur des Cèdres**
1 et 2 octobre 1024


La quête du Soleil Mouvant était terminée. Perrinet avait été très clair : les souvenirs de Weishan et de Philip Blake, l'autre Terrien, d'un soleil se levant d’un côté de la planète pour se coucher de l'autre correspondaient bien à une réalité astronomique prouvée.
Comment étaient-ils arrivés là restait une autre histoire. Par quels chemins leurs mémoires et un corps si semblable à celui de leurs souvenirs s'étaient-ils retrouvés sur Allyanse ?
Pour le moment, ils devaient faire une pause. D'abord, ils en avaient besoin : la tension des derniers jours, les difficultés du voyage, les embuscades et les péripéties les avaient épuisés. Ensuite, ils devaient réfléchir au sens nouveau à donner à leurs recherches.
Mais à peine arrivés au dirigeable sur l'aéroport de Berthelaye, une missive officielle, soigneusement cachetée, les attendait. Le message était clair, formel, presque impérieux : une invitation à se rendre à Cèdre, la capitale confédérale.Fang Yüan, de son côté, avait reçu un bref message de Sir Alex : « on se voit à Cèdre ». C'était sa manière d'insister pour qu'ils acceptent cette invitation.Ils arrivèrent tard le soir du 1er octobre et finirent leur nuit dans leurs cabines.
Au matin, Cèdre, baignée par la lumière que le carré d'ombre dévoilait, se révélait peu à peu dans toute sa modernité, une ville dynamique et cosmopolite, rappelant à Blake les métropoles méditerranéennes de la Terre. L’architecture était un mélange de structures franciennes et djumuriennes, avec ses places ouvertes et ses rues bordées de cèdres millénaires, comme une étreinte entre le passé et le présent. L’odeur du café et des galettes au thym s’élevait des terrasses animées, et Weishan inspira profondément, presque réconforté par cette joie de vivre palpable.
La réception étant prévue pour le soir, Alex avait insisté pour qu'ils profitent de leur passage pour passer une journée à Cèdre. Une pause bien méritée après des semaines d'aventure. Weishan choisit la plage pour s’isoler, son esprit en ébullition. Assis face à l’horizon, ses pensées vagabondaient entre son ancienne vie sur Terre et celle qu’il menait désormais. Le sable sous ses pieds semblait comme une ancre à cet instant. Pendant des heures, il réfléchit à tout ce qu’il avait appris sur le Chi et le Né'ih. La connexion se fit soudainement, presque comme un éclair de génie. Il comprit que ces deux concepts ne formaient qu’un, une essence unifiée. Le Shénné'ih — voilà le nom qu’il donnerait à cette fusion. Ce concept, qu’il venait de créer, véhiculait autant la mémoire du corps que celle de l’esprit, liant les deux de manière indissociable. C’était ainsi qu’il expliquait désormais la disparition de ses cicatrices et de celles de ses compagnons comme Philip. Leurs corps avaient changé, mais leur Shénné'ih était resté intact.
Pendant ce temps, Shaka et Femi s’étaient éclipsés pour une promenade romantique dans le célèbre Bois des Cèdres. Philip et LienGo les accompagnaient. Lorsqu'ils revinrent, Weishan nota avec un petit sourire complice que l’évidence était palpable : LienGo et Philip étaient désormais un couple. Les regards et les gestes tendres qu’ils s’échangeaient ne laissaient aucun doute.
Dans l’agitation de la capitale, Kaylor, quant à lui, était devenu la coqueluche de la société de Cèdre. Parti avec Nathalie et Volkov pour prendre un café, ils avaient été invités dès le matin à partager la « man'ouché » locale. Présenté à plusieurs personnes, qui à leur tour le présentaient à d'autres, il charmait les élites par ses récits et se retrouvait au centre de toutes les attentions.
On le retrouva juste à temps pour se rendre à la réception.
Philippe Bondurand, Humble Porte-Parole de Phenixia, et son conseiller militaire, Boutros el Khoury, les attendaient. Weishan ressentit immédiatement la froideur protocolaire de cette rencontre, un test, sans doute, pour évaluer le groupe après les événements qui s’étaient déroulés en Svénie. Cela ne lui échappa pas. Plus tard dans la soirée, FangYuan croisa Alex. À son bras, une jeune femme d'une grande beauté et d'une intelligence vive. FangYuan ne put s’empêcher de ressentir un pincement au cœur.
Quelques heures plus tard, sans trop savoir pourquoi, elle sortit de sa cabine du dirigeable pour retrouver Weishan. Elle éclata en sanglots dans ses bras, libérant une douleur qu’elle n’avait jusque-là pas su exprimer.
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 2
2 et 3/10/24
### Extrait des Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia.
(Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)


Ah, Cèdre... Je me souviens de cette journée comme si c’était hier, même si mes souvenirs sont un peu flous vers la fin, à cause de l’araq et de cette sacrée quantité de manakiche.
Tout avait commencé tranquillement. Nathalie, la Capitaine, toujours aussi vive et chaleureuse, m’avait embarqué avec Andriy Volkov vers une guinguette en bord de plage. C’était une petite bâtisse de bois, ornée de lanternes et de tentures colorées. L’air marin mélangé aux odeurs de thym et de viande grillée, ça, je ne l’oublierai jamais.
Dès que nous avons mis les pieds là-bas, Nathalie s’est mise à parler à tout le monde comme si elle les connaissait depuis toujours. C’est là qu’elle a raconté que je venais des nouveaux territoires de Phenixia, bientôt appelés Atavisia. Ce n’était pas un mensonge, mais ça a attisé la curiosité. Avec ma carrure imposante, mes cheveux roux et ce teint pâle, les gens me fixaient, intrigués. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, une petite foule s’était formée autour de moi, comme si j’étais une attraction.
« Eh, regarde ce grand rouquin, on dirait qu’il sort tout droit d’une légende, wallah ! » a lancé un type qui se trouvait près du comptoir, un sourire narquois sur le visage. Avant que je ne puisse répondre, une assiette remplie de galettes de thym, les manakiche, est apparue devant moi. Je n’avais pas prévu de dévorer tout ça... mais l’odeur... impossible de résister. Après tout, ils me les offraient !
J’ai dû en manger une bonne douzaine. Tout le monde riait, tapait sur la table, m’encourageait : « Kaylor, tu n’as pas encore goûté à la lahme bi ajjin, ça, c’est un vrai festin ! » J’ai obtempéré, bien sûr. Comment dire non quand les galettes continuent de s’empiler devant vous, hein ?
Le patron de la guinguette, un homme jovial avec une grosse moustache, s’est approché et m’a tapé sur l’épaule. « Ya habibi, tout est pour toi, tu es notre invité d’honneur aujourd’hui ! » Il riait en voyant mes efforts pour ne pas m’effondrer après avoir englouti tout ça.
Mais ce n’était pas tout. Un commerçant, visiblement séduit par ma popularité soudaine, m’a pris par le bras : « Viens, mon frère, tu ne peux pas te promener à Cèdre habillé comme ça. Laisse-moi te trouver des vêtements de la capitale ! » Et hop, me voilà dans sa boutique, en train de me faire confectionner un sarouel en coton et un boléro brodé. Tout ça en buvant du café turc et grignotant des baklava. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi bien habillé, et aussi bien nourri...
À peine sorti de là que le chapelier du coin m’a attrapé : « Attends, ya Kaylor, il te faut un fès pour compléter ce look ! Viens, prends le thé avec nous, je t’en offre un ! » C’était une boucle sans fin. Thé, café, baklava... J’avais l’impression de flotter sur un nuage d’épices et de sucreries.
Finalement, le groupe m’a retrouvé à temps pour la grande réception avec Philippe Bondurand et Boutros el Khoury. Honnêtement, je ne me souviens pas de grand-chose. J’étais dans un tel état de somnolence que je n’ai retenu que la gentillesse de nos hôtes. Ils ont dû remarquer ma fatigue parce qu’ils m’ont emmené sur une terrasse où je me suis affalé sur un divan, incapable de bouger. Ce n’est que lorsque Shaqa est venu me chercher pour rentrer au dirigeable que j’ai émergé de mon semi-coma.
Le lendemain matin, frais et dispo, je me suis réveillé avec l’étrange impression d’avoir vécu un rêve éveillé. Tout le monde semblait ailleurs : Fang Yüan avait l’air triste, Weishan préoccupé. Même Shaqa, qui ne lâchait pas Femi du regard, paraissait distrait. Nous avons essayé de parler de la suite de notre quête, mais personne n’avait vraiment envie de s’y plonger. Finalement, Weishan a proposé une après-midi de repos supplémentaire, et tout le monde a accepté avec soulagement.
Volkov m’a accompagné à la plage. « Mais cette fois, pas d’alcool, Kaylor, t’es bien trop lourd à porter ! » a-t-il plaisanté. J’ai ri. Il avait raison, et au moins, ça a ramené un peu de légèreté dans ce moment suspendu.

Un peu plus tard, alors qu'un cafetier insistait pour nous offrir une crème glacée à la fleur d'oranger, je remarquai :

- "Andriy, ils sont incroyablement gentils, non?"
- "C'est vrai, c'est un peuple très sympathique Kaylor, surtout avec les clients qui en attirent dix autres comme toi".
- "Je comprends mieux... mais en tout cas ils le font avec beaucoup de courtoisie."
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 3
3/10/1024


**Journal de Fang Yüan**

C'est étrange de se sentir reconnaissante envers Weishan pour quelque chose d'aussi banal que la discrétion. Il m’a pourtant accordé ce luxe, même quand je n’arrivais plus à gérer la situation. Aujourd’hui, il m’a offert son respect de manière si subtile, mais si marquante. Lorsque je sortais du dirigeable, ébranlée par mes pensées, il m’a saluée d’un "mon colonel" respectueux. Ce titre, dont je suis si fière, avait retrouvé tout son poids à cet instant, me redonnant un peu de l'autorité que je pensais avoir perdue dans la tourmente de mes émotions.

Après cette matinée stérile et cette réunion frustrante où je sentais la démobilisation de mon équipe faire écho à ma tristesse, l’après-midi s’étirait sans fin. Au lieu de rester avec mes compagnons, j’ai préféré errer seule dans les rues de Cèdre, tentant de rassembler mes souvenirs. Cette ville si vivante, presque étrangère désormais pour moi, semblait parfois m’appeler, me murmurer des fragments de ma vie passée, ici avec Alex.
Soudain, Boutros me rejoignit, comme s'il avait su exactement où me trouver, dans ce bar à narguileh où les odeurs de pomme et de cannelle se mêlait aux effluves du tabac. Ce n’était pas une coïncidence, bien sûr. Boutros étant une des rares personnes qu'Alex respectait vraiment, avait ses propres limiers. Il était venu pour me faire parler, pas pour fumer le meilleur tabac de Cèdre comme il le prétendait.. Mais d'une façon surprenante, il ne me força à rien, se contentant de m’écouter, puis de m'aider à comprendre que l'importance de notre quête dépassait mes doutes personnels.

« Vous savez, Fang Yüan, ce que nous recherchons n'est pas seulement pour nous-mêmes, mais pour bien plus. Ce n'est pas une simple affaire interne doublixe. Bondurand pense même que ça dépasse Phenixia. C'est plus important que de la politique. L'UNSS Phenixia et ses légendes. Le Mal de Mangiagobie qui a éradiqué plus de la moitié des nations connues, il y a 20 ans. Ces nouveaux états étranges qui ont surgi à la place de l'ancien Polyce et d'où viennent vos compagnons. Y compris cet adorable Atavisian dont le Professeur Wallander a reconnu la parenté avec des gens de Clio ! Vous vous rendez compte de la distance qui nous sépare de ces terres quasi légendaires ? Vous vous approchez du sens même de notre vie sur Allyanse. Vous ne pouvez pas flancher maintenant à la moitié du chemin. »

Il en savait autant que moi, peut-être plus. Chaque mot résonnait en moi, révélant peu à peu les véritables enjeux de cette quête. J’ai fini par tout lui dire, mes hésitations, mes craintes. Il ne jugeait pas, il écoutait avec la patience de quelqu’un qui comprend la complexité des combats intérieurs. Ses paroles me permirent de remettre mes pensées en ordre, et je réalisai à quel point cette mission était cruciale pour nous tous.

En rentrant ce soir-là, j'étais plus calme. Weishan, fidèle à lui-même, n’a posé aucune question, mais son regard trahissait sa compréhension silencieuse. J'ai salué tout le groupe d'un simple "bonne nuit". Avant de partir me coucher, j'ai lancé à Shaqa, qui se penchait sur ses coquillages :

« Prépare tes perles et tes coquillages, on décolle demain. Et cette fois, on choisira la destination en vol. »

Je sentais qu’il était temps de prendre les rênes de nouveau, que notre quête allait prendre un tournant décisif. Plus question de se perdre dans les méandres de nos propres doutes. Demain, nous reprendrons le chemin, et cette fois-ci, nous irions là où les souvenirs ne seront plus des fantômes, mais des révélations.
4/10/1024 11h – A la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 4)
Audiodescription de l'entrevue entre Boutros el Khoury, conseiller militaire, Philippe Bondurand, Humble Porte-Parole de la Confédération, et Sir Alexander Wei-Cheng Spencer, commandant en chef du GHQ Sud XX.

**Philippe** (sur un ton de reproche à moitié sérieux)
« Une bien belle bourde, Sir Alex, assez peu dans vos habitudes. »
**Sir Alexandre** (penaud)
« Je vous avoue que nous sommes séparés depuis si longtemps... et elle savait que j'avais refait ma vie... »
**Boutros** (d'un ton sage et pénétrant)
« Cette mission vous a remis en présence, et peut-être rouvert des vieilles blessures ? »
**Sir Alexandre**
« C'est cela que j'aurais dû anticiper, au lieu de venir avec Cecilia sans penser à mal. Avec tous ces soucis avec les extrémistes doublixes, je n'ai pensé qu'en termes de mission et oublié notre équation personnelle. Je ne le referai plus. »
**Boutros** (détendu)
« Mahlé chi ! Yahné, c'est pas grave, elle est repartie comme en 98 ! Et j'ai beaucoup apprécié son équipe. Ce Wicasa Ska ! Quel soldat ! J'aurais aimé commander un homme comme lui ! Et les autres sont parfaits dans leur rôle, même le jeune à la tête si bizarre. »
**Philippe** (riant)
« On m'a dit qu'il s'était fait bien des amis en ville. S'il apprend à se méfier de l'araq, il ira loin. Dis-moi, Boutros, où vont-ils à présent ? »
**Boutros** (plus grave)
« Mabaref ! Et il vaut mieux que je ne sache pas. Une force mystérieuse s'oppose à nous. Je pressens qu'ils n'en ont pas fini avec les embûches. Moins ils seront prévisibles, mieux ce sera. »
**Sir Alexandre**
« Oui, nos extrémistes nous donnent du fil à retordre. »
**Boutros** (mystérieux)
« Akiid ! Mais, je ne crois pas qu'ils soient le seul danger. »
**Philippe** (surpris)
« Qui, chez les fédéralistes, pourrait redouter leur mission ? »
**Boutros**
« Qui sait ? Estez Philippe, s'il existe une puissance capable de transférer des personnes à travers l'espace pour les faire renaître ici ? C'est une simple hypothèse pour le moment, mais si elle est exacte, ces gens-là n'ont rien fait pour se montrer jusqu'à présent. Ils n'ont peut-être pas envie qu'on fouille trop leurs secrets, masbout ? »
**Philippe**
« En tout cas, ils n'ont pas daigné nous les expliquer jusqu'ici. Par contre, face à une telle puissance qui dépasse de loin nos capacités, que pourrions-nous faire ? »
**Sir Alexandre** (après un long silence)
« Rassembler un maximum d'informations et les garder en lieu sûr tant que nous progressons me paraît une priorité. Et c'est pour cela que j'ai choisi le Colonel Xue, pour ses compétences et malgré notre passé commun. »
**Boutros** (conciliant)
« Alex, habibté, personne ne remet en cause ton choix. Il est excellent, si quelqu'un peut y arriver, c'est bien elle. »
**Philippe** (insistant)
« Permettez-moi de répéter ma question : qui, chez les fédéralistes, pourrait redouter leur mission ? »
**Boutros** (après réflexion)
« Tout le monde et personne. Nos nations sont ce qu'elles sont. Leur découvrir des racines hors de l'Anneau n'y change rien. Par contre, nous avons aussi nos extrémistes qui prennent un peu trop à la lettre nos mythes fondateurs. Plusieurs États ont même érigé des statues à leur ancêtre mythique issu de l'équipage de l'UNSS Phenixia. Et cette légende cimente notre confédération. Trouver un autre chemin pour notre arrivée sur l'Anneau pourrait saper les fondements mêmes de l'État et faire exploser les particularismes. Si je ne vous connaissais pas si bien, vous seriez le premier que je soupçonnerais. »
**Philippe** (énervé)
« Quoi ? Mais enfin, tout le monde sait que le vaisseau spatial Phenixia, les grands ancêtres, tout ça, ce sont des mythes pour les enfants ! De tels mythes existent aussi sous différentes formes dans la CPA, l'Empire Alneae et jusqu'en Galavonie ! »
**Sir Alexandre** (intervenant)
« Les gens éduqués seulement, et depuis l'épidémie, leur nombre a chuté dramatiquement. Les mythes sont plus faciles à mémoriser que la complexe vérité scientifique. Ils nous ont permis de traverser l'épreuve. »
**Philippe** (hésitant)
« En tout cas, je ne ferai rien pour arrêter leur mission. Moi aussi, je veux savoir la vérité. Il sera toujours temps, après, de la présenter sous un jour qui justifie le maintien de la paix phénixiane. Et les deux élargissements récents sont pour moi une preuve qu'elle vaut mieux que 144 États indépendants se tapant dessus. Sur ce, messieurs, ne serait-il pas temps d'allumer ce narguilé ? »
**Boutros** (avec humour)
« Comme le calumet de la paix des Ashatanis ? »
(éclat de rire commun – fin de l'enregistrement).
– A la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 5)
Extrait de « Mes Combats - autobiographie de Shaka M'Baku»
parue aux éditions du balbuzard, à Yasebukhosini en 1056.
4 et 5 octobre 1024

Le matin du 4 octobre, Kaylor s'était levé avant l'aube, animé par cette énergie qui le caractérisait, et s'était rendu au four à manaqiche le plus proche. Il avait ramené de quoi nous offrir un solide petit déjeuner Cédran avant le départ. C'était un geste simple, mais il disait beaucoup de lui. À cette époque, je ne comprenais pas encore que ces moments de partage façonnaient l'âme d'une équipe.
Le Robuste décolla en silence, ses moteurs ronronnant doucement alors que nous nous éloignions de la côte. Ce n’est qu’après que nous fûmes loin de Cèdre que Fang Yüan, d’un ton calme, me demanda : « Shaka, quelle direction allons-nous prendre ? » Ses mots portaient une charge de responsabilité qui me fit réfléchir.
Je ramassai les coquillages que mes compagnons avaient choisis, chacun soufflant une question dans le creux de ces petits sourires nacrés. Je les laissai tomber, les yeux fixés sur leurs positions, comme si j'attendais que les esprits me murmurent la réponse. Mais ce matin-là, l’inspiration ne venait pas. Peut-être était-ce l’effet du lahmé bi ajin, cette délicieuse galette de viande qui me pesait encore sur l'estomac, ou alors l'incertitude de la tâche qui pesait sur mes épaules. Ce fut plus difficile que d’habitude, mais finalement, une destination se dessina : l’Empire d’Orient et son physicien des matériaux, Shuji Nakamura.
Notre route allait nous faire changer de continent. Deux jours de navigation devant nous. À cette époque, j’étais surtout préoccupé par l’idée de passer du temps avec Femi. Mais elle, plus sensée que moi, préférait rester disponible, prête à intervenir en cas de besoin. Lien Go, notre pilote, allait mieux grâce aux soins de Blake, mais elle aussi veillait de près sur le vaisseau. J’aurais dû profiter de ce temps pour réfléchir, mais la jeunesse est parfois aveugle à ses propres faiblesses. J'occupais mes heures à lire ou à jouer à l’Awélé avec Kaylor, perdant trop souvent mes cauris face à son instinct de joueur aguerri.
La première journée passa sans encombre, mais la nuit suivante changea tout. C'était après deux heures du matin, quand Femi avait pris son quart aux commandes. Je fus tiré de ma couche par une série de chocs. Des impacts sourds secouaient le dirigeable. Je sentis le vaisseau descendre, puis les moteurs rugir pour compenser la perte d'altitude. Un instinct primal me saisit. Des hommes étaient montés à bord, j’en étais certain.
Je me levai sans un bruit, saisissant mon iSqlwah, ma courte lance. J’avais enroulé un pull autour de mon bras gauche en guise de protection improvisée, ayant compris que dans l’espace confiné du Robuste, un bouclier ne m’aurait servi à rien. Mes yeux, encore vifs à l’époque, perçaient la pénombre mieux que ceux des intrus. Je frappai sans hésiter, abattant trois hommes avant de recevoir un coup violent à la tête. Étourdi, je tombai lourdement.
Ce fut Kaylor qui me releva, toujours aussi robuste et plein de ressources. Il avait assommé mon assaillant avec une efficacité qui forçait le respect. Mais l’effet de surprise étant passé, nos ennemis reprirent le dessus. Le combat s’éternisait. Partout dans le vaisseau, j'entendais nos compagnons lutter. Puis, peu à peu, les bruits de bataille s’estompèrent. Kaylor et moi, seuls dans l’obscurité, résistions encore.
Les silhouettes ennemies murmuraient entre elles, leurs voix étranges. L’arrêt des bruits de lutte autour de nous ne présageait rien de bon. Nous étions sûrement les derniers à tenir tête. C’est alors que j’entendis ce chuintement. Un souffle léger, presque imperceptible, comme celui d’un hippopotame surgissant de l’eau, mais en plus subtil. En un instant, ma tête se mit à tourner, mes jambes fléchirent, et je m’effondrai. Juste avant de perdre conscience, j’eus la vague impression que Kaylor tombait à son tour, son immense torse écrasant mes jambes.
– A la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 6 )
**Carnet de Notes de Philip Nigel Blake**
**6 Octobre 1024 – Lieu inconnu**


Je m'éveillais, mais mes yeux restaient clos. Je me concentrai plutôt sur le son. Une voix me parvenait, elle n'était pas tout près de moi. À quelques mètres, je dirais. Une dizaine peut-être. Elle psalmodiait ou chantait dans une langue étrange. Je reconnus la voix de Kaylor. Je me rappelai que je devais toujours être sur Allyanse. J'avais bien sûr rêvé de la Terre, du soleil bas sur l'horizon, se perdant dans les fumées des usines de Manchester au loin. J'aurais tant voulu prolonger le rêve et revenir dans les champs de Prestwich, auprès de ma sœur Mary...
Mais tout me revenait, trop vite, bien trop vite. Cet étrange monde en forme d'anneau, la guerre, ici aussi, moins industrielle que dans la Somme mais tout aussi inhumaine. Ekaterina, que j'ai cru aimer, et qui est partie avec un autre, un homme de son monde à elle, pas un Terrien débarqué de nulle part. Et Kaylor qui chantonnait dans sa langue étrange, avec sa voix si particulière, probablement à cause de la forme bizarrement aplatie de sa tête.
C'est alors que je me rappelai l'attaque dans le dirigeable. Ces silhouettes vêtues et cagoulées de noir. Avec un très court bâton dans chaque main, ils ne m'avaient laissé aucune chance. J'avais voulu faire un rempart de mon corps pour protéger Lien Go. Mais mes piètres notions de boxe avaient été balayées par un de ces redoutables combattants, et j'avais perdu conscience.
À regrets, j'ouvris les yeux. Dans la faible lumière de chandelles espacées, je vis que j'étais dans une espèce de cage, d'environ trois yards sur deux, qui s'alignait avec d'autres de part et d'autre d'un couloir central. Cela ressemblait à une prison médiévale. Dans chaque cellule, un de mes compagnons était allongé. J'étais à un bout du couloir et, à ma droite, semblait dormir Wicasa Ska, puis Volkov, Shaqa, et enfin Kaylor, qui chantonnait sur le dos, les yeux clos.
Je tentai de me relever, mes muscles endoloris, chaque mouvement me rappelant la brutalité de notre capture. Je toussai, une quinte sèche, réveillant Wicasa Ska qui se redressa rapidement, l’air encore confus.
— « Blake ? Vous allez bien ? » Sa voix, empreinte d'inquiétude, me réchauffa légèrement l'âme.
— « Oui, autant que faire se peut dans cette situation déplorable. Et vous ? »
Il hocha la tête, se frottant les tempes, avant de s'étirer lentement.
— « Juste un mal de tête, mais je survivrai. »
À côté, Volkov bougea, émergeant de son propre sommeil forcé. D’un grognement rauque, il s’assit en frottant sa barbe.
— « Bordel... Qu'est-ce qui nous est arrivé ? » demanda-t-il en cherchant des yeux quelque chose pour se repérer.
— « Une embuscade, très probablement. Nous avons été attaqués à bord du dirigeable, puis... j'imagine que nous avons tous perdu conscience après cela. »
Shaqa, allongé sur son flanc, murmura en se redressant :
— « Oui... Ils nous ont eus en douceur, avec leur gaz soporifique. C'était bien orchestré. Je ne les ai même pas entendus venir... Et vous, mes amis ? »
— « Vivants, c'est déjà quelque chose », répondis-je en observant Shaqa, toujours aussi imperturbable, malgré la situation.
— « Et Kaylor ? » demanda Wicasa Ska en se tournant vers la dernière cellule.
Le chant de Kaylor s'interrompit, laissant place à un silence lourd. Puis, lentement, il ouvrit les yeux.
— « Je suis ici, » répondit-il simplement, son visage étrangement serein. « Nous sommes tous vivants. Rien de grave ne nous est arrivé. »
Shaqa acquiesça, ses yeux fixant Kaylor avec curiosité.
— « Ce chant, » dit-il après un instant de réflexion, « apaisait-il les esprits, ou les tiens ? »
Kaylor sourit légèrement, haussant les épaules.
— « Un peu des deux, je suppose. »
Le léger rire de Shaqa rompit la tension qui régnait, et même Volkov eut un sourire en coin.
— « Bon, et maintenant ? » reprit Volkov, d'un ton plus grave. « Où diable sommes-nous ? »
— « C'est bien là la question », répondis-je en soupirant. « J’imagine que nous devrons patienter pour découvrir ce que nos geôliers ont en tête. »
Shaqa frappa doucement sur les barreaux de sa cellule.
— « Pour le moment, nous sommes bel et bien piégés. Mais il n’y a pas de menottes ni de chaînes... ils ne veulent pas nous blesser davantage. C’est déjà ça. »
— « Alors nous attendrons », dis-je finalement, tentant de masquer la montée de l'angoisse.
épisode 7, le 7/10/1024 – A la recherche de la Route des Souvenirs
### **Extrait de L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux**
par Lian Hawkeye, Presses Universitaires de Qingshan Ridge, Yinchokta (1047)
**Chapitre XXXV : Dans les geôles inconnues**


Une journée s’était écoulée depuis leur capture, et toujours aucun mot des geôliers. Ce n’étaient que de simples domestiques, silencieux, affublés de bâillons et de protège-oreilles. Les repas étaient corrects, l’eau claire, et bien qu’ils fussent prisonniers, aucune violence ne leur était infligée. Toutefois, l’absence de communication et de motifs renforçait le sentiment d’injustice et d’inquiétude parmi eux.
Les cages étaient alignées de chaque côté d’un long couloir. D’un côté, Blake, Wicasa Ska, Volkov, Shaqa et Kaylor ; de l’autre, Nathalie Arnaud, Xue Fang Yuan, Lien Go, et Femi Adeyemi. Le silence pesait lourd, chacun absorbé dans ses pensées, jusqu’à ce que Wicasa Ska brise le mutisme ambiant en interrogeant doucement Fang Yuan.
— "Tu tiens le coup ?" demanda-t-il, sa voix pleine de sollicitude.
Fang Yuan hocha la tête, un sourire ténu aux lèvres, mais la tension dans ses traits ne pouvait être ignorée.
— "Ça va. Mais ça commence à devenir étrange."
Volkov, toujours pragmatique, s'approcha des barreaux de sa cage, fronçant les sourcils.
— "Aucune interrogation, aucune raison donnée. Pourquoi nous retiennent-ils ici ?"
Blake, allongé contre les murs froids de sa cellule, réfléchissait tout en fixant le plafond.
— "S'ils ne veulent pas nous parler, cela signifie qu'ils cachent quelque chose. Ou qu’ils craignent que nous en sachions trop."
Wicasa Ska observait chacun de ses compagnons avec calme, puis soudain, une idée surgit dans son esprit.
— "Est-ce que quelqu’un a des allumettes ? Ou du gel hydroalcoolique ?" lança-t-il, sa voix prenant une teinte plus assurée.
Blake, sans un mot, fouilla dans ses poches et sortit un paquet d'allumettes.
— "J’en ai quelques-unes. Qu’as-tu en tête ?"
Wicasa Ska prit une inspiration profonde.
— "Avec du salpêtre, je peux créer un petit explosif. Rien de bien dangereux, juste assez pour faire céder les serrures."
Shaqa, curieux, s'avança dans sa cage, les yeux plissés d'incrédulité.
— "Tu plaisantes ? Depuis quand sais-tu fabriquer des explosifs ?"
— "Mon père me montrait comment faire des feux d’artifice pour le Nouvel An," expliqua Wicasa en grattant le salpêtre des pierres murales de sa cellule. "J’ai appris quelques astuces."
Kaylor, bien que toujours taciturne, hocha la tête, visiblement impressionné.
— "Nous n'avons rien à perdre," dit-il avec pragmatisme.
En peu de temps, Wicasa avait rassemblé les ingrédients nécessaires. Il prépara trois petites boulettes, suffisamment puissantes pour briser les verrous de trois cellules. Il proposa une boulette à Xue Fang Yuan, mais elle refusa poliment.
— "Non, si tu rates ton lancer vous ne serez que deux. Donne-la à Shaqa."
Shaqa prit l’explosif avec un hochement de tête, et le plan était lancé. Wicasa, Shaqa et Kaylor disposaient chacun de leur boulette. En quelques minutes, la première serrure céda sans bruit. Juste un léger sifflement, suivi d'un craquement métallique.
Les deux autres serrures cédèrent tout aussi discrètement, et les trois hommes refermèrent leurs portes, guettant le retour du domestique. Lorsque celui-ci pénétra dans le couloir pour livrer le repas du soir, ils l'attendirent avec une patience de prédateur.
Dès qu'il fut à mi-chemin, ils se glissèrent hors de leurs cellules en un mouvement fluide. L'homme, surpris, n'eut pas le temps de réagir, mais il ne portait pas les clés. Un moment d'hésitation s’empara d’eux jusqu'à ce que Blake, toujours observateur, aperçoive un trousseau accroché près de la porte au fond du couloir.
— "Les clés, là-bas !" murmura-t-il en pointant du doigt.
Le groupe s'élança vers la porte et s’empara des clés. En un rien de temps, ils libérèrent leurs compagnons. Ensemble, ils gravirent l'escalier menant à la surface. Une fois dehors, ils se retrouvèrent sur un ancien terrain militaire, déserté et couvert d'ombres inquiétantes. Le ciel nocturne était dégagé, seul un bâtiment proche était faiblement éclairé.
— "Par là," murmura Volkov en désignant un mur délabré.
Ils traversèrent silencieusement le terrain, jusqu'à trouver un pan de mur effondré. En s'y faufilant, ils gagnèrent la liberté des bois voisins, leur respiration lourde mais soulagée.
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 8
7 et 8/10/24
### Extrait des Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia.
(Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)
**Chapitre XXV : L’Évasion**


Je me souviens encore de cette nuit du 7 octobre 1024. Nous avions marché des heures après notre évasion, fuyant cette étrange base abandonnée qui nous avait servis de prison. Ce jeune homme que j'étais alors, confiant mais incertain, ignorait bien des choses sur ce qui nous attendait. Toutefois, ce soir-là, mes instincts de chasseur-cueilleur prirent le dessus. Vers minuit, après quatre heures de marche, je leur indiquai un abri sous roche. Le terrain était propice, et cet endroit isolé nous offrait une sécurité relative. J’étais habitué à cette vie en pleine nature, et mon sens du terrain me rassurait que c'était le meilleur refuge que nous pouvions espérer.
« Restez ici », dis-je calmement à mes compagnons, espérant que la fatigue aidait mes mots à passer. Shaqa hocha la tête avec gratitude, tandis que Wicasa Ska observait silencieusement l’endroit, approuvant du regard. Fang Yüan, elle, jeta un œil perçant aux alentours, comme si elle doutait de mon évaluation. Mais elle finit par accepter, et chacun se blottit contre la roche froide, emmitouflé dans ce qui restait de nos vêtements.
Le matin suivant, le soleil s'éleva progressivement, dévoilant un ciel azur. Grâce à l’abri, nous étions restés dans l’ombre, réveillés non par la chaleur, mais par la lumière douce et réfractée. Je fus le premier à m’étirer, et peu à peu, mes compagnons émergeaient de leur sommeil. Fang Yüan scrutait déjà l'horizon, où une légère colonne de fumée se dessinait à l’ouest.
« Cela pourrait être d'où nous venons », murmura Volkov avec prudence, mais je secouai la tête.
« Non », répondis-je, mes sens en alerte. « Ce n’est pas la même direction. »
Shaqa renifla l’air, souriant en confirmation. « Kaylor a raison. Ça vient d’ailleurs. » Ce simple échange redonna un semblant de confiance au groupe, et après avoir partagé quelques baies comestibles que je trouvais non loin, nous reprîmes la route vers cette fumée.
Vers 10 heures, nous aperçûmes un village. Fang Yüan fronça les sourcils, étudiant les structures de bois et de chaume qui se dressaient au loin. « L’Ilejonc, » murmura-t-elle, avant de se tourner vers nous, l’air grave. « C'est une architecture typique, semblable à ce que j’ai vu autrefois. »
Je n'avais jamais entendu parler de l’Ilejonc, mais la manière dont elle parlait suggérait qu’elle en savait bien plus qu'elle ne le disait. D’un geste rapide, elle nous invita à la suivre d'un pas résolu, prenant instinctivement la tête. « Redressez-vous », ordonna-t-elle d’une voix impérieuse. « Marchez comme des soldats, pas comme des fuyards. »
Elle nous menait avec une autorité incontestable, son allure stricte et militaire imposant une confiance étrange. Bien plus tard, en repensant à cet instant, je compris qu’elle jouait là un coup de bluff audacieux. Si le gouvernement de l’Ilejonc avait été mêlé à notre détention, nous n’aurions pas été enfermés dans une base abandonnée, en secret. Elle misait sur la bureaucratie pour éviter des ennuis, et elle avait raison.
Sous ses ordres, nous marchâmes droit jusqu’au bâtiment administratif où flottait le pavillon noir de l'Ilejonc, arborant l’inquiétant symbole doublixe. Elle n’hésita pas une seconde, s’avançant vers le planton en déclinant sèchement ses titres. « Médecin-Colonel Xue Fang Yüan, » annonça-t-elle avec fierté. « Introduisez-moi auprès du maire local. »
Le pauvre planton, décontenancé par cette autorité soudaine, obéit sans un mot. Une fois face au maire, Fang Yüan reprit son rôle de chef improvisé, exigeant qu’il contacte immédiatement le GHQ. Le maire, un petit homme nerveux, tenta de protester qu'il était trop insignifiant pour que sa requête aboutisse et qu'il devait remonter la voie hiérarchique, mais elle lui fournit un code secret : « Appelez et dites juste XFY3261 », dit-elle d’une voix glaciale.
Contre toute attente, cela fonctionna. Peu après, elle parvint à obtenir une communication directe avec Sir Alexandre Spencer, et je l’observai, impressionné par la froideur calculée avec laquelle elle gérait la situation. Elle passa alors le téléphone au maire, qui pâlit en entendant les instructions de Spencer. En quelques instants, il se mit au garde-à-vous, recevant les ordres avec une docilité qui révélait à quel point il venait d’être mis en ligne.
Le reste de la journée se déroula dans une étrange quiétude. La milice locale monta la garde, disposée selon les conseils de Wicasa Ska, tandis que nous attendions l’arrivée de notre transport. Enfin, à la tombée du jour, un dirigeable aux couleurs du GHQ se posa devant nous. Les quatre bandes rouges, vertes, noires et bleues frappées du doublixe blanc nous rassurèrent enfin. C’était la fin de cette épreuve.
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 9

**Journal de Fang Yüan – 9 octobre 1024**

Shironaka le 9/10/24


Il est rare que je ressente un tel mélange de fierté et de dégoût en repensant aux événements récents. L’évasion de cette prison secrète a éveillé en moi des sensations oubliées, celles de la survie brute, d’un combat presque primitif contre l’injustice et l’ennemi invisible. Ils voulaient m’anéantir. Non seulement physiquement, mais psychologiquement. Me couper du monde, de mes compagnons, de ma mission. Pourtant, c’est précisément parce qu’ils ont tenté de me détruire que je me sens aujourd’hui plus forte que jamais.
Je repense à ce village, à ma tentative audacieuse de bluffer le maire et les autorités. Une opération risquée, mais parfaitement calculée. Ils ne s’attendaient pas à ce que je prenne les devants. Ils pensaient sans doute que la peur me paralyserait. Mais ils ont sous-estimé ma détermination. Je savais que je jouais gros, mais en voyant le planton trembler et l’appel passer, j’ai senti cette fierté familière, celle d’une victoire durement gagnée. C’était la première étape vers notre retour à la liberté, et maintenant, malgré la fatigue et les blessures, je suis plus motivée que jamais. Si notre propre camp se retourne contre nous, c’est que nous approchons de la vérité. Et je ne reculerai plus. Pas maintenant.
---
Le dirigeable aux couleurs du GHQ nous transporte en direction de l’Empire d’Orient. Ce voyage est étrangement paisible après l’agitation des derniers jours. Volkov, toujours calme, regarde l’horizon, tandis que Blake prend des notes sur les détails mécaniques du dirigeable. Wicasa Ska, Shaqa et Kaylor discutent à voix basse des événements récents, chacun à sa manière rassemblant ses forces. Quant à moi, je ne cesse de penser à l'étrangeté de cette mission, à nos ennemis invisibles et à ce qui nous attend dans ce nouveau pays.
Nous atterrissons sur une piste désertée, où notre propre dirigeable, "Le Robuste", nous attend. Sir Alexander, fidèle à lui-même, a orchestré son transport parallèle en toute discrétion. Retrouver notre appareil, si familier, est un réconfort inattendu. Nous l’abordons avec soulagement, chacun à sa place, prêt pour la prochaine étape de ce périple.
Après un court vol, l'Orient n'étant s'aparé de l'archipel Ilejonc que par un bras de mer, nous atterrissons à l'université de Shironaka*, où le professeur Shuji Nakamura nous accueille. Physicien renommé en matériaux, il est l’homme à qui nous devons poser la question cruciale : cet Anneau-Monde est-il naturel ?
"Non," répond-il sans hésitation, "cet Anneau ne peut être d'origine naturelle. J'ai étudié sa structure en profondeur, et aucun matériau connu sur Allyanse ne pourrait supporter les forces gravitationnelles exercées par un tel corps en rotation."
Blake, intrigué, interroge alors le professeur sur l’acier. "Acier ?" s’étonne Nakamura. "Nous avons bien tenté de combiner du fer avec du carbone provenant du bois, mais les résultats sont fragiles, trop cassants." Blake fronce les sourcils. "Vous n’utilisez que du charbon de bois ? Pas de charbon de terre ?"
"Charbon de terre ? Je ne connais que le bois. Il n'y a ni charbon de terre ni pétrole sur Allyanse," confirme Nakamura, confus.
- Mais avec quoi fonctionnent vos machines à vapeur, vos moteurs thermiques?- Du bois ou du charbon de bois pour les premiers, un mélange d'huile végétale et d'alcool pour les seconds.
Une lueur d'éclaircissement traverse le visage de Blake. "C'est ça," murmure-t-il. "Le Titanic... L'acier de sa coque s’est fissuré à cause du charbon de bois utilisé. C'est donc pour cela que l’acier ici est si rare. Sans charbon de terre, l’acier véritable n'existe pas sur Allyanse."
En retournant au dirigeable, je demandais à Philip N. Blake la raison de toutes ces questions, qui me semblaient de peu de rapport avec notre quête.
- Je suis surpris , me répondit-il par la technologie des civilisations de l'Anneau. Par certains traits, vous me semblez en avance sur la Terre. Sur d'autres très en retard. Cette histoire de disponibilité des matériaux me donne enfin une explication et me permet de mieux comprendre Allyanse.
Je regardais Weishan d'un air interrogateur.
- Oui, confirma t il, et je le ressens encore plus que Philip. Les 20 années qui ont passé sur Terre entre son départ et le mien ont été particulièremenr riches en nouveautés, toutes basées sur l'acier et le pétrole. Nous avions des avions si puissants que nous pouvions nous passer de dirigeables.
à la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 10)
Extrait de « Mes Combats - autobiographie de Shaka M'Baku»
parue aux éditions du balbuzard, à Yasebukhosini en 1056.
Shironaka, 10 octobre 1024


Nous venions à peine de regagner le dirigeable, et c’est là que le colonel Xue reçut un message codé de Sir Alex. Elle prit un moment pour le lire en silence, le visage impassible comme à son habitude, puis elle hocha légèrement la tête avant de déclarer :
« Allez vous reposer. Les pirates qui nous ont attaqués ont été capturés. Ils sont en cours d’interrogatoire, et il est préférable d’attendre avant de reprendre notre mission, le temps de s’assurer qu’aucun de leurs complices ne traîne encore dans les parages. »
Elle disait cela d'un ton neutre, mais mes sens guerriers n’étaient pas dupes. Il y avait sans doute plus dans ce message qu’elle ne le laissait paraître. Cependant, je ne voyais pas l’utilité de m'en soucier. Le fardeau de ces secrets appartenait à Mme Xue. Quant à moi, je devais veiller sur mes compagnons et assurer leur sécurité. Et puis, il y avait Femi qui m'attendait, et la soirée fut douce, la première où je pus réellement me détendre depuis notre passage à Cèdre.
Le lendemain, avec une journée de répit devant nous, nous décidâmes de visiter la ville de Shironaka. Une cité bien singulière, aux maisons de bois finement ouvragées. Les portes et fenêtres étaient remplacées par d'étranges tentures en papier translucide, une chose que je n'avais jamais vue ailleurs. La ville regorgeait de temples, leurs toits incurvés comme des cornes, et leurs jardins, des havres de paix, étaient soigneusement entretenus avec une précision quasi rituelle.
Dans l'enceinte d'un de ces temples se trouvait un jardin particulièrement magnifique. Des rochers disposés avec soin, des petits ponts arqués traversant des bassins remplis de poissons d’or, et les arbres, aux feuilles d’un rouge vif, se reflétaient dans l’eau comme dans un rêve. C’était là, dans ce cadre empreint de sérénité, que nous découvrîmes une bibliothèque. Blake et Li Weishan ne purent résister à l’envie d’y entrer.
Nous fûmes accueillis par un vieil homme dont la sagesse se lisait dans ses yeux plissés par le temps. C'est ici que je fis une erreur. Le protocole et les manières de mon pays, le LeKanda, sont très différents de ceux d’Allyanse, et encore plus de cet Empire d'Orient. Je me suis adressé à lui d’une manière qui, chez nous, aurait été un signe de respect, mais qui ici fut perçu comme une impertinence.
Je ne pouvais savoir que les salutations bruyantes et les poignées de main fermes n’étaient pas de mise. Je m’aperçus vite de la tension qui s'installait, les sourcils du vieil homme se fronçant, et je compris que quelque chose avait mal tourné. Les discussions devinrent tendues, à deux doigts de nous faire expulser de la bibliothèque.
Heureusement, Li Weishan et Xue Fang Yuan intervinrent rapidement. Ils rétablirent l’ordre avec une élégance que j’admirai en silence. Grâce à leur intervention, nous pûmes finalement pénétrer dans la bibliothèque sans autre incident. Là, Weishan et Blake se plongèrent dans d’épais volumes consacrés à la géographie d’Allyanse, tandis que chacun de nous trouvait une lecture à son goût, profitant du calme et de la tranquillité de ce lieu ouvert sur le splendide jardin.
Avec le recul, je souris à cette péripétie. Comment aurais-je pu savoir qu’un geste si banal pour un Kanda pouvait être perçu comme une offense ici ? C’est ainsi que l’on apprend à respecter les différences de chaque peuple, et c’est une leçon que je garderai toujours avec moi.
– A la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 11 )
**Carnet de Notes de Philip Nigel Blake**
**11 Octobre 1024 – Shironaka**

Toujours bloqués en Orient, je dois admettre qu’après tant de tumultes, la perspective d’une retraite paisible dans les sources chaudes de Shironaka s’annonçait comme une bénédiction. L’idée même de se plonger dans ces eaux naturelles, entourées de montagnes embrumées, semblait irréelle, presque tirée d’un rêve. Ce jour-là, Lien et moi étions accompagnés de Shaqa et Femi. La beauté des lieux était incomparable, un jardin de paix suspendu entre ciel et terre, loin du vacarme et des préoccupations de notre quête.
L’on nous indiqua l’onsen, ce bassin où les eaux chaudes jaillissaient des entrailles de la terre, formant un bain naturel d’une quiétude envoûtante. La pudeur initiale qui régnait entre nous fut bien vite dissipée, noyée dans la vapeur et l’atmosphère feutrée de l’endroit. Oh, je ne nie pas qu’un léger frisson d’embarras me parcourut à l’idée de me dévêtir entièrement en présence de Lien et des autres. Mais il y avait dans ce moment une sorte d’abandon à la nature, une pureté presque primitive.
Dans l’eau, nos corps se rapprochèrent par nécessité, la chaleur de l’onsen intensifiant une proximité déjà palpable. Le parfum de Lien, mêlé à l’air humide, éveillait des sensations étrangement délicieuses, des pensées que, par modestie, je garde pour moi. Je me surprenais à observer, avec une discrétion toute britannique, les éclats de rire discrets entre Femi et Shaqa, leurs gestes calmes et gracieux. Un moment suspendu, que l’on pourrait presque qualifier d’idyllique. Leurs mains, à demi plongées dans l’eau, se frôlaient, et je ne pouvais m’empêcher de remarquer la finesse des muscles de Lien sous la lumière tamisée du crépuscule. Une scène si naturelle, et pourtant, toute empreinte d’une sensualité qu’il serait inconvenant de développer davantage.
Soudain, une vibration à peine perceptible sous nos pieds m'arracha à mes rêveries. La terre semblait murmurer, un bruit sourd, comme un grondement lointain. Nous échangeâmes des regards inquiets. Un simple instant de silence avant que l’impensable ne se produise. Le sol sous la colline, légèrement en pente, se déroba avec un craquement terrifiant. Des rochers commencèrent à se détacher, roulant dangereusement vers l’onsen. L’eau bouillonnait autour de nous, transformant notre retraite paisible en une scène de chaos imminent.
Shaqa fut le premier à réagir. Avec une rapidité qui ne laissait aucun doute sur ses talents guerriers, il se leva d’un bond, attrapant Femi par la main pour la tirer hors du bassin. « Sortez de là ! » s’écria-t-il. Il semblait presque déplacer l'air autour de lui, tant son énergie était palpable. De mon côté, je me saisis de Lien avec un calme que je n’aurais moi-même pas anticipé. Pas de panique, pas de peur. Juste l’urgence de l’instant.
L’eau éclaboussait autour de nous, rendant le sol glissant, mais Lien, agile comme une panthère, bondit hors du bassin. Nous nous précipitâmes vers un endroit plus sûr, loin de l’éboulement, tandis que Shaqa déviait de son bras massif un rocher qui menaçait de nous atteindre. L’agilité de Femi, que j’aurais pu penser fragile, s’avéra tout aussi impressionnante. Elle escalada les rochers avec une aisance digne d’un félin, ses mouvements aussi précis que ceux de Shaqa. Quant à Lien, je n’eus pas de doute sur ses capacités : en un instant, elle avait analysé la situation, repérant la sortie la plus rapide, sa main guidant la mienne avec une fermeté inattendue.
Je dois dire que ce qui me surprit le plus, ce n’était pas l’accident en lui-même, bien que tout à fait impressionnant, mais la réaction de mes compagnons. Il ne s’agissait pas seulement de chance. C’était comme si, dans l’urgence, chacun d’eux savait instinctivement quoi faire, quels gestes adopter. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il y avait bien plus chez Lien que cette douce spécialiste de la navigation aérienne que j’avais appris à aimer. Derrière ses traits délicats, une force cachée, une habitude des situations périlleuses.
Essoufflés, mais sains et saufs, nous nous retrouvâmes à l’abri, loin du bain dévasté. La vapeur de l’onsen, encore visible derrière nous, se dissipait lentement, comme une illusion qui s’efface. Le cœur battant, je jetai un coup d’œil vers Shaqa et Femi. Leur complicité, renforcée par l’épreuve, était évidente. Quant à Lien, elle se contenta de sourire, posant une main rassurante sur la mienne. « Eh bien, voilà une aventure que nous n’oublierons pas de sitôt », murmurai-je, cherchant à ramener un peu de légèreté.
Décidémment même quand nous nous pensions à l'abri du danger que nous faisaient courir ses habitants, et malgré l'absence de volcans et de tremblements de terre proprement dit, cet Anneau-Monde récélait ses propres dangers. Et la couche de terrain qui garnissait la structure artificielle dont nous avaient parlé le Professeur Nakamura avait ses propres pièges.
---épisode 12 – A la recherche de la Route des Souvenirs
Solara Bay, 12 octobre 1024

**Extrait de L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux**
**Chapitre XL : surprises au Hopeland**


Le 12 octobre, l'équipe atterrit à Solara Bay vers midi, juste à côté du prestigieux campus de la Solara Bay Hopeland University (SBHU). Dès leur arrivée, l'ambiance contrastait fortement avec ce qu'ils avaient connu dans le reste de Phenixia. Le soleil baignait le campus d'une lumière éclatante, et une brise légère portait des parfums de fleurs exotiques et d'océan.
Li Weishan, habituellement si calme, ne pouvait s’empêcher d’observer les étudiants et les professeurs, fascinés par la diversité de ce peuple. Ils passaient devant un professeur, assis en tailleur sous un grand arbre, donnant son cours à des étudiants éparpillés dans l'herbe, chacun vêtu avec un style aussi varié qu’improbable. L’un portait un manteau en peau synthétique d’un bleu criard, avec des lunettes de réalité augmentée dont l’écran projetait des formes géométriques. Une autre étudiante arborait un tatouage lumineux qui changeait de couleur au rythme de ses mouvements de surf sur un hoverboard miniature. Un troisième, coiffé d’une crête fluorescente, écoutait attentivement en jonglant avec des orbes en suspension dans l’air.
Après avoir traversé le campus, ils arrivèrent devant le grand laboratoire de xénobiologie, un immense bâtiment blanc qui scintillait sous le soleil. À l’intérieur, tout était d’une propreté presque clinique, avec des rangées de microscopes et de paillasses impeccablement alignées. Quatre chercheurs travaillaient en silence, concentrés sur leurs observations microscopiques, ignorant l’arrivée de nos aventuriers.
Le professeur Steven Brenner les attendait au fond de la salle, mais son apparence surprit immédiatement Li. Loin de l’image académique attendue, Brenner portait un short de sport usé, des sandales à peine accrochées à ses pieds, et un haut de basket aux couleurs de l’université, décoré d’un ours en pleine action. Sa barbe était négligée, et ses lunettes tenaient à peine grâce à un morceau de scotch. Il ressemblait plus à un étudiant rebelle qu’à un expert mondial.
Brenner leur adressa un large sourire et commença à parler dans une langue que Li identifia comme proche du Westlandais, mais même Blake, avec son oreille fine pour les nuances linguistiques, ne comprenait qu'un mot sur deux. Rapidement, ils passèrent à un argot hybride, mélangeant expressions modernes et familières, facilitant ainsi leur échange.
Dans un dialogue vif, Brenner exposa ses théories. Selon lui, la vie sur l’Anneau-Monde était récente, bien trop récente pour s’être développée naturellement ici. Il pensait que tout, du plus petit microbe à l’humain, avait évolué ailleurs, dans des systèmes solaires lointains, avant d’être implanté sur l’Anneau.
Il ne lui donnait pas plus de cinquante mille ans alors que selon lui
- « D'après ce que j'appelle l'horloge moléculaire la vie existe depuis plusieurs millions d'années peut être même un milliard d'années a t il été nécessaire pour qu'elle atteigne une telle diversité."
"Vous voyez," dit-il en se grattant la barbe, "la structure même de cet Anneau est trop parfaite. Les journées, la gravité, l’atmosphère… Tout est trop bien réglé pour que ce soit un hasard. J’vous dis, ça a été construit pour abriter la vie, une vie qui a évolué ailleurs, sur des planètes dont les journées sont naturellement proches de celles de l’Anneau."
Li échangea un regard avec Blake, chacun comprenant la portée de cette révélation. Bien que la majorité des collègues de Brenner réfutent cette hypothèse, lui, en tant que génie autoproclamé, restait convaincu. Sa conviction venait des meilleurs instruments scientifiques à sa disposition, qui lui avaient permis d'examiner la vie sous ses aspects les plus infimes.
Les yeux de Li se posèrent sur une autre rangée de microscopes, son esprit en ébullition. Brenner leur révélait des vérités qui pourraient bouleverser toutes leurs connaissances sur l’Anneau-Monde.
En retraversant le campus vers leur dirigeable Philip dit à Wicasa Ska : "Sur terre a mon époque on venait juste de découvrir l'évolution et certains critiquaient encore cette théorie."
- "Chez moi, répondit le chasseur, On disait que la terre était éternelle mais que toute la vie était une seule famille. Je n'ai pas fait de grandes études mais ça prend son sens avec votre théorie."
- "Ce monde parait en avance sur le notre sur certains points même si ils n'ont ni pétrole ni charbon naturel je me demande a quelle date sommes nous réellement pour qu'ils aient pris tant d'avance en biologie ou en communication à distance peut être que bloqués par cette absence de matériaux, ils ont concentré leurs recherches ailleurs ?"
– A la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 13 )
**13 Octobre 1024 – en vol**
### Extrait des *Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla*, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia (Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)
#### Chapitre LIII : Le ciel menaçant

En quittant le Hopeland, les cauris de Shaqa nous avaient réservé une destination des plus éloignées : Greenice, terre de la météorologue la plus éminente de Phenixia, Sigurbjörg Finnbogadóttir. Le voyage s’annonçait long, mais je ne me doutais pas qu’il allait devenir plus périlleux que prévu.
Quelques heures après le décollage, un hoquet dans la progression du dirigeable attira mon attention. Peu après, je vis Volkov s’approcher de moi, l’air préoccupé.
« Kaylor, viens m’aider, vite ! »
Je sortis de la cabine de croisière où je me prélassais pour filer vers la salle des machines avec lui. Une fois arrivés, Volkov, le visage en sueur, peinait à soulever un levier imposant. Il me fit signe du menton de le prendre en main.
Sans poser de questions, je saisis le levier. Une pression colossale pesait sur lui, mais je compris immédiatement qu’il était vital de le maintenir relevé. Volkov hocha la tête et, dans un souffle, me glissa un « Spasiba bolchoï... Garde-le ainsi, surtout ne relâche rien avant que je te le dise, d’accord ? »
« Ok », répondis-je sobrement.
Ce n’était pas un grand effort pour moi. Après tout, nous, Têtes Plates, avons une force bien supérieure à celle des Têtes Rondes, même les plus robustes comme Volkov. Je restai ainsi, concentré, à maintenir la valve ouverte, pendant que Volkov, les sourcils froncés, s’affairait à réparer les dégâts.

Au bout d’un moment, Nathalie Arnaud, la capitaine du *Robuste*, fit irruption dans la salle, l’air préoccupé.
« Que se passe-t-il, Boris ? Nous perdons de l’altitude depuis l’impact. »
Volkov grogna : « La coque est percée, ainsi que le premier ballon. L’air fuit plus vite qu’il ne peut être regonflé. Heureusement que Kaylor tient la valve grande ouverte, sinon nous serions en chute libre. Mais le trou est énorme, j’ai du mal à colmater. »
« Qu’est-ce qui a bien pu percer la coque ? Ce n’était sûrement pas un oiseau... »
« J’ai vu des débris », répondit Volkov en grimaçant. « C’était un objet fabriqué.
je sais pas quoi, mais un truc fabriqué. J'ai vu des débris. Je répare d'abord et ensuite j'irais voir.
Pendant toute la conversation j'entendais le bruit caractéristique de l'air qui s'échape et les mains de Volkov qui tentaient en hâte de réparer.
Au bout de 30 minutes, mon bras commença à fatiguer et je changeai de bras. Mais mon bras gauche était moins fort, et l'effort devenait difficile. Je poussai un grognement.
« Ca va sorvanets ? » Cria Volkov« Ca va, mais je ne sais plus trop pour combien de temps » repondis-je« J'ai presque fini k schast'you ! »

De longues minutes plus tard, il dit enfin : « c'est bon, abaisse la manette doucement jusqu'à ce qu'elle se bloque d'elle même. »
Après avoir pris le temps de nous remettre de nos émotions nous faisions le point.
« Qu'est ce que c'était ? » demanda la Capitaine
« Un objet qui volait. Bien plus petit qu'un avion et sans pilote, mais un objet fabriqué par un humain.Trop amoché pour que je puisse dire ce que c’était exactement, mais il avait un moteur, un tout petit moteur. Jamais vu un truc pareil. »
« Moi si », intervint Lien Go, l’air pensif. « À l’école de pilotage, on construisait des modèles réduits d’avions, à l’échelle 1 pour 5. Mais jamais nous ne les avons fait voler à une telle altitude. »
Le débat fut coupé net par Femi, toujours pragmatique : « Peut-être s’est-il échappé de son propriétaire et est monté trop haut par accident ? »
Un silence se posa. Puis le colonel Xue, jusqu’alors muette, lâcha d’un ton lourd : « Ou alors c’était volontaire... »
Un frisson parcourut l’équipage. Nous avions déjà subi des attaques et un enlèvement, mais cette fois, ce n’était pas un combat. Et pourtant, nous avions frôlé la mort. Était-ce un simple accident ? Une maladresse ? Ou une nouvelle menace invisible qui planait au-dessus de nos têtes ?
Peu importe, jamais nous ne le sûmes.
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 14
**14/10/1024 en vol – Carnet intime de Fang Yüan**


Je suis dans ma cabine, le Northland est loin derrière nous, et pourtant, je sens encore le froid mordant de ce pays doublixe. Le paysage, aussi vaste que sauvage, me rappelle certains coins que j'ai visités dans des années plus insouciantes. Le vol reprend enfin. On m’a assurée que tout était en ordre, grâce à cet agent de Sir Spencer. Malgré cela, l’ennui m’envahit.
Je prends mes carnets, griffonne quelques notes distraites sur la collision du drone et la réparation du ballon. Mais déjà, mes pensées s’évadent. Elles trouvent invariablement leur chemin vers Li Weishan. Ce surnom de « Wicasa Ska »... Il lui va bien, je crois. Il y a une douceur dans la façon dont ces mots glissent sur ma langue. Je m’amuse, mais pourquoi ces pensées sur lui me reviennent-elles sans cesse ?
Il y a longtemps que je n’avais pensé à un homme de cette manière. Depuis Alex, depuis cette douleur qui ne s’est jamais totalement refermée. Je croyais que cette blessure me rendrait aveugle à tout le reste, et pourtant, voilà Weishan. Fort, si martial, avec cette indépendance que je trouve fascinante. Peut-être est-ce là ce qui m’attire. Je me demande... se pourrait-il que mes sentiments pour Alex m’aient empêchée de voir l’évidence ? Se pourrait-il que je ressente plus qu’une simple affection pour ce mystérieux Terrien ?
Je pense à nos moments partagés. Ce fut d’abord durant notre évasion – il était toujours là, calme, inébranlable. Puis, après les combats, quand il me regardait avec cette attention particulière. Ce n’est peut-être que mon imagination, mais je crois... oui, je crois qu’il y a quelque chose entre nous, un lien fragile, tissé dans l’urgence et la violence de notre aventure. Des petits gestes, des regards échangés... Est-ce suffisant pour espérer ?
Je me souviens d’un soir, juste après avoir échappé à une nouvelle attaque. Nous étions tous fatigués, mais Weishan, lui, semblait invincible. Il n'a jamais flanché, pas une seule fois. Il est resté à mes côtés plus longtemps que nécessaire, ses paroles mesurées, sa présence apaisante. Ce n'était rien de particulier, et pourtant... cela m'a touchée.
Je ris doucement en relisant ces lignes. Ai-je vraiment perdu l'esprit ? J'ai passé tellement de temps à me convaincre que plus rien ne comptait depuis Alex. Mais là, c'est comme si un voile s'était levé. Je pense moins à Alex, beaucoup moins. Et cela me surprend.
Peut-être que tout cela n’est qu’un songe. Peut-être que mes sentiments sont encore trop brouillés par la mission, par les dangers qui nous entourent. Mais pour l’instant, je me surprends à rêver de Weishan. C’est étrange de l’écrire, mais oui, il occupe mes pensées. Et c’est bien. Au moins, Alex ne s’y trouve plus.
à la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 15)
Extrait de « Mes Combats - autobiographie de Shaka M'Baku»
parue aux éditions du balbuzard, à Yasebukhosini en 1056.
Bjarkarstígur, Greenice, 15 octobre 1024


Le 15 octobre 1024, nous arrivâmes au Greenice, terre étrange et gelée. Cette région semblait avoir été façonnée par les forces élémentaires mêmes de l'Anneau, avec ses montagnes enneigées et ses océans gelés qui s'étendaient à perte de vue. Pourtant, l'accueil que nous réserva Sigurbjörg Finnbogadóttir, la météorologue la plus réputée de Phenixia, fut des plus chaleureux.
Lorsque je la vis pour la première fois, je fus immédiatement frappé par son apparence. Elle mesurait à peine 1m58 mais dégageait une présence imposante. Ses cheveux noirs coupés courts encadraient un visage au teint pâle, illuminé par des yeux d’un bleu perçant, presque glacé, en parfaite harmonie avec le paysage qui s’étendait derrière elle. Malgré sa stature, son port altier et son allure soignée faisaient d’elle une figure de respect. Elle portait un blouson de fourrure retournée, un pantalon de cuir et des talons aiguilles vertigineux de 12 centimètres qui contrastaient avec le sol enneigé. Une femme singulière, c'était le moins que l’on puisse dire.
Son bureau, situé dans une sorte de tour au bord de la mer gelée, était aussi minimaliste que lumineux. Le bois clair de son mobilier était verni et impeccablement rangé, un contraste frappant avec les paysages sauvages qu’elle étudiait. Sur un mur, des cartes climatiques détaillées couvraient toute la surface, tandis que les deux autres murs exposaient des photographies de régions aussi diverses que des jungles tropicales, des déserts brûlants, et des montagnes enneigées. Enfin, une immense baie vitrée offrait une vue imprenable sur un paysage de roches blanches et de neige, descendant en pente douce jusqu’à l'océan glacé. Ce panorama majestueux semblait refléter à la fois la nature de son travail et son tempérament de scientifique perfectionniste.
Lorsque Blake et Weishan se présentèrent comme des Terriens, je vis l’expression de Sigurbjörg se transformer. D'abord sceptique, elle ne pouvait cependant ignorer les détails précis sur les saisons et les climats qu'ils décrivaient. Chaque mot qu'ils prononçaient semblait éveiller en elle une curiosité grandissante. Jusqu'à ce jour, elle avait pensé que la Terre n'était qu'une légende, une histoire racontée aux enfants. Pourtant, à mesure qu’ils expliquaient les cycles climatiques terrestres, elle commença à entrevoir un lien entre ces récits et les phénomènes météorologiques qu'elle observait depuis des années sur Allyanse.
Elle posa des questions sans relâche, captivée par leurs descriptions. Elle voulait comprendre. Comment les courants marins, les vents et les cycles de saisons sur la Terre pouvaient-ils être si semblables à ceux d'Allyanse ? Cette ressemblance ne pouvait être une simple coïncidence, selon elle. Les réponses de Weishan et Blake semblaient l’éclairer sur des points auxquels elle n’avait jamais songé auparavant.
Xue Fang Yuan, fidèle à sa prudence légendaire, interrompit poliment pour rappeler à Sigurbjörg le but de leur visite. Mais la météorologue balaya la remarque d’un geste de la main, affirmant avec un sourire que tout cela était justement lié à la question centrale de son travail. Selon elle, les deux Terriens lui apportaient des indices sur des énigmes climatiques qu’elle n’avait jamais su résoudre. Elle avait passé des années à étudier les courants marins et les vents, à analyser les cycles de 360 jours qui se répétaient presque à l'identique chaque année. Mais là, devant elle, se tenait peut-être la réponse à cette régularité : Allyanse imiterait artificiellement la Terre.
C’est alors que Kaylor, qui avait écouté en silence jusqu’ici, intervint. « En fait, ce que vous dites, c’est que les climats d’Allyanse reproduisent artificiellement ceux de la Terre ? »
Sigurbjörg acquiesça avec un sourire approbateur. « Exactement, jeune homme. Sauf que, bien sûr, je ne peux me prononcer que pour la région que nous connaissons. L'Anneau est immensément plus vaste que la Terre, comme vous le savez. La zone étudiée, même avant l'Épidémie, est déjà bien plus étendue que celle de leur planète. Mais qu'en est-il des régions que nous ne connaissons pas encore ? Qui sait quels climats peuvent y régner ? »
J’étais resté silencieux jusqu’à ce moment. Observant par la baie vitrée, je ne pouvais m’empêcher de m’interroger sur cette neige qui semblait recouvrir chaque parcelle de terre. Était-il possible que la vie puisse persister dans de telles conditions ? Je posai la question à Sigurbjörg, qui éclata de rire.
« Cette neige n’est là que six mois par an, Shaka », répondit-elle. « Ce cycle me paraissait arbitraire jusqu’à aujourd’hui, mais maintenant, grâce à vos compagnons, je comprends qu’il suit un modèle précis. Celui de la rotation d’une planète sphérique inclinée sur son axe… la Terre. »
– A la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 16)
**Carnet de Notes de Philip Nigel Blake**
**16 Octobre 1024 – Landmannalaugar, Greenice**


Nous ne pouvions quitter Greenice sans visiter Landmannalaugar, ce nom signifiant « les bains chauds des gens du pays ». Les couleurs de ce lieu magique varient du noir au jaune pâle, du rouge au bleu, un festival minéral où le mont Brennisteinsalda et Bláhnúkur se détachent majestueusement. Des sources chaudes jaillissent ici, bien que l’origine volcanique semble absente. Comme en Orient, pensais-je, sans volcans visibles.
Je repensais à notre expérience dans un onsen, et j’hésitais à plonger à nouveau, mais cette fois, tout se déroula paisiblement. Nous étions tous ensemble, incluant l’équipage du Robuste, Nathalie et Volkov, et bien sûr, ma bien-aimée Lien Go. Mais la question me tourmentait encore : notre amour survivra-t-il à la fin de cette mission ? Peu importe. Je savourais chaque seconde de ce moment unique, cette eau à 33°C dans un paysage d’un blanc neigeux irréel.
À mesure que l’ombre s'étendait sur la plaine, l’« Arrière », comme on l'appelle ici, nous signala la tombée de la nuit. Après nous être séchés et emmitouflés dans des couvertures épaisses, nous avons rejoint Sigurd et Jón Ásbjörnsson pour un dîner en leur compagnie. Sigurd, cette petite femme pleine de vitalité, insista pour qu’on partage nos découvertes scientifiques autour de la table. Quant à Jón, grand et mince, une chevelure rousse flamboyante contrastant avec celle de sa femme, il était particulièrement fasciné par notre visite à SBHU, et surtout par les recherches du Dr Brennen. De fait, ils étaient tout deux passionnés par notre quête et nous n'avons vu aucun mal à en parler, du point de vue scientifique évidemment. Un regard oblique de Mme Xue m'arrêtant à temps au moment où j'allais parler des forces mystérieuses qui nous harcèlent tout au long de notre odyssée.
Le menu de la soirée était typiquement festif : nous avons dégusté du **plokkfiskur**, un ragoût crémeux de poisson, suivi d’un **hangikjöt**, de l’agneau fumé, accompagné de pommes de terre et de petits pois, avant de savourer des **kleina**, une pâtisserie croustillante, pour conclure le repas. Tout cela était accompagné de bières locales, robustes et fumées.
Jón, en plein milieu du repas, s’anima en entendant parler de nos cicatrices et tatouages disparus. « N’avez-vous pas demandé au Pr Brennen comment cela est possible ? » demanda-t-il avec un regard émerveillé. Nous n’avions pas songé à poser la question, mais son enthousiasme nous submergeait. Selon lui, chaque cellule du corps contient un code complexe, un potentiel inexploré pour recréer un individu entier.
« Mais comment pourrait-on faire cela ? » demanda Weishan, pensif. « Vous voulez dire qu’on pourrait copier ce code pour recréer quelqu’un ? »
Jón hocha la tête. « Théoriquement, oui. Le code génétique est un alphabet de quatre lettres. Nous savons le lire, grâce aux travaux du professeur Brennen justement, mais nous n’avons pas encore trouvé de stylo pour l’écrire. »
Je me suis alors exclamé, « Celui qui détient ce stylo, c’est Dieu, n’est-ce pas ? » Une hypothèse aussi terrifiante que fascinante.
Jón sourit, mystérieux : « Peut-être. Ou peut-être que dans cet Anneau, quelqu’un d’autre que nous l’a déjà découvert... »
Revenus au dirigeable, les pensées nous assaillaient. Nous sentions que nous étions tout près du but, et en même temps très loin. Le « comment » devenait de plus en plus clair. Quelqu’un avait prélevé notre « code Brennen » sur Terre, l’avait transmis sur Allyanse, où le mystérieux détenteur du « Stylo » nous avait réécrits. Mais qui ? Dans quel but ? Là-dessus, nous n’avions pas le moindre début de piste. Et ceux qui s’opposaient à notre quête ? Se pourrait-il qu’ils soient liés à ces « Dieux au stylo » ou simplement manipulés par eux ?
« Qui nous reste-t-il à rencontrer ? » demandai-je à Shaka.
« Von Siemens ? Un historien des technologies...
Mircea Romero, théologien et historien des religions...
Et Brian Clark : professeur en épistémologie, journaliste scientifique, et, à ses heures, auteur de romans de fantaisie scientifique. »
Weishan répondit dans un sourire : « Que de mots compliqués. J’ignore ce que la plupart signifient, j’espère juste qu’ils nous rapprocheront des réponses que nous cherchons. »
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 17

**Extrait de *L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux***
**Chapitre XLVI : Les émotions de Wicasa Ska**


Dans les cieux infinis d'Allyanse, le dirigeable *Le Robuste* fendait les nuages, traçant sa route vers le Bundesreich. Les vents glacés du Greenice s’étaient apaisés, mais au cœur de Li Weishan, un tumulte grandissait. Le regard perdu au-delà des voiles, ses pensées se tournaient vers Xue FangYuan, une femme qui, jusque-là, lui avait semblé aussi lointaine que les étoiles elles-mêmes.
Weishan, malgré sa force intérieure, n’avait jamais osé envisager l'idée qu'elle puisse s’intéresser à lui. FangYuan, avec sa noblesse et son éclat naturel, semblait appartenir à une autre sphère, intouchable. Il s’était longtemps résigné à admirer de loin son élégance froide, une barrière invisible se dressant entre eux, aussi solide que les remparts de la Grande Muraille. Elle aimait Sir Alex, cela ne faisait aucun doute. Il avait perçu cette affection sincère dans ses gestes, dans les ombres de ses paroles et même dans les moments silencieux qu'elle lui dédiait. Weishan savait que ces sentiments pour le grand général du GHQ Doublixe occupaient une place importante dans son cœur. L'idée qu'elle puisse l'aimer lui, un homme né d'un autre monde, n'avait jamais effleuré son esprit.
Mais depuis deux jours, quelque chose avait changé. FangYuan, d'ordinaire distante et réservée, semblait le regarder différemment. Il avait surpris ses yeux sur lui, non plus avec la froideur calculée qu'il connaissait si bien, mais avec une douceur nouvelle, presque imperceptible, comme si un voile se levait doucement. Weishan, dont le cœur battait au rythme d'une vie de chasseur discipliné, se demandait s'il n'était pas en train de se tromper, de projeter ses propres désirs dans ces regards furtifs. La réalité se dérobait devant lui comme une rivière au courant changeant.
Cette pensée le troublait. La culture qui l’avait forgé enseignait la retenue, le respect des hiérarchies, des distances sociales. FangYuan, femme éduquée et raffinée, semblait appartenir à un monde où il n’avait pas sa place. Weishan ressentait encore cette barrière de caste, un sentiment ancré dans les profondeurs de son être. Lui, homme simple, nourri par les traditions des plaines et les lois du combat, se sentait inférieur devant elle, presque indigne de sa considération.
Toutefois, les pensées d’un homme peuvent être comme le vent sur les montagnes : incontrôlables et imprévisibles. Plus il tentait de raisonner, plus il s’interrogeait sur ces petits changements qu'il avait remarqués. Était-ce une simple illusion ? Ou FangYuan avait-elle véritablement changé d’attitude ? Weishan n’était pas dupe. L’amour est souvent voilé de mystère, mais il est également profondément logique dans ses contradictions. Et pourtant, une part de lui ne pouvait s’empêcher de ressentir une lueur d’espoir.
Le héros au cœur pur, toujours en quête de justice et de vérité, se trouvait cette fois-ci face à une énigme bien plus complexe que les dangers de l’Anneau : les émotions humaines. Chaque regard qu’elle lui adressait était scruté avec une attention extrême, chaque sourire analysé. Avait-elle souri un peu plus longtemps que d’habitude ? Son ton n’était-il pas plus doux aujourd’hui ?
Le doute s’insinuait en lui tel un serpent dans l’herbe haute. Il se demandait sans cesse s'il ne prenait pas ses désirs pour la réalité. Peut-être que la fatigue du voyage ou la proximité dans le dirigeable créaient des illusions. Peut-être que, dans son esprit troublé, FangYuan ne cherchait qu’à le consoler de ses propres peines. L'amour non partagé peut être cruel, et Weishan se refusait à souffrir d'un mal imaginaire. Pourtant, cette distance qu’il avait toujours maintenue semblait se rétrécir. Et si elle l’aimait, elle aussi ? Ce rêve était-il si insensé ?
Mais Weishan savait qu'il ne devait rien précipiter. Les eaux du fleuve de l’amour sont tumultueuses et profondes, et un chasseur avisé sait que l’impatience peut causer des erreurs fatales. Alors, il attendrait. Il observerait encore, attentif aux moindres signes, laissant FangYuan se dévoiler à son rythme, comme une fleur émergeant doucement à l’aube.
Bercé par le ronronnement des moteurs, Wicasa Ska se laissa glisser dans un sommeil où le bruit se transorma en galop de bisons, de chevaux, en vent des Grandes Plaines du Yinchokta, sa nouvelle patrie.
– A la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 18)
**187 Octobre 1024 – Dreiwasser**
### Extrait des *Souvenirs de Kaylor Torg-Eyla*, doyen de l'Université Nationale d'Atavisia (Presses Universitaires d'Atavisia, 1061)
#### Chapitre LIII : Le ciel menaçant

Le 18 octobre 1024, nous atterrîmes à Dreiwasser, une cité éclatante du Bundesreich. Apprenant que le Pr von Siemens ne pourrait nous recevoir que le lendemain, Mme Xue nous libéra pour la journée. Philip N. Blake et moi avions choisi de nous promener dans cette ville où chaque rue semblait exhaler l’ordre et la précision, ce qui fascinait Blake. Peu après avoir erré dans les ruelles, nous découvrîmes un garage inhabituel, surplombé par une enseigne frappée du nom d'Ernest Friderich. Ce lieu attira immédiatement l’attention de mon compagnon.
Blake s’arrêta net, les yeux brillants, comme s’il venait de trouver un trésor. Une automobile, plus petite et plus basse que celles de son époque, trônait au milieu du garage. Le moteur était disposé à l’arrière, chose que même moi, qui découvrais ces engins pour la première fois, trouvais étrange. Autour du véhicule, deux hommes en salopettes s’affairaient, discutant en Bundesreichien.
Soudain, un bruit de métal retentit. Un outil chuta lourdement au sol, suivi d’un juron que Blake, en bon Terrien, reconnut aussitôt. « Nom d’une pipe en bois », hurla l'un des mécaniciens dans un Francien surprenant pour ce lieu si feutré. Blake, intrigué, ôta sa casquette avec une révérence solennelle et s’approcha.
— « Excusez-moi, monsieur, mais… seriez-vous Ernest Friderich, le pilote parisien de Bugratti ? » demanda-t-il en francien.
L’homme leva des yeux surpris vers Blake, sa main toujours posée sur l'outil qu'il venait de ramasser. Son visage s’éclaira soudain d’une reconnaissance familière.
— « Vous êtes Terrien ? », répondit-il avec un mélange de surprise et d’excitation.
En une fraction de seconde, les deux hommes, unis par une nostalgie partagée, se tombèrent dans les bras. Leur échange, passant rapidement du francien à une langue plus archaïque que je devinai être du francien terrestre, me laissa perplexe. Pourtant, je comprenais assez pour saisir l’essentiel : Friderich et Blake se demandaient s’ils avaient rencontré d’autres Terriens ici, dans cette vaste terre d’Allyanse.
Blake invita Friderich à l’auberge où nous devions retrouver nos compagnons, afin qu’il rencontre Wicasa Ska, l'autre Terrien de notre groupe. Friderich accepta sans hésiter.
Alors que nous quittions le garage, Blake, empli d’un enthousiasme juvénile, entreprit de m’expliquer le fonctionnement des automobiles. Il me décrivit ces machines comme des œuvres d’ingénierie fascinantes, alimentées par des moteurs à combustion, où la puissance se mesurait en chevaux. Il m’expliqua que sur Terre, c’était un sport réservé aux riches, mais qui attirait des foules nombreuses, avides de voir ces bolides fendre l’air à des vitesses vertigineuses. Blake évoqua la notoriété de Friderich dans les cercles automobiles de son époque, rappelant des articles qu’il avait lus dans les journaux, notamment sur sa participation aux 500 miles d’Indianapolis.
Le soir venu, Friderich se présenta à l’auberge, où il fit connaissance avec l’ensemble de notre groupe. Xue, Li et Blake l'interrogèrent sur ses souvenirs de la Terre. Il se souvenait clairement de sa vie jusqu’à l’âge de trente ans. Comme l'avait dit Blake, il avait participé à des courses automobiles, et fut étonné que Blake se souvienne de lui avec autant de précision. Leur discussion se prolongea sur ses conditions de transfert. Contrairement à Blake et moi, qui étions sur le point de mourir au moment de notre transfert vers Allyanse, Friderich s’était endormi paisiblement lors d'une permission en 1916, loin du front, pour se réveiller en 990, rajeuni de dix ans, sans les cicatrices de ses accidents. Il s'était rapidement intégré au monde d'Allyanse, devenant mécanicien chez DAMS, une écurie de course aujourd'hui disparue. Puis, il avait monté ce garage au Bundesreich dont il pratiquait la langue car d'origine « Alsacienne » ce qui sembla suffire pour Blake.
Quand Xue lui proposa de se joindre à notre quête, Friderich refusa poliment. Malgré son apparence rajeunie, il se sentait profondément lié à son métier et à ses souvenirs, dont la majorité appartenait à ce monde. Il aimait son travail, préparant des voitures pour les riches pilotes du championnat de Phenixia. La saison de course venait à peine de se terminer, et il souhaitait se consacrer à la construction de son prochain bolide gagnant.
Avant de nous quitter, Friderich nous fit promettre de le tenir au courant de nos découvertes, tout en affirmant qu'il serait toujours à notre disposition si nous avions besoin de lui. Blake, en particulier, promit de revenir le voir sur les pistes de course, où l’ancien pilote espérait un jour lui montrer l'étendue de son savoir-faire.
À la recherche de la Route des Souvenirs Chapitre 19
**Carnets de FangYuan, 19 octobre 1024**
Dreïwasser - Bundesreich
- Werner von Siemens Historien des technologies, conservateur au BundesReich Museum


Ce matin, nous avons été reçus au Bundesreich Museum de Dreiwasser par le Professeur von Siemens. Un homme d’une grande stature intellectuelle, il ressemble à ces anciens savants que l’on imagine toujours dans les ouvrages de vulgarisation scientifique. Ses cheveux, légèrement grisonnants, flottent autour de son visage apaisant et sage, et ses yeux scintillent d'une vivacité teintée de curiosité. Sa voix est douce, presque mélodieuse, comme celle d'un conteur de secrets universels.
Shaka, fidèle à son habitude, lança la première question. Toujours à l'affût des mystères qui régissent notre quête, il demanda directement :
— Professeur, dans vos recherches, avez-vous trouvé des traces de civilisations technologiquement avancées sur Allyanse ? Des traces qui pourraient expliquer ce que nous vivons ?
Le professeur resta pensif un instant avant de répondre, pesant chaque mot avec une gravité mesurée :
— Vous touchez à un sujet délicat, mon cher. Il y a effectivement des artefacts, des constructions et même des concepts dans les anciennes civilisations d'Allyanse qui suggèrent une compréhension du monde bien au-delà de ce que nous avons actuellement. Mais la question qui reste, et qui semble vous troubler, n'est pas tant de savoir s'ils ont existé, mais ce qu'ils sont devenus. Et surtout, pourquoi n'ont-ils pas laissé de technologie explicite, à part quelques bribes. Ce que vous cherchez, si j'ai bien compris, pourrait bien être... disons, caché dans les interstices des époques.
Ensuite, ce fut au tour de Li Weishan, calme et réfléchi. Son intérêt, toujours orienté vers les philosophies et la spiritualité, fit de sa question un chemin plus métaphysique :
— Pensez-vous que ces anciennes civilisations comprenaient le lien entre la conscience et la matière, comme certains savants de la Terre l'ont tenté ?
Von Siemens sourit doucement et répondit :
— C’est une hypothèse fascinante. Il est possible que les anciens aient perçu des connexions subtiles que nous ignorons encore. Cependant, nous n'avons jamais réussi à démontrer une corrélation directe entre la conscience et la technologie, pas plus sur Terre qu’ici. Mais si ce que vous suggérez est vrai, alors vous devriez chercher non pas dans les machines, mais dans l’essence de ce que signifie être en vie, d’un point de vue holistique. Cela rejoint certaines des idées en cours dans les théories de la téléportation quantique de l’esprit.
C’était alors à Blake de poser sa question, celle d’un homme pragmatique, lié à la mécanique du monde réel.
— Professeur, avez-vous des indices sur comment cette technologie pourrait fonctionner concrètement ?
Von Siemens répondit, son regard se posant sur la silhouette de Blake :
— Il y a des mécanismes que nous soupçonnons liés aux champs électromagnétiques avancés, mais rien de ce que nous possédons actuellement ne pourrait le prouver. Néanmoins, des témoignages anciens mentionnent des moyens de communication et de déplacement à travers des dimensions ou des zones d’existence que nous ne comprenons pas encore pleinement.
Enfin, je sentis que c’était à mon tour. Je fus plus directe, cherchant à savoir si ces découvertes allaient nous rapprocher de notre but.
— Tout ce que vous dites nous intrigue, Professeur. Mais ces avancées, ces technologies cachées, pourraient-elles expliquer notre présence ici, en tant qu'humains, et plus particulièrement pour nos deux amis ayant conservé des souvenirs de la Terre?
Il prit un moment avant de répondre, presque comme s'il évaluait la portée de ses mots.
Ce que je peux vous dire, chère Xue FangYuan, c’est que toutes les avancées que nous avons trouvées ne sont que des fragments. Des fragments d’une immense mosaïque. Il vous appartient de découvrir comment ces fragments s’assemblent.
à la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 20)
Extrait de « Mes Combats - autobiographie de Shaka M'Baku»
parue aux éditions du balbuzard, à Yasebukhosini en 1056.
Train inter-Etats BundesReich-FCI, 20 octobre 1024

Le 20 octobre, alors que nous nous apprêtions à quitter le Bundesreich pour l’État de Rum, une tempête se leva soudain, empêchant notre dirigeable de décoller. Une attente de plusieurs jours nous fut imposée, mais Xue, avec son pragmatisme habituel, choisit de poursuivre le voyage par voie terrestre. Nous prîmes donc le train, une expérience nouvelle pour la plupart d’entre nous, à l’exception de Xue, toujours en avance sur tout.
Je me séparai à regret de Femi, tout comme Blake se sépara de Lien Go, mais le devoir primait sur tout. Ce fut pour moi l'occasion d'observer mes compagnons dans ce moment de transition. Kaylor, toujours curieux, observait avec fascination le fonctionnement du train. Un sourire en coin, je constatai que même Weishan et Blake, si posés d'habitude, semblaient impressionnés. Ce train, pourtant fait de bois et roulant à une vitesse tranquille, leur évoquait des souvenirs différents. Je les entendais murmurer sur l’incroyable silence de ce moyen de transport, bien loin de ce qu’ils connaissaient sur Terre. Cette électricité qui propulsait le véhicule sans bruit paraissait leur échapper. Pour ma part, l’idée même que ces Terriens puissent s’étonner de choses aussi simples me laissait perplexe, mais je me contentai d’observer, fidèle à mon tempérament.
Les paysages que nous traversions par la fenêtre s’étendaient comme des tableaux vivants, tantôt des plaines ondulées, tantôt des vallées profondes où les rivières coulaient paisiblement. Les collines verdoyantes faisaient place à de majestueuses montagnes. Des ponts de bois s’élançaient entre des pics rocailleux, et nous traversâmes des tunnels obscurs qui semblaient déchirer la terre elle-même. La nature imposait son rythme, et nous suivions, simples passagers sur cette longue route. À chaque virage, de nouveaux horizons se dévoilaient, et même les plus endurcis d'entre nous ne pouvaient rester indifférents à cette splendeur.
Weishan et Fang Yüan s’étaient installés l’un en face de l’autre. Je les observai du coin de l’œil, et il était difficile de ne pas remarquer cette tension subtile entre eux, cette danse muette d’émotions à peine voilées. Weishan, si habile avec les mots et les stratégies, semblait démuni face à la présence de Fang Yüan. Quant à elle, son regard de jade perçait l'âme, comme si elle portait en elle les secrets des étoiles elles-mêmes. Mais malgré cette proximité, le silence persistait, chacun respectant les barrières invisibles qu’ils s’étaient eux-mêmes imposées.
Le train, avançant à sa cadence régulière, nous conduisit bientôt dans des contrées plus froides, où l’air se chargeait de cette humidité qui précède l’hiver. De hauts sommets enneigés nous saluaient au loin, et la lumière pâle du jour se reflétait sur ces cimes blanches. Plus nous approchions de notre destination, plus le paysage devenait hypnotique. La plaine laissa place à des étendues vastes et majestueuses, où le Danube serpentait paresseusement à travers des terres fertiles.
Peu à peu, le rythme du train et la beauté du paysage eurent raison de mes pensées. Je me surpris à m’assoupir, bercé par le mouvement doux du wagon. Dans cet état de demi-conscience, mes pensées s’envolèrent vers Femi. Elle me manquait déjà, et je me demandais ce qu’elle faisait à cet instant précis, dans cette ville que nous avions quittée. Mes paupières devinrent lourdes, et avant de sombrer dans le sommeil, je me laissai envahir par un sentiment doux-amer, cette distance qui nous séparait, mais aussi l’espoir de la retrouver bientôt.
– A la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 21)
**Carnet de Notes de Philip Nigel Blake**
Train inter-Etats BundesReich-FCI, 21 octobre 1024

Le train glisse silencieusement sur les rails de bois, à peine un murmure dans l'air. C'est cette absence de bruit qui me surprend le plus. Sur Terre, nos trains rugissaient de vapeur, les machines grondant comme des bêtes, alimentées par le charbon qui noircissait le ciel et nos mains. Ici, rien de tout cela. Les ingénieurs d'Allyanse ont trouvé une autre voie, utilisant l'électricité et des rails en bois. C'est moins rapide, bien sûr, mais la douceur du mouvement a un certain charme. Peut-être ont-ils pensé à préserver leurs forêts, plutôt qu'à les abattre pour alimenter ces trains. Sans charbon, sans acier, c’est une solution ingénieuse, même si je doute que ce bois supporte des vitesses plus grandes.

À travers la fenêtre, les paysages changent en douceur. Des plaines fluviales s’étendent, puis soudain, les montagnes se dressent, majestueuses et silencieuses. Un monde plus paisible, semble-t-il, que le nôtre, moins gourmand en ressources destructrices. Ce soleil immobile, au zénith permanent, dessine un tableau étrange. Le ciel ne change jamais de teinte, comme s'il était figé dans un éternel après-midi. Je m’étonne des canopées en forme de parasol, des arbres qui se battent pour chaque rayon de lumière. En bas, leurs feuilles sont condamnées à l’ombre. Sur Terre, nous avions nos propres luttes pour la lumière, mais ici, la nature semble s’y être résignée. Tout est différent, mais pas désagréable.

Kaylor me tire de ma rêverie avec ses questions incessantes sur la Terre. J'y réponds volontiers, car cela m'évite de trop penser à ce que j'ai laissé derrière moi. Il est fasciné par nos vieilles machines à vapeur, les automobiles bruyantes, et la fureur de nos grandes villes. Je me surprends à regretter ces aspects de mon monde, alors même que je commence à accepter la beauté et la logique de celui-ci.
– A la recherche de la Route des Souvenirs (épisode 22)
**Extrait de *L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux***
**Chapitre XLIX : Raprochement**


Le train poursuivait son avancée silencieuse à travers les montagnes, tandis que le paysage se déployait autour de Fang Yüan et Weishan comme un voile délicatement soulevé. Deux jours s'étaient écoulés depuis que leurs chemins s’étaient croisés plus profondément dans l’intimité. Dans ce compartiment presque isolé, bercé par le cliquetis des roues sur les rails de bois, ils avaient laissé tomber les masques de leur quête effrénée, profitant du répit que ce voyage imposait.
Weishan, toujours aussi taciturne, observait Fang Yüan avec une attention inhabituelle. Les paroles semblaient venir plus facilement aujourd'hui. Elle, avec sa sagesse héritée des maîtres, dégageait une sérénité qui attirait son regard. Leurs conversations, d'abord faites de bribes sur les grandes idées philosophiques de leur monde, étaient devenues plus personnelles.
"Tu sais," commença-t-elle doucement, ses yeux fixant un point invisible par la fenêtre, "il y a longtemps, avant que je ne quitte Kun-Zhou, j'étais imprégnée des enseignements de maître Kong. On dit ici aussi que ses préceptes guident nos vies, même si l’écho de ses paroles est différent."
Weishan hocha la tête, ses yeux brillants de curiosité. Il comprenait ce lien profond qui la rattachait à sa culture. Dans ce monde si différent, il retrouvait une part de lui-même à travers elle.
"Chez moi," murmura-t-il, "je ne pensais qu’à survivre. Mais avant que la guerre ne me vole ce qui restait de mon innocence, je vivais selon ces mêmes principes. Le respect des anciens, l’harmonie avec la nature… Tout semblait pourtant si éloigné quand la guerre nous a frappés." Il soupira, fermant brièvement les yeux, comme pour repousser un souvenir trop douloureux.
Elle l’écouta en silence, touchée par la mélancolie qui imprégnait ses paroles. Fang Yüan sentait que sous ses airs de guerrier redoutable, se cachait un homme rongé par un passé qu’il peinait à partager. Peu à peu, dans ces dialogues entrecoupés de silences, ils découvrent qu'ils ont beaucoup plus en commun que leur quête sur Allyanse. Tous deux portaient sur leurs épaules le poids d’un devoir inéluctable, mais aussi celui de la solitude.
Weishan se tourna vers elle, son visage durci par les batailles s’adoucissant légèrement. "Il y a quelque chose de fascinant ici," dit-il, d'une voix à la fois mystérieuse et confiante. "La Terre a laissé son empreinte, même si nous sommes si loin d'elle. Ce que tu me dis sur les enseignements de Kong existe aussi dans des états comme la Trysommie ou le Kun-Zhou en Phénixia."
Fang Yüan acquiesça lentement, son regard plongé dans le sien. "C’est étrange, n’est-ce pas ? Comme si ce monde avait absorbé des morceaux de notre passé, pour les modeler à sa manière." Elle sourit avec une tristesse douce. "Peut-être est-ce pourquoi je me sens un peu chez moi ici, malgré tout."
Leurs discussions glissèrent sur des sujets plus intimes. Weishan évoqua la douleur de la guerre, sans entrer dans les détails, Fang Yüan, elle, dévoila certains de ses rêves perdus. Ensemble, ils découvraient que leur cœur avait des cicatrices semblables, mais aussi une force commune. Le Tao, la philosophie qui imprégnait leurs pensées, les reliait d’une manière inéluctable.
"Le Tao nous enseigne que tout est éphémère, que même nos souffrances sont des vagues passagères," murmura-t-elle, son visage se rapprochant doucement de celui de Weishan. "Mais parfois, je me demande si les cœurs humains peuvent réellement lâcher prise."
Weishan, qui avait jusqu’alors évité le moindre contact trop proche, sentit cette barrière entre eux s'effriter. "Peut-être que dans cet éphémère, il y a des moments qui comptent plus que tout."
Leurs yeux se croisèrent, et pour la première fois, Weishan perçut une lueur qu’il n’avait jamais vue dans ceux de Fang Yüan. La distance entre leurs visages se réduisait, leurs respirations devenaient presque synchronisées. Le silence s'installa dans le compartiment, plus lourd que jamais, alors qu’ils se penchaient l’un vers l’autre.
Juste au moment où leurs lèvres allaient se frôler, une secousse interrompit leur élan. La porte du compartiment s’ouvrit avec fracas. Un bruit annonçant leur arrivée. Le train ralentissait à l'approche de Valea Seaca, la capitale du FCI-Rum, cette cité mystique de pierres sombres qui les attendait, avec son histoire cachée et ses secrets profonds.
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 23

**Mémoires de Kaylor Torg-Eyla, Doyen de l’Université d’Atavisia**


Dans un recoin de l'immense bibliothèque de l’université, nous sommes reçus par le professeur Mircea Romero, un éminent historien des religions. Cet homme de stature moyenne, aux cheveux bruns devenus gris avec l’âge, porte des lunettes fines qui accentuent l’acuité de son regard perçant. Son style vestimentaire, sobre et élégant, reflète son statut de professeur et de chercheur chevronné.
Je ne connaissais presque rien aux religions des Têtes Rondes avant cette rencontre. Il y a à peine quelques semaines, ce terme m'était encore étranger. Chez nous, les Têtes Plates, le monde des esprits se mêle naturellement à celui du tangible. Nous interagissons avec eux de manière spontanée, sans les distinguer d’un plan séparé.
Blake, pour sa part, était fasciné par ces questions. C’est lui qui prit la parole après les présentations d’usage, initiées par Xue Fang Yüan.
« J’ai été très surpris, à Koule, d’apprendre qu’il existait un pape catholique sur Allyanse, comme sur Terre, ma planète d’origine. Les religions d’Allyanse ont-elles des liens avec la Terre ? »
Un sourire calme illumina le visage de Romero, ses yeux s'animant d’une lueur de malice. Il poussa un long soupir avant de répondre.
« Mais bien sûr ! Presque toutes en parlent ! Surtout les religions du Livre, comme le christianisme, qui connaît ici une immense variété de branches. Pour l’anecdote, il y a probablement plus de papes ici, chacun prétendant être le véritable successeur de Saint Pierre, que de religions non abrahamiques dans tout Phenixia, et peut-être même sur l'ensemble de l'Anneau. »
Il fit une pause avant de continuer.
« J’appelle abrahamiques les trois grandes branches du monothéisme centré sur Yawhouh, qui partagent un tronc commun dans un livre que toutes révèrent. Le Tanakh, c’est ainsi qu’on l’appelle ici, regroupe trois sections majeures : la Torah (la loi), les Nevi’im (les prophètes), et les Ketouvim (les écrits). Ce texte, vénéré par nombre de nos ancêtres, a souvent été attribué à des sages qui affirmaient venir de la Terre. Leur capacité à réciter ces écrits par cœur, alors qu’ils vivaient dans des régions très éloignées et sans contact entre eux, a longtemps été considérée comme miraculeuse. Le Livre du débarquement, à l'origine, était, je le pense, une tentative pour expliquer notre transfert sur cet anneau monde.»
Xue hocha la tête, visiblement d’accord. Blake reprit la parole :
« J’ai entendu parler de ce Livre du Débarquement, mais n’étant pas sur Allyanse depuis très longtemps, pourriez-vous m’en dire plus ? »
Le professeur Romero semblait ravi de cette question.
« Ah, vous êtes vraiment un Terrien, alors ? Je n’avais jamais rencontré quelqu’un conservant un tel souvenir de ses origines. Le Livre du Débarquement est une légende, ou plutôt un récit fondateur, qui s’est cristallisé au cours des cinq premiers siècles de l’Ère du Débarquement, notre point de départ pour la datation. Les plus anciens manuscrits que nous possédons datent de l’an 120, et la première copie complète apparaît autour de l’an 450. Ce texte, bien que largement imaginaire à mon sens, tente d’expliquer notre arrivée sur cet Anneau-Monde. »
Blake s’enquit : « Et d’où viendrait ce vaisseau dont vous parlez ? »
« De la Terre, évidemment ! » répondit Romero. « Tout comme de nombreux sages religieux, qui, comme vous, affirment se souvenir d’y être nés avant de se réveiller sur Allyanse. »
Xue intervint à ce moment : « Vous voulez dire que l’origine terrienne de l’humanité est connue de tous ici ? »
Romero secoua la tête avec amusement. « Oh non, certainement pas ! Ce n’est pas parce qu’un universitaire publie un article dans une petite revue que tout le monde en a soudainement connaissance. J’ai écrit sur ce sujet dans *L’Anneau des Religions* en 1014, mais cela n’a guère fait sensation. Ni les religieux, enfermés dans leurs dogmes, ni les athées matérialistes, centrés sur le présent et le pouvoir, ne se soucient vraiment de ces questions. »
Blake poursuivit : « Et la communauté scientifique, qu’en pense-t-elle ? »
Romero esquissa un sourire triste. « Mes collègues se concentrent surtout sur leurs propres champs d’étude. Quelques-uns s’intéressent à mes travaux, mais le seul à avoir vraiment pris le temps d'analyser mon article est Brian Clark, un épistémologiste excentrique. La plupart se contentent de commentaires vagues et changent rapidement de sujet. »
Fang Yüan répliqua : « Mais les enjeux politiques sont pourtant énormes ! »
Romero haussa les épaules. « Peut-être. Mais les religions et la politique sont des domaines séparés ici. La majorité des gens pratiquent leur foi d’une manière purement culturelle, sans vraiment chercher à en comprendre les mystères. Quant à l’idée que certains d'entre nous se souviennent d’une origine terrienne, c’est une question secondaire pour la plupart. »
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 24


**Carnet de Fang Yüan - 24 octobre**

Le doute s’efface enfin. Après notre rencontre avec le professeur Romero, il est maintenant évident que Weishan et Blake ont bel et bien vécu sur Terre avant d’être transférés sur Allyanse. Nous en avons longuement discuté hier soir. Ce matin, nous nous trouvons sur la terrasse du bar de l’aéroport de Valea Seaca, attendant l’arrivée de notre dirigeable, *Le Robuste*, qui doit nous conduire vers notre prochaine destination.

La silhouette imposante du dirigeable se dessine enfin après une longue attente, et je ressens un soulagement partagé par tous mes compagnons. Shaka, toujours vigilant, aperçoit alors une escadrille d’avions venant de la mer. Weishan se tourne vers moi et me demande, songeur, ce qu’ils peuvent bien faire là.

Je scrute l’horizon. « Il n’y a que l’océan de ce côté, et aucun avion n’a décollé depuis plusieurs heures. » À cette distance, il est difficile de distinguer leurs marques. Pourtant, mon instinct me crie que quelque chose ne va pas. Le danger semble imminent, et je décide de ne pas ignorer mon intuition. Je me dirige rapidement vers le bar et appelle la tour de contrôle.

Usant de mon grade, j’ordonne de faire décoller immédiatement des chasseurs rumiens pour protéger le dirigeable. Heureusement, la tour de contrôle a également repéré les avions suspects approcher. Mes instructions accélèrent leur réaction : les chasseurs sont déjà dans les airs, prêts à se déployer en protection autour du *Robuste*.

Les minutes qui suivent sont tendues. Le dirigeable continue son approche tandis que les chasseurs rumiens, surnommés les « Puternic », foncent à toute vitesse pour intercepter les intrus. Le ciel devient le théâtre d’un combat aérien intense. À côté de moi, Kaylor et Shaka, fascinés, commentent la bataille.

« Regarde cette manœuvre ! » s'exclame Kaylor, impressionné par l'agilité des chasseurs. Shaka, plus pragmatique, analyse calmement la situation. « Ils sont rapides, mais je me demande quel est leur but exact. »

Le spectacle est à la fois terrifiant et hypnotisant. Les avions s’affrontent dans des figures complexes, plongeant et virevoltant dans le ciel. Après plusieurs minutes de confrontation, des avions des deux côtés sont abattus. Les explosions illuminent l'horizon, mais je sens mon cœur s’alléger alors que les agresseurs restants font demi-tour, battus.

Pourtant, quelque chose continue de m'inquiéter. Malgré mon expérience militaire, je n’ai pas reconnu le modèle des avions ennemis. Et pire encore, leurs cocardes m'étaient totalement inconnues. Quelle était leur véritable intention ?

L’alerte est passée, et le calme retombe lentement. Alors que le *Robuste* se prépare à atterrir, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la menace que nous venons de déjouer. Ces avions étaient-ils réellement là par hasard ? Ou bien s’agissait-il d’une tentative délibérée pour s'en prendre à nous ?
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 25


Extrait de « Mes Combats - autobiographie de Shaka M'Baku»
parue aux éditions du balbuzard, à Yasebukhosini en 1056.
Train inter-Etats BundesReich-FCI, 20 octobre 1024

Nous étions enfin arrivés à bon port, le "Robuste" ayant atterri sans encombres malgré l'attaque mystérieuse de la veille. Femi était saine et sauve, et j'avais ressenti un bonheur immense de la retrouver après ce chaos aérien. Mais notre répit fut de courte durée. Dès le matin, un général rumien, Cornel Popescu, nous attendait de pied ferme. Petit, trapu, avec des traits durs et un regard perçant, il avait l'air d'un homme qui s'était battu toute sa vie contre des ennemis invisibles. Mais ce n'était pas son visage, aux yeux vifs et suspicieux, qui m'inquiétait le plus — c'était son attitude. Il était jaloux de ses prérogatives, et encore plus de son autorité.
Le général Popescu semblait particulièrement méfiant à l’égard de Fang Yüan. Il n'avait visiblement pas apprécié qu'elle donne des ordres à l'aviation rumienne pour protéger le dirigeable la veille. Il était également irrité par le fait que nous n'ayons pas expliqué pourquoi elle avait immédiatement su que le "Robuste" était la cible de l'attaque. Popescu voulait des réponses, des explications détaillées sur notre mission et la raison pour laquelle nous avions été pris pour cible.
Dès notre arrivée, il nous fit comprendre que nous ne pourrions pas quitter la zone sans lui fournir des informations complètes. Ses ordres étaient clairs : nous devions rester ici tant que ses questions n'étaient pas satisfaites. Femi, Kaylor et moi étions tous sur le qui-vive. Ce général ne plaisantait pas. Il semblait prêt à nous retenir indéfiniment, sous prétexte de "protéger" le territoire rumien. En réalité, je pouvais sentir que son ego était blessé. Lui, un général, avait été mis de côté lors d'une attaque, tandis qu'une femme, étrangère qui plus est, avait pris l’initiative.
Nous avons essayé de négocier, d'expliquer vaguement notre situation sans en dire trop. Mais chaque tentative de détourner la conversation échouait. Popescu restait ferme et obstiné. Il scrutait nos visages comme s’il cherchait à y déceler la moindre faille, le moindre signe de faiblesse. Je me suis demandé un instant si nous allions réellement pouvoir continuer notre mission ou si ce général allait retarder notre départ de plusieurs jours, voire plus. Son ton était tranchant, sa voix cassante. J’ai vu Fang Yüan croiser les bras, visiblement agacée par cet interrogatoire sans fin. Elle se retourna vers nous, ses yeux reflétant une lueur d’impatience.
Finalement, après de longues heures d'échanges tendus, Fang Yüan se redressa, un éclat de détermination dans le regard. Elle déclara d'un ton sec qu’elle devait parler à Boutros el Khoury, conseiller militaire du HPP de Phenixia. Cette mention eut l’effet escompté. Popescu grimaça légèrement, surpris. Fang Yüan sortit du bureau sans attendre l’autorisation du général et appela Boutros sur une ligne sécurisée.
Le nom de Boutros el Khoury résonnait comme une légende ici. Héros de la guerre des Borgues, respecté dans toute la région, Boutros avait un prestige inégalé. Quelques minutes plus tard, Fang Yüan revint, visiblement satisfaite. Elle se planta devant Popescu avec une certaine assurance, comme si elle détenait une carte maîtresse.
« Nous avons l’autorisation de partir, » déclara-t-elle avec un sourire en coin. Popescu, bien qu'encore méfiant, n'osa plus insister. Il savait que se confronter à un homme de la stature de Boutros pourrait lui coûter cher. À contrecoeur, il nous accorda finalement le droit de quitter le territoire rumien.
Il nous restait cependant une heure avant que l'autorisation de décollage ne soit effective. Le général Popescu, malgré son sale caractère, avait cédé. Je le vis se retirer, non sans un regard empli de frustration. Pendant ce temps, nous préparions notre départ, conscients que notre mission aurait pu être gravement compromise. Ce jour-là, je compris une chose : même dans un monde où l'on pense tout maîtriser, l'arrogance et la jalousie d’un seul homme peuvent tout faire basculer. Mais cette fois, nous avions gagné.
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 26

**26 octobre, Notes de Philip N. Blake**


Alors que nous survolions tranquillement le vaste anneau en direction du Cook, avec pour mission de rencontrer l'épistémologue Brian C. Clark, je ne pouvais m'empêcher de réfléchir aux révélations faites par les savants que nous avions croisés. Chacun d'eux, par leur savoir, avait levé un coin du voile sur ce mystère : l'anneau est artificiel, conçu pour simuler les climats et paysages des planètes rondes, à l'image de la Terre. Mais ce n'était pas la plus grande des énigmes.
Ces discussions avaient confirmé une idée troublante : certaines personnes, à travers l’histoire de cet anneau, s’y étaient réveillées avec des souvenirs bien terrestres, tout comme Lien Go et moi. Ce ne sont pas nos corps qui ont été transportés ici, mais bien nos consciences, ou du moins une part essentielle de nous-mêmes, capables de s'incarner dans des formes physiques semblables à celles que nous avions avant. Cette idée, loin d'être effrayante, éveillait en moi une curiosité insatiable. Mon esprit, nourri des œuvres de Jules Verne et de H.G. Wells, ne pouvait s'empêcher de formuler des hypothèses. Et plus j’y réfléchissais, plus les possibilités semblaient infinies.
### Première hypothèse : les extra-terrestres
La première théorie qui me vint à l'esprit était naturellement celle de l’intervention d’une civilisation extra-terrestre avancée. Imaginons une race ancienne, bien plus développée que nous, dotée de technologies inimaginables. Ces êtres pourraient avoir créé l'anneau comme un vaste terrain d’expérimentation, observant l’évolution des consciences humaines dans cet environnement simulé. Cela expliquerait pourquoi nous avons été transférés ici sans nos corps physiques — comme des données dans un système. L'idée que nous ne soyons que des sujets d’étude dans un laboratoire cosmique m’effrayait, mais elle avait un certain sens. Ils pourraient avoir extrait nos souvenirs et recréé nos consciences, laissant nos corps d'origine se décomposer quelque part sur la Terre.
### Deuxième hypothèse : l'humanité du futur
Une autre théorie me paraissait encore plus troublante. Et si l’humanité, dans un avenir lointain, avait développé des technologies si avancées qu’elle maîtrisait non seulement le voyage dans l’espace, mais aussi la recréation des consciences humaines ? L’anneau serait alors l'œuvre de nos propres descendants, une humanité future cherchant à préserver les esprits de ses ancêtres dans un cadre idéal pour leur permettre de continuer à exister. Cette théorie me fascinait, car elle impliquait que nous ne sommes pas perdus dans l’immensité de l’univers, mais préservés par nos propres enfants, des siècles ou des millénaires dans le futur. Ce transfert de conscience serait une forme d'immortalité, un moyen pour les humains de ne jamais vraiment disparaître.
### Troisième hypothèse : le voyage dans le temps
Le voyage dans le temps ne pouvait être exclu. L'idée que nos consciences aient été arrachées de notre époque pour être projetées dans un futur lointain, où l'anneau serait déjà une réalité, était tout à fait possible. Peut-être l'anneau est-il le résultat d'une technologie temporelle, permettant non seulement de recréer des paysages terrestres, mais aussi de ramener à la vie des esprits d’époques révolues. Si tel était le cas, cela expliquerait pourquoi certaines personnes, en différents moments de l'histoire, avaient été « réveillées » sur l’anneau. Ils auraient été transportés ici depuis leurs époques respectives, un peu comme nous.
### Quatrième hypothèse : une force mystique
Enfin, une pensée plus mystique s’insinua dans mon esprit. Et si cette aventure n'était pas seulement l'œuvre d'une science avancée, mais d’une force transcendante, une entité ou un principe cosmique cherchant à préserver les âmes humaines dans un cycle de vie infini ? Peut-être que l’anneau n’était pas seulement une construction technologique, mais un lieu de renaissance pour les consciences méritantes, une sorte de purgatoire céleste où nous sommes testés avant de pouvoir accéder à une forme d’éternité. Cette idée, bien qu’elle m’effraie quelque peu, trouve écho dans certaines philosophies anciennes. Elle me fait penser aux écrits mystiques de Swedenborg ou à certaines visions de la réincarnation.
Quel que soit l'origine de cet anneau, que ce soit des extraterrestres, des humains du futur, ou une force cosmique bien plus puissante que tout ce que je peux imaginer, une chose est certaine : nous ne sommes plus sur Terre. Et pourtant, une part de moi continue de croire que la vérité, aussi incroyable soit-elle, finira par se révéler.
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 27

**27 octobre,**Extrait de *L'Aura du Tigre : La Vie et les Réflexions de Li Weishan, le Chasseur Silencieux***
**Chapitre XLXI : Epistémologie**


Le 27 octobre 1024, ils arrivèrent à Pahouma, capitale du Cook, une métropole au charme côtier avec des bâtiments en pierre claire, des avenues bordées de cyprès et de grands espaces ouverts. L'université, leur destination, trône fièrement sur une colline. Sa façade est en briques rouge et pierres blanches, avec des tours élancées et ses bâtiments s'agencent autour des cours couvertes de végétation luxuriante. Le groupe, impressionné par l'ampleur du campus, est dirigé vers le département de recherche où Brian Clark, l'épistémologue, les attend.

Le professeur Clark est un homme au visage rond, à la barbe grisonnante, les yeux pétillants derrière ses lunettes épaisses. Un peu trapu, vêtu de manière modeste mais fonctionnelle, il incarne la sagesse acquise par des années de réflexion méthodique. Il les accueille avec une poignée de main ferme, les invitant à s’asseoir dans son bureau encombré de livres, de schémas complexes et d’outils scientifiques.

Après avoir écouté leurs récits sur les mystères de l’Anneau et les souvenirs terriens, Clark exprime une théorie audacieuse : selon lui, le « mana » des Terriens aurait été enregistré sous forme d’ondes sur la Terre et ensuite transféré vers Allyanse. Ce mana servirait à coder la reconstitution des corps des personnes. Ces ondes pourraient contenir non seulement la conscience, mais aussi toutes les données nécessaires à recréer les individus.

Weishan réagit immédiatement à cette idée. Il reconnaît dans cette théorie le concept du **Shénméi**, qu’il avait lui-même formulé plus tôt. Pour lui, cela faisait écho à l'idée d'une énergie vitale qui englobe non seulement l'esprit, mais aussi les souvenirs et l'essence corporelle. Clark acquiesce, fasciné, et les deux hommes échangent des hypothèses, combinant science et mysticisme dans une quête de sens.

Longue et passionnée, la conversation s'achève quand les deux esprits brillants se rejoignent sur l’idée que l'Anneau pourrait bien être un lieu où la conscience humaine est non seulement préservée, mais aussi réinterprétée sous des formes nouvelles.
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 28
octobre 1024 – Journal de Fang Yüan_

Je ne pensais pas que les événements prendraient cette tournure en me rendant dans la chambre de Weishan ce soir-là. J’avais une bonne excuse, un prétexte raisonnable : nous avions encore tant de choses à discuter. Après l’attaque aérienne, les rapports à rédiger, les mystères qui entourent notre mission… Autant de raisons valables pour frapper à sa porte. Pourtant, dès l’instant où j’ai vu Weishan, installé à cette petite table près de la fenêtre, quelque chose en moi a changé.
Je m’étais imaginée cette rencontre comme un moment de réflexion, presque clinique. Nous allions faire le point sur les missions à venir, comme nous l’avions fait tant de fois. Mais cette fois-ci, la conversation n’a pas pris la tournure attendue. Il a levé les yeux, et ce simple regard, empreint d’une tendresse que je n’avais jamais vue chez lui, a fait vaciller toutes mes certitudes.
Les mots ont échappé à ma bouche, je parlais de la mission, des Shénné'ih, des plans futurs, mais mon corps lui, semblait avoir d’autres intentions. Je sentais une chaleur monter en moi, une tension qui grandissait à chaque seconde. Weishan m’a regardée, longuement, silencieusement, et j’ai ressenti un tiraillement profond entre la raison et ce désir qui me consumait lentement.
Je ne sais pas à quel moment exact j’ai arrêté de parler des Shénné'ih et des mystères de notre quête. Je ne sais plus quand j’ai cessé de penser à autre chose qu’à lui, à ce que je ressentais à cet instant précis. Peut-être était-ce lorsque nos mains se sont effleurées accidentellement, ou bien lorsque son regard a plongé dans le mien, avec une intensité que je ne pouvais ignorer.
Je n’avais jamais ressenti cela auparavant. Ce désir soudain, fulgurant. Mon cœur battait à un rythme effréné. Il s’est levé, lentement, avec cette assurance tranquille qui le caractérise. En cet instant, je n’ai plus pensé à rien d’autre. Mes pensées se sont envolées, laissant place à ce besoin, cette pulsion presque animale qui m’envahissait toute entière.
Je l’ai rejoint, les gestes presque instinctifs, irréfléchis. Mon corps avait pris le contrôle, réclamant ce contact, cette union. Je n’aurais jamais cru être capable d’un tel abandon, d’une telle violence dans mes émotions. Le désir m’a submergée, comme une vague emporte tout sur son passage, et je me suis laissée emporter sans résistance.
Les premières caresses ont été hésitantes, comme si nous cherchions encore à comprendre ce qui nous arrivait. Mais très vite, la passion a pris le dessus. Je me suis accrochée à lui, comme à une bouée dans une mer déchaînée. Ses lèvres, ses mains, tout en lui semblait fait pour me faire perdre pied.
Le plaisir, quand il est venu, m’a prise par surprise. Une intensité que je n’avais jamais connue auparavant. Il m’a traversée comme un éclair, brûlant chaque parcelle de mon être, me laissant à la fois épuisée et comblée. Je n’aurais jamais cru que l’on puisse ressentir une telle force, une telle violence dans l’extase.
J’ai eu du mal à retrouver mes esprits après cela. Nous sommes restés là, en silence, nos corps encore emmêlés, respirant doucement dans l’obscurité de la chambre. Tout semblait si paisible, si simple après cet orage émotionnel. Mais dans un coin de mon esprit, une petite voix me rappelait que rien ne serait plus jamais comme avant. Nous avions franchi une étape, une frontière invisible, et je savais que cet instant nous changerait à jamais.
Je ne regrette rien. Au contraire, je me sens étrangement apaisée, comme si ce moment m’avait libérée de quelque chose que je ne comprenais pas encore. Mais il est clair que notre relation, que mes sentiments pour Weishan, ne seront plus jamais les mêmes.
Peut-être était-ce inévitable. Peut-être avons-nous simplement cédé à des sentiments qui, depuis longtemps, couvaient sous la surface. Mais une chose est certaine : ce soir-là, nous avons cessé d’être simplement des compagnons de mission.
À la recherche de la Route des Souvenirs
Chapitre 29

29
octobre 1024 – **Extrait de la biographie de Li Weishan, par Lian Hawkeye**

Le crépuscule avait enveloppé la ville de Pahouma lorsque Li Weishan prit la parole. Rassemblés autour d'une table de bois usée, Fang Yüan, Philip Blake et les autres écoutaient attentivement. Leurs découvertes, encore fraîches dans leur esprit, demandaient à être décryptées.
Weishan s’était montré particulièrement lucide, mettant en lumière ce qui restait le plus mystérieux pour eux : "comment les Shénné'ih étaient traduits en corps physiques sur Allyanse". L'analogie avec le "Chi", qu'il affectionnait tant, ou le "Mana" dont avait parlé Clark lui paraissait de plus en plus pertinente. « Si l’on admet que le Chi, ou l'énergie vitale, peut être manipulée de manière scientifique, pourquoi ne pourrions-nous pas faire de même avec les Shénné'ih ? » commença-t-il.
Fang Yüan se redressa légèrement sur sa chaise, réfléchissant. « C'est vrai, mais il ne suffit pas d'avoir un procédé. Il faut comprendre qui l'a mis en place. Ces reconstitutions de corps, ces souvenirs... ils ne sont pas apparus par hasard. Quelqu’un ou quelque chose a orchestré cela. Mais pourquoi ? »
Weishan esquissa un sourire discret. Il savait que la question de Fang Yüan touchait à l'essence du mystère. Les Shénné'ih n’étaient pas seulement des entités d’énergie ; ils étaient le produit d’un dessein caché, et ils n'avaient encore que des bribes d’explication sur ce dessein.
« Pour moi, » continua Philip Blake, la voix teintée de son accent mancunien, « ce qui est fascinant, c'est que les Shénné'ih sont liés aux souvenirs. Ce processus d’enregistrement de nos vies, de nos expériences terrestres, a peut-être été conçu pour assurer la survie de notre espèce. Si nos corps peuvent être recréés, pourquoi pas nos esprits ? »
Xue, silencieuse jusqu'alors, intervint d’un ton froid : « Mais pourquoi transférer ces souvenirs ici, sur Allyanse ? Quel est le but de tout cela ? »
Le groupe resta un moment silencieux, méditant cette question.
Fang Yüan, toujours pragmatique, reprit : « Nous avons découvert comment les Shénné'ih fonctionnent, mais pas qui les contrôle. Cette technologie, ou peut-être cette forme de science avancée, dépasse tout ce que nous pouvons concevoir. Et si elle a été mise en place pour nous, il y a un but que nous ignorons encore. »
Weishan se leva alors, le regard lointain. « Ce que nous savons, c’est que nous sommes le produit de cette manipulation. Nos corps ici sont des répliques de ce que nous étions sur Terre, mais pour aller plus loin, il nous faudra des moyens bien plus importants. Il est temps de quitter cette étape et de préparer la prochaine. »
Ainsi, dans le calme de cette nuit étoilée, ils comprirent que leur quête était loin d’être achevée.
À la recherche de la Route des Souvenirs

Chapitre 30 : La nouvelle mission (Extrait de la réunion transcrit par Sir Alexandre)


La réunion finale avait lieu dans une salle sobre, meublée uniquement de grandes chaises en cuir noir. L’air y était tendu, non seulement à cause de la chaleur, mais de la gravité de l’ordre du jour. Je terminai ma présentation, exposant les conclusions de la quête de La Route des Souvenirs par l'équipe de Fang Yüan. Les découvertes sur les Shénné'ih étaient monumentales, mais il y avait encore tant de questions.Boutros, assis au bout de la table, intervint d’un ton ferme.

— Nous devons aller plus loin, dit-il en croisant les bras.

Le silence tomba, interrompu par des murmures discrets. J'échangeai avec Bondurand un regard entendu.
— Vous avez raison, Boutros, répondit finalement Bondurand. Mais cela nécessitera bien plus que ce que nous avons eu jusqu’à présent.

Boutros acquiesça avant de détailler son plan :
— Nous devons recenser chaque individu qui présente des souvenirs du Soleil Mouvant. Comprendre pourquoi certains se souviennent de leur vie sur Terre et d'autres non pourrait être la clé pour percer le mystère des Shénné'ih.

Un léger frisson parcourut la salle. La tâche semblait titanesque, mais tout le monde savait qu'elle était essentielle
.— Enquêter sur ces individus, leur passé, et leur intégration sur Allyanse... reprit Bondurand. Et il faudra des moyens bien plus importants, des ressources que nous n’avons pas encore.

Je pris la parole
:— Cette quête est devenue bien plus qu’une simple recherche scientifique. Elle touche à l’essence même de l'existence humaine. Nous devons répondre à ces mystères.

Le groupe écoutait attentivement, tous conscients que la quête ne faisait que commencer. Cependant, cette nouvelle étape nécessitait quelqu'un de compétent, un homme capable de gérer une tâche aussi vaste et complexe. Bondurand sembla réfléchir un moment avant de finalement déclarer d’une voix solennelle :
— Je crois avoir l’homme de la situation.

Le bruit de la porte qui s’ouvrait résonna dans la pièce. Tous les regards se tournèrent vers un homme massif qui entra d’un pas assuré.
— Mesdames et messieurs, je vous présente Benedict Mussler.

L’homme s’inclina légèrement, un sourire énigmatique sur le visage. On sentait une grande détermination dans ses yeux, et son arrivée marquait le début d’une nouvelle étape dans cette quête. Le rideau venait de tomber sur cette phase de l’aventure, mais la suivante promettait d’être encore plus décisive.

La réunion se conclut, laissant chaque membre du groupe avec un sentiment partagé entre soulagement et appréhension. Les recherches à venir seraient plus périlleuses et incertaines, mais aussi pleines de promesses. Je refermai mon carnet avec un dernier regard sur la scène, conscient que l’histoire ne faisait que commencer.

Fin de la troisième partie et du Tome 1 :
L'Odyssée des Mémoires

alliance banner